Tout se passe, au regard du black-out des médias lourds, comme s'il y avait une volonté d'étouffer les rares voix qui continuent encore à couvrir le hirak. Hasard du calendrier ou concours de circonstances : c'est au moment où il a dénoncé au nom du collectif des journalistes (JAU), dont il est le porte-parole, le maintien en détention de Sofiane Merakchi, que le journaliste Khaled Drareni se retrouve, lui aussi, confronté à des poursuites judiciaires. Arrêté samedi à Alger alors qu'il couvrait la marche, Khaled Drareni a été auditionné hier pour "attroupement non armé", selon les avocats, et voit sa garde à vue prolongée de vingt-quatre heures pour "complément d'enquête". Sans anticiper sur la décision du parquet, Khaled Drareni est arrêté alors qu'il ne faisait qu'exercer son travail de journaliste. Faut-il y voir dès lors une volonté d'intimider, voire d'étouffer, une voix dont le seul tort, aux yeux de ceux qu'ils n'agréent pas, est de couvrir le hirak ? Car il faut le dire, ce n'est pas la première fois que Khaled Drareni, qui couvre constamment le mouvement depuis le début — en février de l'an passé — a maille à partir avec les services de sécurité. Il a été en effet interpellé plusieurs fois ces derniers mois sans que l'on sache avec exactitude les motifs sous-jacents à ce qui s'apparente à un harcèlement. "Il devient difficile de compter le nombre d'arrestations dont a fait l'objet Khaled Drareni ces derniers mois. Le harcèlement d'un journaliste admirable, correspondant de RSF, est inadmissible. Nous ferons tout pour sa libération, grâce à une solidarité massive", écrit sur son compte Twitter Christophe Deloire, SG de RSF. Mais les déboires du fondateur du site "Casbah tribune" ne sont pas un cas isolé. En détention depuis six mois, Sofiane Merakchi qui travaille pour de nombreux médias étrangers, devrait comparaître le 15 mars prochain. Officiellement, il est poursuivi pour "infraction au code des douanes", mais pour les professionnels des médias, il lui est reproché essentiellement de donner un "écho et une visibilité au hirak" d'autant que de nombreux médias, notamment les télévisions, la presse publique et certains titres de la presse privée ont décidé, sur injonction, de passer sous silence ce mouvement. "Son arrestation, survenue dans un contexte de mise au pas totale des médias audiovisuels publics et privés, ciblait de manière précise son libre exercice du métier de journaliste. L'accusation d'infraction au code des douanes et d'utilisation d'un appareil de diffusion en direct — que toutes les chaînes TV utilisent en Algérie — dont il fait l'objet n'est qu'un prétexte pour punir le journaliste et le faire taire", écrit le collectif JAU. Il y a aussi le cas du rédacteur en chef du journal Le Provincial à Annaba, Mustapha Bendjama. Frappé d'ISTN, il lui est interdit de participer à toute marche ou rassemblement et demeure toujours poursuivi pour plusieurs chefs d'accusation. D'autres journalistes font également l'objet de harcèlement comme Abdelkrim Zeguilèche ou encore Khelaf Benhadda et Zoheir Aberkane. à cela s'ajoutent les entraves à l'exercice du métier, comme ont pu le constater, vendredi dernier, les journalistes, Djaâfar Kheloufi, Lamine Maghnine et Asma Benazouz arrêtés à Boumerdès avant d'être relâchés, mais aussi Ramdane Kebbabi molesté par les forces de l'ordre, le même jour. Et la liste est loin d'être exhaustive puisqu'il ne se passe presque pas un vendredi ou un mardi, jours des manifestations, sans qu'un journaliste soit malmené ou empêché de faire son travail. Cette situation que rien ne peut justifier au demeurant, notamment à l'ère de la "révolution numérique" et de la circulation de l'information, traduit incontestablement la difficulté pour les journalistes, déjà en proie à de nombreux autres aléas, d'exercer librement leur métier. Tout se passe, au regard du black-out des médias lourds, comme s'il y avait une volonté d'empêcher les rares voix qui continuent encore à couvrir le hirak. En tout cas, elle contraste singulièrement avec les engagements des autorités en faveur d'une presse libre. Mais peut-on valablement parler d'une presse libre à l'ombre d'un système réfractaire à une véritable démocratisation