"Nous pouvons ne pas nous entendre sur une démarche, mais nous allons vers un climat beaucoup plus apaisé, qui nous permettra d'aller vers les changements que j'ai promis personnellement", a assuré le chef de l'Etat. Révision de la Constitution, procès de hauts dignitaires de l'ancien régime et détenus d'opinion ; Abdelmadjid Tebboune a profité de son interview avec la chaîne France 24 pour s'exprimer sur des questions d'intérêt national. C'est ainsi que le chef de l'Etat s'est prononcé, pour la première fois, sur le procès des anciens dirigeants de l'ère Bouteflika. Contre toute attente, Abdelmadjid Tebboune a exclu d'éventuelles poursuites contre Abdelaziz Bouteflika. Il a estimé que "la justice s'est prononcée" à ce sujet, en allusion au procureur général près le tribunal d'Alger qui avait affirmé, la semaine dernière, que la demande d'auditionner l'ancien chef de l'Etat était "dépassée". Mais pour ne pas donner l'impression de s'immiscer dans le travail de la justice, le président de la République a laissé la porte ouverte à une éventuelle convocation de son prédécesseur. "Si la justice le demande (le jugement de Bouteflika), c'est son affaire, mais pour le moment, il n'en est pas question", a-t-il nuancé. S'ils ont quasiment tous dit avoir exécuté des consignes de l'ancien président de la République, les anciens ministres et Premiers ministres ne sont pas forcément innocents, estime Abdelmadjid Tebboune. "On peut donner un ordre pour accélérer l'exécution d'un projet" mais les anciens responsables pouvaient "en profiter", a précisé le chef de l'Etat qui a rappelé que "rien de politique" ne transparaît lors de ces procès. L'évocation de l'ancien président de la République a amené l'actuel locataire du palais d'El-Mouradia à apporter des précisions par rapport à sa position vis-à-vis du cinquième mandat. Abdelmadjid Tebboune a révélé qu'il s'était rendu compte, une fois devenu Premier ministre en mai 2017, qu'Abdelaziz Bouteflika "n'avait plus la parole (et) ne pouvait pas s'exprimer". Le journaliste de France 24 a alors interrogé le chef de l'Etat sur son soutien à son prédécesseur. "Je n'ai jamais été favorable au 5e mandat", a-t-il tranché avant de rappeler que "l'histoire du 5e mandat avait débuté en 2018". "À l'époque, j'étais chez moi et en aucun cas je n'ai été pour un 5e mandat", a-t-il insisté. Mais pourquoi ne s'était-il pas exprimé à l'époque ? "On n'avait pas demandé mon avis, j'étais exclu", a justifié Abdelmadjid Tebboune. D'autres détenus seront libérés Interrogé sur les détenus politiques, Abdelmadjid Tebboune, qui a assuré qu'il ordonnera la libération d'autres prisonniers, a justifié l'action de la justice. "En tant que Président, j'exercerai mes prérogatives constitutionnelles de grâce chaque fois que cela est nécessaire. Cela dit, je tiens à relever quand même une équivoque. La justice a sévi avec certains de ceux qui sont actuellement en détention, ou même ceux qui ont été libérés pour insultes et incitation aux attroupements et incitation à la mutinerie pour certains corps, ce qui est complètement interdit", a-t-il expliqué. Il a, en revanche, annoncé son intention de libérer d'autres détenus politiques. "Nous allons vers une période qui nécessite l'effort de tous les Algériens, de toutes les Algériennes. Je pense que nous pouvons ne pas nous entendre sur une démarche (...) mais nous allons vers un climat beaucoup plus apaisé, qui nous permettra d'aller vers les changements que j'ai promis personnellement", a-t-il précisé. Le référendum constitutionnel à la rentrée S'il ne donne pas de date précise, le chef de l'Etat a annoncé que la révision de la Constitution aura lieu "à la rentrée". "Notre objectif, c'était au plus tard fin juin, mais il y a eu des circonstances qui nous ont été imposées par Dame Nature, donc nous n'y pouvons absolument rien. Ce n'est pas différé puisque la discussion sur la Constitution a continué, elle s'est même accélérée ces derniers temps, nous avons pratiquement 2 000 propositions de changement, de retrait d'article, d'extension d'article ou d'ajout, nous allons en tenir compte. La commission a commencé à se réunir, nous allons même l'élargir pour avoir d'autres opinions autres que celles de la commission, ensemble. Je pense que si la Covid s'atténue, que la cohabitation arrive à des chiffres très bas, nous pourrons aller vers un référendum à la rentrée sociale, en septembre ou octobre", a-t-il promis. Interrogé sur la nature du régime, Abdelmadjid Tebboune a refusé de trancher. Toujours au sujet de la Loi fondamentale, le chef de l'Etat a rappelé l'un des grands axes de la réforme en cours. "C'est la première fois que l'Assemblée nationale proposera elle-même des lois, que l'Assemblée nationale aura le droit de créer toutes les commissions de contrôle qu'elle veut sur un sujet, sur un ministère, sur un secteur ou autre, et nous tiendrons compte de leurs opinions, pour contrôler la gestion du gouvernement. Nous sommes en train de mettre beaucoup de verrous qui interdiront à l'avenir tout glissement vers le pouvoir personnel", a-t-il encore rappelé. Pas de recours au FMI Sur le plan économique, Abdelmadjid Tebboune a rappelé qu'il n'était pas "question" de recourir une nouvelle fois au FMI. "J'exclus l'option d'aller vers le FMI, certes, mais nous sommes en contact périodique avec ce fonds et nous tenons compte de ses orientations", a-t-il tranché. "L'Algérie dispose de réserves de changes qui ne sont pas énormes, mais qui lui permettent de passer le cap d'une à deux années", a-t-il dit, relevant que "l'agriculture à elle seule a produit en 2019 l'équivalent de 25 milliards de dollars et cela a été une chance pour le pays avec la chute des prix de pétrole, car nous n'avons rien importé et nous avons presque une autosuffisance alimentaire", a encore justifié Abdelmadjid Tebboune. Rarement évoquée, la relation algéro-marocaine a occupé, lors de cette intervention du président de la République à France 24, une place importante. "Jusqu'à présent, l'escalade a été verbale et j'espère qu'elle va s'arrêter. Nous souhaitons le plus grand bonheur au peuple marocain. Nous n'avons aucun problème avec les Marocains, mais ce sont eux qui ont des problèmes avec nous", a précisé Abdelmadjid Tebboune. Interrogé sur la construction en cours d'une caserne militaire par l'armée algérienne en réponse à une structure similaire de l'armée marocaine, le chef de l'Etat a refusé de commenter. "Je ne peux ni confirmer ni infirmer ces informations", a-t-il répondu. Il dit laisser la porte ouverte à une conciliation entre les deux pays.