Liberté : Que vous inspire le sort de tous les étrangers confrontés aux difficultés de renouvellement des titres de séjour ? Raphaël Flichman : La Cimade alerte sur cette situation depuis des années. Nous avons publié en 2016 un rapport sur notre site "À guichets fermés" qui révélait que certaines préfectures ont basculé vers un système de prise de rendez-vous numérique. Aujourd'hui, pratiquement toutes les préfectures ont adopté le même dispositif. Il s'agit pour nous d'une véritable mise à distance des étrangers qui soit sont en train de s'arracher les cheveux devant leurs ordinateurs, soit vont acheter des rendez-vous au marché noir. L'Etat ne met pas volontairement les moyens d'accueil des étrangers dans les préfectures pour maltraiter les personnes et dissuader tous ceux qui souhaitent accéder à un titre de séjour. Les étrangers sont victimes d'une politique institutionnelle de maltraitance qui crée de la précarité et provoque une rupture des droits sociaux. Cette politique facilite aussi les expulsions des individus contrôlés par la police et qui n'ont pas pu, pour des raisons indépendantes de leur volonté, renouveler leur titre de séjour. La pandémie a, visiblement, contribué à compliquer davantage la situation... Oui, évidemment. L'Etat a rendu les démarches plus compliquées sur internet, mais en même temps, il contraint les étrangers à les faire dans des délais précis. Le Conseil d'Etat a pourtant rendu une décision le 27 novembre 2019 qui interdit l'accès exclusif par internet des usagers aux services publics. Mais les préfectures n'en tiennent pas compte lorsqu'il s'agit des étrangers. La préfecture de Seine-Maritime a récemment rendu obligatoire le dépôt des premières demandes de titre de séjour via un téléservice. Forcée de faire marche arrière après la mobilisation de plusieurs organisations, elle a mis en place un numéro de téléphone inopérant. Ce qui oblige les demandeurs à utiliser, en définitive, la plateforme numérique. Il faut savoir que les difficultés sont pareilles pour tous les étrangers, qu'ils soient primo-demandeurs de titres de séjours, étudiants, salariés, mineurs isolés arrivés à la majorité... La Cimade a confirmé la mise à distance des personnes étrangères en utilisant un robot. Comment fonctionne-t-il ? Le robot simule le comportement d'une personne et tente de prendre rendez-vous. Il effectue des visites toutes les deux heures pour voir les plannings de chaque préfecture et repérer des créneaux disponibles. Grâce à ses visites, le robot est capable de fournir des statistiques précises qui confirment, en effet, l'impossibilité d'accéder aux services en ligne. En 2019, il a été bloqué par le ministère de l'Intérieur. La Cimade a vivement dénoncé cette décision. Depuis, le robot peut de nouveau visiter les sites des préfectures. Entretien Réalisé par : S. L.-K.