Le défenseur des droits considère que la dématérialisation des démarches est à l'origine d'une grave discrimination. Les chaînes virtuelles vont remplacer peu à peu les longues files d'attente des étrangers devant les préfectures en France. C'est le constat qui vient d'être fait par le défenseur des droits, une autorité indépendante qui lutte contre les discriminations et défend les usagers contre les abus de l'administration. Cette institution dirigée par l'ancien ministre Jacques Toubon vient de rendre public un rapport qui dénonce les dérives entraînées par la dématérialisation des services publics. Dans la liste des victimes, figurent les handicapés, les personnes âgés, les précaires et les étrangers, une catégorie encore plus discriminée que les autres car se trouvant souvent sans voix de recours et quelquefois dans le dénuement, comme c'est le cas pour les sans-papiers. "Les demandes de titres de séjour dématérialisées entraînent une inégalité dans l'accès aux droits des personnes", déplore le défenseur des droits, estimant que "la dématérialisation des procédures est venue cristalliser, voire exacerber, et surtout rendre invisibles les entraves à l'accès aux services publics". Aux obstacles les plus communs, comme la difficulté d'accès aux services internet et une faible maîtrise de la langue française, s'ajoute l'improbabilité d'obtenir un rendez-vous en ligne. "Ici, nul problème technique en jeu mais l'absence de moyens suffisants donnés à des dispositifs téléphoniques et numériques saturés de manière récurrente", explique l'institution qui invoque des conséquences extrêmement dramatiques "La quasi-totalité des droits à la vie privée, familiale et professionnelle sont en effet soumis à la condition de régularité de séjour et, partant, du dépôt du dossier de demande ou de renouvellement de titre. Lorsqu'un étranger cherche à faire renouveler son titre de séjour, qu'il détient parfois depuis de nombreuses années, et qu'il ne parvient pas accéder à la plateforme numérique de prise de rendez-vous, ou que ce rendez-vous est donné très tardivement, les ruptures de droits sont dramatiques. Il peut perdre son emploi et les prestations sociales qu'il est susceptible de percevoir. Il n'est pas rare qu'il rencontre alors dans ce contexte toutes les difficultés à faire face à ses dépenses, notamment de logement. L'étranger placé dans cette situation encourt enfin le risque de se faire interpeller et, faute de moyens de prouver la régularité de son séjour, d'être placé en centre de rétention administrative", souligne le rapport. Ces dernières années, beaucoup d'Algériens ont expérimenté à leurs dépens la numérisation des services préfectoraux. Des étudiants ont notamment perdu le droit de rester en France car ils n'ont pas pu renouveler leurs cartes de séjour dans les délais. En 2016, le défenseur des droits avait déjà attiré l'attention du ministère de l'Intérieur sur l'inaccessibilité fréquente de la prise de rendez-vous sur internet par les étrangers et l'existence de délais déraisonnables. Souvent aussi, les informations concernant les dossiers à fournir sont incomplètes. Pour corriger les inégalités, l'institution dirigée par Jacques Toubon estime qu'il faut maintenir l'accueil physique et téléphonique dans certains cas urgents et pour les étrangers n'ayant pas accès à internet et ne maîtrisant pas suffisamment le français. Il y a trois ans, l'organisation d'aide aux réfugiés et aux sans-papiers, Cimade, avait interpellé de la même façon le gouvernement. Elle avait édité un rapport à charge, "À guichets fermés : les personnes étrangères mises à distance des préfectures". Son réquisitoire est resté toutefois sans écho. Face à l'impassibilité des autorités publiques, la Cimade, le Gisti (Centre d'information et de soutien aux immigrés), la Ligue des droits de l'homme et le Syndicat des avocats de France ont saisi, l'été dernier, le Conseil d'Etat.