Nous avons tous en tête les images pénibles de ces longues files d'attente devant les préfectures en France, d'étrangers qui se disputent la place pour déposer un dossier de demande de titre de séjour. Aujourd'hui, les choses semblent avoir changé, mais dans le mauvais sens. Pour cause, après la distribution au compte-goutte des tickets donnant accès aux guichets, les administrations semblent avoir trouvé un nouveau moyen de réduire au maximum le nombre de dossiers à traiter. Elles ont tout bonnement transféré les files d'attente sur Internet, en proposant des rendez-vous très éloignés et en nombre très réduit. Dans un article publié mercredi dernier sur son site, la Cimade évoque une situation préoccupante. "À l'heure de la dématérialisation des démarches administratives, de plus en plus de personnes perdent leur droit au séjour ou ne peuvent l'obtenir du fait de l'impossibilité d'obtenir un rendez-vous par Internet. En l'absence de modalités alternatives d'accès au guichet et de moyens suffisants, la pénurie des rendez-vous disponibles condamne nombre de personnes étrangères à la précarité", écrit cette organisation d'aide aux migrants. En mars 2016, elle avait déjà attiré l'attention des autorités sur les effets délétères de la prise de rendez-vous obligatoire sur Internet pour l'établissement et le renouvellement des titres de séjour. Dans un audit intitulé "À guichets fermés", la Cimade avait dénoncé "la mise à distance des personnes étrangères des guichets des préfectures", en rendant le passage par Internet incontournable pour l'ensemble des démarches (demande d'information, prise de rendez-vous et dépôt des dossiers). Elle avait aussi remarqué que l'accès aux préfectures est devenu un véritable parcours du combattant pour les étrangers. "Prendre contact avec le service étranger est un défi : permanence téléphonique aux abonnés absents, plateforme Internet bloquée, guichet d'accueil fermé ou inatteignable malgré des heures d'attente. Enfin, les questions de l'enregistrement des dossiers s'avèrent trop souvent problématiques avec des refus abusifs fondés sur des exigences illégales et arbitraires de justificatifs, voire des pratiques discriminatoires envers certains publics. Les délais d'instruction, enfin, sont rarement respectés et atteignent parfois des années", déplore la Cimade, sur la base de rapports produits par ses permanences régionales. L'organisation a également mis en place un robot informatique pour simuler des demandes de rendez-vous. Dans certains cas, le résultat est édifiant. À Clermont-Ferrand (centre de la France), aucun rendez-vous n'a jamais été proposé au cours des trois derniers mois de l'année en cours. À Evry, au sud de la région parisienne, sept tentatives sur cent uniquement ont permis d'obtenir une proposition. Pis, la préfecture de Montpellier se limite à débloquer un seul rendez-vous par semaine. 75 départements ont déjà opté pour la prise de rendez-vous numérique. Officiellement, le but est d'éviter aux étrangers de se masser à des heures indues devant les locaux des préfectures. Cependant, dans les faits, leur attente s'avère plus longue et l'espoir d'arriver au guichet encore plus maigre. La Cimade rappelle aussi que beaucoup d'étrangers, compte tenu de leur situation précaire, sont dans l'incapacité d'utiliser Internet comme moyen d'accès au service public (pas d'ordinateur, de smartphone, de connexion...). Certains, en outre, ne parlent pas français. Résultat : beaucoup de migrants sont forcés à la clandestinité et vivent avec la peur d'être expulsés. Selon la Cimade, les conséquences sont également dramatiques pour les personnes titulaires d'un titre de séjour dont le renouvellement doit impérativement être demandé au guichet avant l'expiration. "Même en s'y prenant très en avance, de nombreuses personnes voient leur titre de séjour se périmer pendant l'attente du rendez-vous. Elles perdent donc leur droit au travail et leurs droits sociaux", déplore l'organisation, soulignant que le dysfonctionnement du service public plonge des personnes insérées dans une précarité dont elles peineront à sortir. Il est à rappeler que la France a délivré environ 228 000 titres de séjour en 2016, soit une augmentation de 5% par rapport à 2015. Engagé dans une politique sévère de contrôle des flux migratoires, le gouvernement Macron entend résolument réduire le nombre d'étrangers admis à rester dans l'Hexagone. Comptables de résultats, les préfectures se trouvent ainsi dans l'obligation de produire les statistiques souhaitées. Outre la complication des démarches de régularisation, certaines n'hésitent même plus à violer la loi en décidant des expulsions illégales et abusives. De Paris : Samia Lokmane-Khelil