Son combat pour le droit des femmes remonte à plus loin que son combat contre l'injustice et la discrimination. Il est intrinsèquement lié à sa vie, à son vécu, en rapport direct avec sa mère et avec les femmes de son quartier. Récipiendaire du prestigieux prix Pont Del Mediterrani pour sa contribution culturelle et sociale en Méditerranée, Fatma Boufenik fait partie de ces personnes auxquelles le militantisme est chevillé au corps. Un sacerdoce qui l'a accompagnée depuis ses premières années où elle a pris conscience des réalités socio-économiques des femmes algériennes. Ce prix est, rappelons-le, décerné à une personne, dans sa discipline, pour sa production intellectuelle, scientifique, artistique et son engagement humain et militant pour les valeurs humaines et universelles en faveur de la promotion des droits humains. Pour Fatma, il a été attribué pour son combat pour les droits civils et égalitaires entre les femmes et les hommes et pour l'ensemble de son œuvre universitaire. En fait, une reconnaissance d'un combat qu'elle mène depuis les années 80. Née en juin 1958 à El-Bayadh, elle est l'aînée de trois sœurs et d'un frère — décédé cette année des suites d'une maladie chronique — ses parents s'installent à Oran, plus précisément au quartier Bel-Air, dans sa version populaire. Son père, terrassier de son état, émigre en France, alors qu'elle n'a que sept ans, et sa mère devient chef de famille, alors qu'elle ne sait ni lire ni écrire. Une mère présente dans la vie de Fatma et qui sera comme un fil conducteur de son militantisme. Le rêve de cette mère de lire et d'écrire, ainsi que la condition des femmes de son quartier seront des balises dans son rétroviseur, forgeant un caractère qui l'aidera, plus tard, à se construire tant sur le plan personnel que professionnel. Une situation qui aura des incidences sur ses choix postérieurs, à l'université ou lorsqu'elle embrassera une carrière dans l'enseignement. Son premier rapport avec l'injustice elle le trouvera sur les bancs du collège de Tripoli lorsqu'elle sera orientée vers les classes arabophones au début de l'arabisation de l'enseignement. On est en 1974, et elle fait partie de ces promotions doubles victimes d'un choix arbitraire dans l'orientation et du niveau de l'enseignement d'alors. Fatma se rendra compte ainsi que d'autres élèves que le critère avancé par l'administration, à savoir un bon niveau en langue arabe, n'était que fallacieux puisque l'appartenance sociale était aussi une référence à prendre en compte. Ses années au lycée coïncident avec la dissolution de l'Organisation nationale des étudiants et la création de l'Unja en 1975. Elle participe à la mise en place de la coordination des lycéens, un cadre militant où elle côtoiera des étudiants et des étudiantes structurés dans des partis politiques clandestins. L'expérience du lycée lui permet de comprendre que si l'institution n'a pas mis en place une politique définie, individuellement, on ne pouvait pas lutter contre ces décisions. L'impact d'Octobre 1988 À l'université d'Oran, elle va intégrer le Comité pédagogique qui regroupait les enseignants et les étudiants sur l'état d'avancement de l'enseignement, et ayant le choix dans sa langue d'étude, elle revient vers une section francophone. Et c'est là où elle participe à sa première grande manifestation, en 1980, pour le premier blocage de l'avant-projet du code de la famille suivi d'un deuxième blocage, deux ans plus tard. Elle participe également aux manifestations de 1984 pour protester contre la promulgation du code de la famille. Et depuis, elle n'arrête pas. Son militantisme se nourrit avant tout de sa propre expérience, de son parcours personnel et puise ses forces dans ses propres convictions. Enseignante au lycée technique de jeunes filles d'Oran, Fatma s'investit clairement dans la lutte pour les droits sociaux et devient la secrétaire générale de la section syndicale de son lycée de 1982 à 1988 qu'elle quitte pour s'impliquer dans la défense des droits humains suite aux événements d'Octobre 88. Elle est membre du bureau de wilaya de la Ligue algérienne des droits de l'Homme de 1988 à 1990. Le 24 avril 1988, elle est confrontée une première fois à la police politique quand elle est poursuivie pour atteinte à la sûreté de l'Etat pour avoir fait circuler une pétition contre l'autonomie financière des entreprises publiques. Elle s'essaye par la suite au militantisme partisan en s'inscrivant sur une liste indépendante à Oran lors des communales en 1990 et adhère, un moment, au Pags. Elle reproduit l'expérience politique en avril 2007 lorsqu'elle se présente aux élections à la députation sous la bannière du RCD. Membre fondatrice de l'Afepec (Association féministe pour l'épanouissement de la personne et l'exercice de la citoyenneté), elle se rend compte qu'il faut se concentrer sur un axe pour plus d'efficacité. En 1995, elle crée avec un groupe de femmes, Fard (Femmes algériennes revendiquant leurs droits) avec, comme première présidente, l'avocate Malika Tilikete. Fatma Boufenik sera la présidente de l'association de 1997 à 2010. Son combat pour la cause des femmes remonte à plus loin que son combat contre l'injustice et la discrimination. Il est intrinsèquement lié à sa vie, à son vécu, en rapport direct avec sa mère et avec les femmes de son quartier. Elle se révoltait alors qu'elle était encore au collège et qu'elle devait écrire les PV de réunion des femmes de son quartier dans le cadre des activités de l'Unfa, des problèmes du quotidien et des difficultés administratives qu'elles rencontraient. Il était inconcevable, pour la militante en herbe qu'elle était, que ces femmes développent un discours loin des droits des femmes, anti-liberté, même s'il vient de leur construction socio-économique. Pourtant, elle respectait ce vivre-ensemble où personne ne jugeait l'autre parce qu'elle était travailleuse du sexe, mendiante, femme de ménage ou victime de violence. Femme de conviction, à conviction et pour les convictions, Fatma Boufenik garde toujours un regret dans un coin de son esprit, celui de n'avoir pas pu réaliser le rêve de sa mère de lire et d'écrire. Elle milite, à ce jour, pour l'égalité devant la loi entre les hommes et les femmes et plaide pour l'abrogation du code de la famille. Elle agit, également, pour les libertés individuelles et collectives et appelle à une liberté d'association et l'abrogation de la loi 12-06. Fatma Boufenik est enseignante, chercheure à l'université Mohamed-Ben Ahmed — Oran 2 — et experte en genre et développement économique. Elle est militante active dans le mouvement féministe et pour des droits civils et égalitaires. Titulaire d'une habilitation et d'un doctorat en sciences économiques, option analyse et développement, elle cumule une expérience de plus de 35 ans dans l'enseignement et la recherche ainsi que plus de 25 ans dans l'animation de sessions de formation-débat et en rédaction de recommandations relatives à l'institutionnalisation du genre dans les organisations gouvernementales et non gouvernementales. Elle a participé à plusieurs séminaires, colloques et a présenté des interventions sur l'intégration de la dimension de genre dans les politiques publiques. Elle est l'auteure de plusieurs études et publications sur le genre et le statut des femmes algériennes : l'autonomisation économique et financière ainsi que la participation des femmes dans la vie, associative, citoyenne et politique. Fatma Boufenik est fondatrice et directrice bénévole du centre Karima-Senouci pour l'accompagnement des femmes victimes de violences. Parmi ces actions militantes, elle est initiatrice de l'espace pour l'insertion socioprofessionnelle et autonomisation socioéconomique des femmes, mais aussi celui du réseau pour l'intégration du genre dans les pratiques associatives en Algérie.