Les citoyens délaissent le port de la bavette, l'usage du gel hydroalcoolique et tous les gestes barrières préconisées. En dépit de la persistance de la pandémie de coronavirus, des contaminations et des décès (même si les chiffres ont baissé à 40 contagions par jour et à quatre morts par semaine, selon la DSP d'Oran), de l'inquiétante apparition de trois variants et du récent durcissement des mesures de confinement dans plusieurs pays, les Oranais délaissent progressivement le port de la bavette, l'usage du gel hydroalcoolique et tous ces gestes barrières présentés par les autorités sanitaires du monde comme un rempart contre la propagation du virus. Si certains invoquent l'impossibilité de se prémunir à "100%" contre la maladie, d'autres allèguent la terrible dégradation des conditions socioéconomiques, ce que le sociologue Mohamed Mebtoul qualifie de "torture morale sous-jacente à une misère matérielle, une lassitude et une désespérance". Signes qui ne trompent pas sur les rapports que les Oranais entretiennent désormais avec le coronavirus, les véhicules de transport public sont régulièrement bondés, le port du masque de protection a régressé, y compris chez les personnels hospitaliers, et les mesures de distanciation ne sont plus respectées nulle part. Contrairement à l'automne 2020 où la prudence était de mise (encouragée, il faut le dire, par la rigueur des agents de l'ordre), l'anarchie règne dans les autobus : la plupart des usagers, sans bavette ou écharpe, n'ont plus peur de la foule et n'hésitent pas à s'engouffrer dans des véhicules bourrés. "Les taxis coûtent cher et je ne peux pas me permettre de débourser 300 DA pour me rendre au bureau et autant pour rentrer à la maison", explique une secrétaire, dont le lieu de travail se trouve à une quinzaine de kilomètres de son domicile. Elle a donc décidé de couper la poire en deux : partir en taxi et revenir en bus. Les risques de contamination ? "Je porte tout de même la bavette, mais impossible d'éviter le contact avec autrui. De toute façon, personne n'est à l'abri et, d'ailleurs, je n'ai pas le choix", jette-t-elle avec fatalisme. C'est ainsi que beaucoup de travailleurs et de travailleuses (qui ont la chance d'avoir gardé leur emploi malgré les retombées désastreuses de la pandémie sur le secteur économique) empruntent les transports collectifs avec tous les risques induits par l'inobservance des mesures de précaution. Malgré les engagements officiels, la même situation est malheureusement observée dans le transport ferroviaire, du moins en ce qui concerne les trains qui font la liaison entre Alger et Oran. Alors que la SNTF avait rassuré sur la prise de mesures de précaution, notamment en limitant le nombre de voyageurs, afin de réduire le risque du contact humain, des voyageurs ont affirmé avoir voyagé dans des wagons bondés. "J'ai fait Oran-Alger au premier jour des vacances scolaires dans un vvagon où il n'y avait pas une place vide, alors qu'on nous avait rassurés sur la vacuité de la moitié des sièges. Le train s'est arrêté dans toutes les gares. Il y avait aussi beaucoup de voyageurs debout. C'est vous dire", a dénoncé une vieille dame, en jurant ne plus refaire le voyage dans de pareilles conditions. "Je me suis plainte à un employé de la SNTF ; il a regretté que les gens ne respectent pas la distanciation. Mais c'est la SNTF qui a vendu les billets", s'est-elle encore insurgée. Banalisation Dans les structures hospitalières supposées donner l'exemple quant à la rigueur dans l'application des mesures de protection, la situation est à peine meilleure. Au CHU d'Oran comme à l'EHU ou dans d'autres structures, il n'est pas rare de croiser des professionnels de la santé bavette sur le menton, évoluant nonchalamment au milieu de malades et de visiteurs également sans masque protecteur. "Il est vrai que, pour des raisons de lassitude mais aussi de résignation face à une réalité pas facile, la vigilance a beaucoup baissé, mais nous sommes encore nombreux à faire attention", relève une généraliste évoluant dans un EPSP en déplorant l'inconscience de la population. "Un jour, une femme qui s'était présentée pour une consultation m'a carrément éternué au visage. Heureusement que je portais un masque protecteur, mais son attitude m'a ulcérée", se souvient le médecin, qui avait beaucoup prié pour que sa patiente indélicate ne soit pas porteuse du virus. Ailleurs, dans les bureaux de poste, les commerces et tous les lieux publics, la bavette est exigée à l'entrée. Mais seulement à l'entrée car, une fois à l'intérieur de l'établissement, l'usager la ramène sur le menton et ne se soucie plus de la transmission éventuelle du virus. Dans les tribunaux et les bureaux de poste (particulièrement la Grande-Poste d'Oran qui reçoit quotidiennement des centaines de personnes), la distanciation sociale n'est pas observée et, au plus fort de la fréquentation, justiciables et usagers s'asseyent épaule contre épaule dans l'attente, pour les uns, de comparaître devant le juge et, pour les autres, de s'avancer au guichet. Pour le Pr Mohamed Mebtoul, le problème réside fondamentalement dans la gestion horizontale de la crise et de la prise de décision sans concertation avec les populations et, donc, sans leur adhésion. "Les incertitudes ne sont pas questionnées collectivement pour aboutir profondément à des remises en question salutaires, à des perspectives qui permettent à la population de s'y reconnaître et d'y adhérer pleinement", dit-il, notamment en rappelant cette sentence sociologique qui veut qu'"on ne change pas une société par décret". "Il s'agit de la transformer avec et pour les populations qui sont les seules à pouvoir donner un sens au changement", continue Mohamed Mebtoul. Le sociologue a toujours estimé que les autorités doivent associer les citoyens dans les prises de décisions qui les affectent directement, afin de gagner leur confiance et leur consentement, condition sine qua non pour la réussite de n'importe quelle stratégie. Dans l'une de ses précédentes interventions, Mohamed Mebtoul avait, en effet, réitéré la "nécessité de retravailler profondément les notions de confiance, de solidarité et de responsabilité collective qui sont pour l'avenir de notre société des armes puissantes pour construire notre citoyenneté revendiquée par le Hirak". Autrement dit, autorités et population sont également responsables du recul de la vigilance, malgré la persistance de la pandémie et les risques, réels, d'apparition de nouveaux variants. "Nous avons la chance d'être relativement épargnés jusqu'ici, mais rien n'assure que la situation ne se dégrade pas du jour au lendemain", avertit Youcef Boukhari, responsable de la communication de la direction de la santé d'Oran.