Le mouvement tunisien Ennahdha a battu le rappel de ses troupes, ce samedi, pour un grand rassemblement destiné à apporter son soutien au gouvernement, à "la légitimité des institutions" et à la protection du "processus démocratique". Les milliers de manifestants qui ont afflué vers l'avenue Mohamed V, quadrillée par les forces de l'ordre dès la veille, ont scandé des slogans dédiés à la démocratie et à "la légitimité" et arboré l'emblème du pays. "Le peuple veut une stabilité politique, un Parlement stable et une renaissance nationale", a crié la foule sous un fond de chants patriotiques. Lors d'une prise de parole, le leader du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, a appelé tous les partis et toutes les forces politiques au dialogue, en évitant l'exclusion et la rancœur. "Le peuple veut le dialogue, n'aime pas le populisme et l'anarchie mais préfère la démocratie (...) Les Tunisiens considèrent que la révolution est encore d'actualité", a affirmé en substance le chef du parti. Placée sous le thème "La marche pour la stabilité et la défense des institutions", cette manifestation du principal parti en Tunisie a lieu, en fait, alors que le Parlement prépare une motion de censure en vue de la destitution de Rached Ghannouchi de son perchoir de l'ARP. Cette démonstration de force, à laquelle a appelé le leader du mouvement Ennahdha et qui intervient aussi au moment où la crise au sommet de l'état prend la forme d'un duel entre ce dernier et le président de la République Kaïs Saïed, aura servi à adresser un message politique au locataire du palais de Carthage prouvant sa capacité de mobilisation de la rue. Toutefois, cette marche n'a pas rassemblé tous les Tunisiens, comme elle n'aurait pas fait l'unanimité, y compris au sein même du parti de Ghannouchi et de tous ses alliés politiques, comme en témoignent la défection d'une figure connue de cette formation et le boycott du parti Al-Karama, principal allié d'Ennahdha, qui y voient une tentative d'instrumentalisation de la rue à des fins partisanes. Un membre du conseil de la présidence du parti Al-Amal a également accusé le parti islamiste d'aggraver la crise politique. "Par la manifestation organisée aujourd'hui, Ennahdha veut faire une démonstration de force et déplacer le conflit politique dans la rue", a-t-il alerté. "Ennahdha avait déjà agi de cette manière par le passé et a utilisé la rue pour ses luttes politiques. Et cela avait produit des conséquences désastreuses sur la vie politique et surtout sur la stabilité et la sécurité du pays", a-t-il déploré. Le député Attayar Hichem Ajbouni estime, quant à lui, que le parti islamiste cherche à camoufler ses échecs depuis dix ans de pouvoir. Le Parti des travailleurs a également tenu un rassemblement parallèle pour "dénoncer le système au pouvoir" et exprimer son "opposition au mouvement Ennahdha", parti majoritaire au Parlement, qu'il accuse d'être "responsable de la crise politique, économique, sociale et morale dans le pays". Un fait qui a poussé à l'interrogation des médias du pays s'il fallait bien y avoir recours pour prouver sa légitimité. D'aucuns parmi les observateurs de la scène tunisienne ont relevé aussi le caractère inopportun de cette démonstration, qui intervient dans une conjoncture où la Tunisie entrevoit le bout du tunnel de la crise sanitaire et vit la multiplication de nombreuses initiatives de sortie de crise. Dans ce sillage, l'entretien téléphonique entre le chef de l'exécutif, Hichem Mechichi, et le président de la République, Kaïs Saïed, est perçu par le gouvernement comme une démarche positive dans la bonne direction. "Les Tunisiens ont aujourd'hui besoin de ce qui les rassemble, pas de ce qui les divise. L'appel a contribué à briser la barrière psychologique entre les deux parties. La situation actuelle exige beaucoup d'audace face aux problèmes du pays", a estimé un conseiller du chef du gouvernement.