L'avocat d'affaires, Nasr Eddine Lezzar, aborde, dans cet entretien, les complexités liées aux modalités d'un possible rachat par l'Etat algérien des parts de Veon dans le capital de Djezzy. Liberté : La multinationale néerlandaise, Veon, a décidé de se retirer du marché algérien en annonçant la vente à l'Etat de la totalité de ses parts détenues dans Djezzy. Si cette transaction venait à se concrétiser, cela ne va-t-il pas créer un cas de position dominante ? Nasr Eddine Lezzar : L'Etat algérien détient 51% des parts dans le capital de Djezzy qu'il a rachetées en 2015 pour plus de 2,6 milliards de dollars. Les parts à céder par Veon sont de 45,57%. Djezzy deviendrait une entreprise totalement publique. Nous allons vers une "renationalisation" ou plutôt une étatisation de Djezzy. Face à cette problématique, l'Etat dispose de deux cordes à son arc pour éviter cette position de domination du marché, à savoir une ouverture du capital de Djezzy via la bourse ou la cession de la partie achetée à un fonds d'investissement étranger. Qu'est-ce que vous en pensez ? La cession ne peut, hélas, se faire par la bourse, qui serait le procédé idéal d'une détermination de la valeur marchande, car Djezzy n'y est pas cotée et la procédure de cotation serait très longue. Il est quand même frappant que la bourse d'Alger créée depuis bientôt un quart de siècle ne comprend que 4 sociétés cotées. Je ne vois pas l'utilité de céder à un étranger car l'investissement n'est pas lourd et le créneau rentable et aussi. À mon avis, le secteur est stratégique. Depuis 2015, date correspondant à l'achat par l'Etat d'une part de 51% dans Djezzy, la valeur de l'entreprise a chuté, tout comme ses résultats financiers. Ne faut-il pas s'attendre à un rachat au rabais des 45,57% des parts de Veon dans Omnium Télécom Algérie (OTA) ? Autrement, l'Etat peut-il négocier en position de force ? L'Algérie ne peut pas négocier en position de force car la cession des actions de Veon n'est pas subordonnée à l'autorisation préalable des services habilités qui n'est requise que pour les entreprises figurant dans la liste des secteurs stratégiques. Les télécommunications ne sont pas classées dans cette liste (art. 51 loi de finances complémentaire 2020). Rien n'empêcherait Veon de faire jouer la concurrence en cédant ou en feignant de céder à un tiers étranger, pour agir sur le prix. On s'oriente vers la mise en œuvre d'une clause du pacte d'actionnaires signé entre les parties qui prévoit un mécanisme d'évaluation par un tiers c'est-à-dire une expertise externe. Le procédé est, à mes yeux, opaque et suspect. On risque peut-être d'aller vers un litige sur l'évaluation de l'entreprise, et par ricochet sur la valeur des actions, et donc le prix de cession. Il ne faut surtout pas oublier le scandale de la surévaluation de Djezzy lors de la précédente cession (2015) où l'on avait évalué l'entreprise à 7 milliards et demi de dollars.