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Sur la route des “villages solaires”
Quand les Touareg se mettent aux energies nouvelles
Publié dans Liberté le 16 - 04 - 2006

Imehrou et Tamadjart sont deux villages parmi les vingt du Sud qui marchent à l'énergie solaire. Sept jours durant, nous avons suivi une équipe de la Sonelgaz qui devait y effectuer des travaux de maintenance. Le contraste est saisissant entre le caractère rudimentaire des z'ribate touareg et l'aspect “high-tech” des capteurs solaires. Journal d'une traversée cahoteuse sur la route de la lumière.
Etendu sur le sol, la tête appuyée nonchalamment sur le coude, M'barek, un jeune targui de 29 ans, regarde le temps passer, les yeux empêtrés dans le néant. M'barek n'est pas un hittiste car les huttes targuies d'Imehrou n'ont pas de murs. Non, il n'a rien du chômeur algérois, gouailleur et râleur. Etendu sur le sol, une radiocassette partageant sa h'ssira, il se prélasse sans avoir l'air de s'ennuyer.
En fait, ici, à Imehrou, le temps aussi fait la sieste. Timide, M'barek est tout en lenteur. Il n'est pas allé loin dans les études parce qu'il n'y a qu'une école primaire à Imehrou. Il ne travaille pas parce qu'il n'y a pas de boulot à Imehrou. Il ne sait pas ce qu'a balancé Bouteflika depuis Constantine ou si Illizi a accédé à la dixième division parce qu'il ne reçoit pas les journaux. Il n'écoute pas la radio parce que Radio Tassili, qui émet depuis Illizi, bute sur la muraille du Tassili N'ajjer. Il n'a pas de portable, puisqu'il est continuellement hors champ. Et la seule ville qu'il n'a jamais visitée c'est… Illizi. Et encore… “Il faut 10 000 DA pour louer un véhicule”, affirme-t-il.
Le village d'Imehrou se trouve à quelque 250 km au sud-est d'Illizi, dont 80 de pure piste. Quand il émergea enfin à l'horizon tel un mirage crépusculaire, nous n'avions plus de force. Il était 17h passées et nous roulions depuis 6h du matin à partir de Djanet. Il nous a fallu cinq bonnes heures pour traverser les 80 km de piste. Une piste escarpée et difficilement carrossable serpentant entre les oueds et les vallées du majestueux Tassili. Mais à peine arrivés au hameau d'Inejdad qui ouvre Imehrou, nous sommes saisis par un contraste fulgurant. D'un côté, des z'ribate et des huttes à l'ancienne, de l'autre, des panneaux solaires pour alimenter cette bourgade qui fait partie d'un programme d'électrification à l'énergie solaire de vingt villages de l'extrême Sud algérien qui vont d'Illizi à Tindouf, en passant par Tamanrasset et Adrar. Un projet fou. Comme cette expédition d'ailleurs au goût de safari.
C'est en “journalistes embedded” que nous embarquons Adlène Meddi d'El Watan et nous-mêmes en compagnie d'une équipe technique de la Sonelgaz, chargée d'inspecter les équipements photovoltaïques de ces “villages solaires”, les premiers du genre en Algérie. C'était le jeudi 6 avril. Le Boeing 737-600 qui nous transporte d'Alger vers Djanet est plein comme un œuf. Parmi les passagers, plusieurs touristes étrangers dont 22 Japonais venus explorer tous les sites classés du pays.
L'équipe de la Sonelgaz comprend cinq cadres, des ingénieurs pour la plupart. Ils font tous partie du Centre de recherches, d'études et de développement en électricité et gaz (Credeg), sis à Draria, département énergie renouvelable. Saïd Guezzane, le chef dudit département, conduit lui-même l'expédition, accompagné de Kamel Ghribi, responsable des normes, Samir Kerdjani, responsable du génie civil, Yahia Abed, technicien en maintenance, et Mourad Mouchache, photographe. Le gros de l'équipe sillonne le désert depuis 16 ans, c'est-à-dire depuis que le projet était à l'état embryonnaire.
Entre les canyons du Tassili
Le convoi s'est ébranlé depuis l'hôtel Ténéré de Djanet le vendredi 7 avril. Il est composé de trois 4x4 Toyota Land Cruiser qui devaient sillonner ergs, regs et h'madas une semaine durant en transportant hommes, provisions et matériel de couchage. Véritables chameaux mécaniques épousant l'aridité du relief avec une flexibilité de lézard.
Très vite, la magie opère. La route rougeâtre qui mène vers Illizi est époustouflante. Il fait bon. 20 à 22° C. À peine quelques dizaines de kilomètres franchis, extinction des réseaux portables et de toutes les pubs de téléphonie mobile. Vous êtes injoignables pour un bon moment et la civilisation tapageuse peut réessayer ultérieurement. Le silence s'insinue dans nos veines comme une infusion de Lexomil.
Halte à Bordj El-Houès où devait se joindre à nous notre guide, Yahia Ouaouane, incarnation du boudhisme zen en chèche et takouba. À présent, pleins feux sur le désert. Le vrai. 10h20 : pause-café (la dernière) dans une baraque perdue au lieu-dit Taoulaouate. À 140 km au sud d'Illizi, on bifurque sur une piste. Celle-ci s'annonce d'emblée impraticable. Un no man's land de caillasse et d'acacias, bordé de fulgurances graniteuses. Tout au long du trajet, Ammi Yahia nomme les monts qui forment le Tassili un par un, avec une précision de géographe. “Tout ça, c'est le Tassili, mais chaque mont a son nom. Koullou b'asmou” dit-il. À un moment donné surgit un paysage lunaire. Puis un canyon vertigineux au fond duquel gît une oasis verdoyante. Adlène exulte. L'impavide tout-terrain pousse encore, lutte avec le sol rétif. Les amortisseurs tiennent bon en dépit des secousses de rodéo qui malmènent le véhicule. Au terme de cinq bonnes heures de crapotage, de cahotements houleux et de crapahutage mécanique, le chameau de tôle s'immobilise enfin à l'entrée du village touareg d'Inejdad, l'un des deux hameaux constituant Imehrou.
Un homme d'un certain âge vient nous souhaiter la bienvenue. C'est le chef du village. Mohamed Krambi est manchot de la main droite. Une histoire de grenade comme Issiakhem. Le cérémonial du thé est bien sûr de rigueur. “Ici, la Sonelgaz est perçue comme le symbole de l'Etat” note Kamel Ghribi. “On ne peut ignorer ce peuple. Ces enfants ont droit à leur part de lumière” insiste Saïd Guezzane. Des modules de cellules photovoltaïques posés sur des plates-formes inclinées annoncent la couleur.
On appelle ce dispositif “le système” (rien à voir avec Larbi Belkhir). Il a été mis en service à partir de mai 2000. L'inspection du matériel se fait à raison d'une fois par an en moyenne. Deux systèmes de 3 kwc sont installés pour l'alimentation d'une douzaine de foyers. Ceux-ci, faut-il le signaler, profitent gracieusement de l'énergie électrique. Outre les systèmes installés par la Sonelgaz, on peut remarquer une pompe solaire surmontée d'un château d'eau. Il s'agit d'un don de la Sonatrach. Le panneau destiné à actionner la pompe solaire est sans clôture. Des chèvres et des enfants traînent autour. Il y a aussi une rangée de poteaux électriques censés être des lampadaires solaires. Ils ont été installés ceux-là, par l'APC d'Illizi. Ils sont inopérants faute de suivi. “Il ne sert à rien d'installer des équipements pareils si la maintenance n'est pas assurée” fera remarquer Samir Kerdjani.
Et la lumière fut !
Les Touareg disent “adhaou” (la lumière) pour désigner l'électricité. Le raccourci métonymique est lourd de sens. Depuis que ces villages ont été branchés au soleil, la vie des Touareg du désert, on le devine aisément, a été complètement chamboulée. Sont-ils contents pour autant ? M'barek répond “bof”… en haussant les épaules. Sédentarisés d'autorité depuis que Boumediene a décidé de placer des villages fixes au long des frontières libyennes — comme c'est le cas en ces contrées éloignées —, il fallait bien à un moment ou un autre qu'un smig de confort suive.
Mokhamed, 44 ans, père de quatre enfants, est employé au Parc national du Tassili. Dans la cour de sa maison (en dur) trône une parabole. Dans une pièce tapissée de sable, des enfants se sont agglutinés autour d'une petite télé branchée sur une chaîne arabe. La télé marche au soleil. Oui. Ce même soleil qui, habituellement, tape sur la tête et pas sur une parabole. Pour Mokhamed, il n'y a pas photo : les photons ont bouleversé positivement la vie du village. “L'électricité a complètement changé notre vie. Avant, on allait chercher l'eau dans les hassis (les puits). Aujourd'hui, nous l'avons dans le robinet grâce à la pompe à eau. Avant, on dormait dès la tombée de la nuit. Pour voir dans le noir, on devait allumer le feu ou se servir d'une torche. Maintenant, on peut veiller, jouer aux dominos, nous avons un ventilateur, on peut regarder la télévision. Rahmat Rabbi”.
Ammi Mohamed le manchot, lui, n'a pas de téloche. “Makanch edraham” dit-il. Toujours est-il qu'il a bien accueilli, lui aussi, l'arrivée de l'électricité dans le village, et le dispositif martien installé à cet effet n'est pas pour choquer son esthétique saharienne. “kounna aychine fedhlam”, lance-t-il. “Nous étions plongés dans les ténèbres”. “Barak Allah fe edoula” (louange à l'Etat). Dans sa maison, un poster de Bouteflika. “Les enfants regardent la télé chez les mouâlimin, dans la maison des instituteurs”, poursuit notre hôte autour d'un thé, avant de souligner : “La télévision fiha feyda bech lawled yatawrou” (“la télévision est d'un apport bénéfique pour le développement des enfants”). Des enfants marchant pieds nus. Exposés à toutes sortes d'agressions. Les écoliers n'ont toujours pas repris les classes à cause de l'état de la route qui retarde le retour des enseignants après les vacances. Un môme a le trachome. Une fillette s'est fait mordre par une vipère. Abdallah l'infirmier, lui a administré une dose de sérum résiduelle. La dernière. Il dit que cela fait des mois qu'il attend du renfort médical pour circoncire 40 enfants. D'ailleurs, la salle de soins est nue, à l'exception de quelques accessoires dont un frigo vide. D'où la caducité du mot “urgence”. Dans la foulée, le cheikh Krambi ne manquera pas d'énumérer toutes les choses qui manquent au village. L'homme insiste beaucoup sur le château d'eau construit pour accompagner la pompe solaire de Sonatrach : “Il n'est pas couvert. Nous buvons une eau sale. “Ennass yecherbou fel mardh”. Toute sorte de bestioles tombent dedans”, dit-il. Samedi 8 avril. Destination Tihoubar, hameau situé à 19 km du premier. Ici, un système photovoltaïque d'une puissance de 6 kilowatts-crête alimente quelque 12 foyers. Le cheikh Hamdou Ifri, chef du village, nous accueille à bras ouverts. Là encore, un décor hybride s'offre à nous, mélange hétéroclite de vie pastorale totalement rudimentaire et des pans d'une vie “normale”, avec électroménager, sieste métallique et tout le toutim. Mais toujours pas de couverture réseau. Toujours coupés du monde.
L'expérience des lampadaires solaires est, là aussi, malheureuse faute de maintenance. Saïd et Kamel distribuent discrètement des vivres, un lot comprenant les denrées de base du targui : thé, sucre, huile, lait et semoule. Il s'agit d'un don d'un bienfaiteur qui a souhaité s'acquitter de sa zakate sous cette forme. “De toute façon, l'argent ne sert à rien ici”, fait observer Kamel Ghribi. D'ailleurs, c'est une expérience forte que cette soudaine disparition de l'argent du champ des signes. Il n'existe pas la moindre épicerie dans tout le village. Tous les deux ou trois mois, un camion de l'APC ramène le “tamouil”, l'approvisionnement, et c'est tout.
Tamadjart : le black-out
Dimanche 9 avril 2006. 6h54. On lève le camp. Destination : Tamadjart. Le village se trouve de l'autre côté du goudron, à quelque 300 km au sud-ouest d'Illizi. On refait la piste cahoteuse jusqu'au carrefour Illizi-Afra-Tassat. On prend le chemin d'Afra. Il nous reste 150 km à franchir. Le décor change du tout au tout. De magnifiques masses sablonneuses s'étendent au pied des gorges du Tassili. Mourad immortalise chaque instant. Avec instinct. À l'approche d'Afra, au bout de 40 km de piste, surgit une guérite perchée sur un rocher. Barrage militaire. Ammi Yahia ricane quand Djemaï, le chauffeur, lui enjoint de mettre la ceinture de sécurité.
Tamadjart est plus rudimentaire encore que Imehrou. Pourtant, il compte 11 systèmes vue l'étendue du territoire. Une partie du village est sans électricité depuis plus de deux ans. Samir et Yahia changent un onduleur défectueux. Mais le système est toujours en panne. Les batteries ne répondent pas. Il va falloir revenir une autre fois, refaire le même périple pour les remplacer. Pendant ce temps, les habitants du village doivent encore ronger leur frein. Mohamed El-Qaïm, 24 ans, imam du village, originaire d'Adrar, récite une litanie de doléances au nom des tribus. “Nous manquons de tout. Sans électricité, comment voulez-vous que l'instituteur prépare ses leçons, que l'enfant étudie sereinement ? Nos vivres pourrissent très vite, on n'a pas où mettre les médicaments, la chaleur est insoutenable sans le ventilateur et puis, il faut d'autres équipements, ceux-ci ne suffisent plus. Ne sommes-nous pas des citoyens comme les autres ? N'avons-nous pas droit aux mêmes égards ? Ou alors ne nous connaissent-ils qu'à l'approche du vote ?!” Les clameurs de Tamadjart parviendront-elles aux bureaucrates d'Alger ? Le programme prend une allure de défi. Décidément, entre énergies nouvelles et dénuement millénaire, il n'y a pas “photon”…
M. B.


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