Cet auteur est bien connu en Algérie pour y avoir séjourné épisodiquement et entretenu des relations d'amitié ou d'intérêt avec des autochtones et des Européens de la colonisation de peuplement ou de la métropole. Quand on lit ses ouvrages, on a une tout autre opinion de l'écrivain colonial qui avait aussi la vocation de marin. Son écriture a cette particularité d'être trop choquante tant il ne ménage aucun personnage dans ses rapports avec les autres. Guy Dugas, professeur de littérature comparée à Montpellier, a dû faire un travail assez bien fouiné sur l'œuvre et la vie de l'auteur, pour arriver à la conclusion selon laquelle Pierre Loti a été accommodant avec les Algériens de l'époque coloniale. Le même chercheur en littérature dont le nom est ci-dessus donné semble avoir été intéressé par le journal de Pierre Loti pour son contenu indicateur de tous les traits de caractère de l'écrivain, de son expérience de la vie en société, de son intimité, de ses convictions. Guy Dugas en a extrait un passage qui en dit long sur ses rapports avec l'Islam et les musulmans dans leurs croyances religieuses : «Tout ce qui touche de près ou de loin à l'Islam m'attire, exerce sur moi un charme, et réciproquement aussi les musulmans de tous les pays semblent m'accepter et m'accueillir autrement qu'un autre... - comme si un peu j'étais des leurs», avait-il dit dans son journal. Un itinéraire hors des sentiers battus Il faut bien préciser qu'il s'agit d'un écrivain du pays colonisateur et qui a vécu une période déterminante de l'occupation (1850-1923). Jamais on aurait imaginé cet officier de marine devenir ami des Musulmans à cette époque car c'était loin d'être le cas de Guy de Maupassant, Alphonse Daudet, Fromentin, Louis Bertrand et combien d'autres qui ont servi la colonisation. Les romans impressionnistes de Pierre Loti ont donné à voir un écrivain attiré par la nature humaine dans tout ce qu'elle a de particulier, les paysages fortement nuancés, les civilisations exotiques. Autrement dit, il était fortement passionné d'exotisme à la manière des deux frères Jean et Jérome Tharaud qui ont parcouru des milliers de kilomètres à la recherche de situations, traditions, rites, habitants qui n'ont rien de commun avec ceux de leurs pays d'origine. Pierre Loti a beaucoup aimé la Méditerranée au point d'y aller plusieurs fois. Il a visité la Turquie mais c'est l'Afrique du Nord qui semblait l'intéresser le plus. Aux dires de Guy Dugas, son roman «Aziyadé» a été consacré à la sociologie et à l'histoire de la Méditerranée orientale à une période cruciale de cette région multiconfessionnelle et multiethnique, sur fond de ville historique comme Salonique qui a été dans sa longue histoire tour à tour grecque et turque. C'est une ville qui a fourni des hommes de la mer, des portefaix.Le titre «Aziyadé» donné à son roman, a une coloration turque. Pierre Loti a fait dans les villes de l'Empire ottoman des séjours qui lui ont beaucoup fait voir : métiers rares en Europe comme cireurs de souliers, porteurs d'eau. C'est peut-être le caractère exotique de l'ambiance turque qui a donné à Loti l'envie de venir en Algérie nouvellement colonisée. Il avait été attiré par la révolte d'El Mokrani en Kabylie. D'Algérie, il partit ensuite au Maroc et en Tunisie pour découvrir ce qu'il y a de plus beau et d'original dans ces pays qui ne lui ont d'ailleurs réservé que des surprises. Le roman épistolaire marqué par deux correspondances Ce qui l'a poussé à aller en visite dans ces pays d'Afrique du Nord, c'est le refus de se soumettre de ces pays nouvellement conquis. Mais le voyageur étranger peut être, au-delà de la sympathie, de l'amitié ou de l'amour qu'il s'est efforcé d'exprimer par ses propos dominés par les salamalecs, un agent de renseignements au service d'une cause coloniale commune à l'écrasante majorité de ses concitoyens en France ou en Afrique du Nord et au Maghreb. C'est ce qui rend surprenantes deux correspondances comme celle adressée Salah Ben Aziz El Haddad en 1891. Cela s'est passé à Béjaïa dès l'arrivée d'un bateau venu d'Annaba. «Le Formidable» est ce bateau qui avait fait escale à Béjaïa pour apporter au petit- fils de Cheikh El Haddad une réponse de Loti à la demande d'amnistie faite par le correspondant en faveur de son père et de son oncle, déportés en Nouvelle-Calédonie pour avoir participé au soulèvement de 1871. Mais ces deux condamnés à la déportation avaient pris la fuite pour aller se réfugier en Arabie. Salah qui avait été scolarisé au lycée à Alger, comme l'avaient fait les Romains pour Juba II, demandait la restitution des terres de la confrérie El Haddad, confisquées par les colonisateurs. La deuxième correspondance a été adressée à Omar Racim, père ou grand-père miniaturiste, condamné pour ses activités nationaliste au sein du mouvement Jeune Algérien. Les Racim entrent en contact avec Pierre Loti sous le prétexte qu'il était bien introduit dans les cercles du pouvoir métropolitain, pour demander un allégement de la peine infligée à leur fils emprisonné à Barberousse.