Le football sait aussi provoquer son histoire, voire même les faits qui lui sont collés. On parle football mais pas de ce que le foot peut produire. On parle foot mais pas assez de ce qui le caractérise ou encore très peu de son implication dans la vie économique, sociale et même politique. C'est un peu ce que propose la rédaction de Jeune Afrique dans sa dernière livraison. Le rédacteur trace un itinéraire qui va de «Conakry à Yaoundé» et dans ce chemin il éclaire les conséquences de la place qu'occupe la balle ronde dans la politique. «Le ballon rond, tout le monde s'en mêle, à commencer par les chefs d'Etat. Et si les excès de Mobutu ou de Sékou Touré ne seraient plus admis aujourd'hui, l'ingérence n'est jamais très loin». Dans son article l'auteur tenta d'expliquer ou plutôt de lever le voile sur ce que la balle ronde peut modifier dans un schéma d'un pays. «Le rétropédalage est parfois l'affaire d'un simple coup de fil. Qu'un joueur majeur évoque la fin de sa carrière internationale à un moment jugé inopportun au plus haut sommet de l'Etat et, en quelques minutes, il n'en est déjà plus question». Un début d'une histoire qui aurait eu le mérite d'être lue en cette période des grandes vacances ou encore de ces grandes chaleurs. Le journaliste évoque le cas de Samuel Eto'o qui avait en 2012 voulu prendre sa retraite sans le feu vert de Paul Biya, le président camerounais, mais celui-ci chargea Philémon Yang, son Premier ministre, de «convaincre l'impétueux buteur des Lions indomptables de reconsidérer sa position. Ce qu'il fit, d'ailleurs». Que ce soit en Afrique ou ailleurs, les pays entretiennent «une relation passionnelle avec le football, elle reste un moyen d'assurer la paix sociale et de servir les intérêts des chefs d'Etat. Quand la rue gronde après une mauvaise performance, le pouvoir se sent obligé d'affirmer son autorité», souligne Paul Dietschy, professeur d'histoire contemporaine à l'université de Franche-Comté et auteur d'Histoire du football (Editions Perrin, 2010). L'histoire vécue par Eto'o ainsi, au Cameroun, est un cas d'école. Aujourd'hui, encore elle est au cœur des commentaires. On évoque encore comment «Paul Biya qui ne s'est pas contenté de tirer les oreilles d'Eto'o en confisquant l'un de ses passeports mais lui avoir demandé des explications sur la désastreuse Coupe du monde brésilienne des Lions en juin 2014. L'autre bêtise commise par le chef de l'Etat était au regard des mauvais résultats du football camerounais depuis des années, il décida, trois mois plus tard, de retirer au ministère des Sports tous ses pouvoirs sur les équipes nationales pour les confier à la Fédération camerounaise (Fecafoot), dans le but de mettre un terme à l'ingérence et à la corruption, l'autre sport national du pays. Rappel du rédacteur de Jeune Afrique Un acteur du football camerounais donna une autre version : «ceci afin que la sélection cesse d'être une source de revenus pour certains fonctionnaires du ministère qui en profitaient pour se servir. Cela ne va peut-être pas tout arranger, mais c'est une avancée». Pire encore, selon le journaliste «Paul Biya a non seulement effectué ce transfert de compétences via un décret qualifié au pays de «révolutionnaire», mais il a aussi imposé que l'ensemble des joueurs internationaux, toutes catégories confondues, respectent les obligations édictées par la Fifa, la Confédération africaine de football (CAF) et, bien sûr, la Fecafoot, sous peine de ne pas pouvoir porter le maillot national». Pour éviter toute déchirure de leurs équipes nationales, la majorité des Etats africains préfèrent intervenir financièrement que de les laisser couler, au regard de l'absence de sponsors. Un naufrage serait désastreux au plan social, économique et même politique du pays. Il faut savoir confie le Français Patrice Neveu : «En Afrique, c'est l'Etat qui règle le salaire du sélectionneur, prend en charge les déplacements de l'équipe nationale, verse les primes...Il s'estime donc en droit de s'occuper des affaires du football». Français Patrice Neveu, a dirigé quatre sélections nationales (Niger, Guinée, RD Congo, Mauritanie) et a appris à composer avec les interventions plus ou moins intempestives de l'entourage présidentiel. «Il y a les convocations, où l'on vous demande pourquoi vous avez sélectionné tel joueur et pas un autre, sourit Neveu, ou encore les descentes d'un ministre des Sports dans le vestiaire à la mi-temps... Lors de son passage au Cameroun (1999-2001), Pierre Lechantre a vite assimilé les considérations ethniques et linguistiques du pays. «On m'a fait comprendre qu'il était souhaitable de sélectionner des anglophones, afin de respecter des quotas», raconte t-il. «Quand j'étais en Guinée [2006-2009], on m'a imposé des adjoints guinéens alors que j'étais venu avec un staff français. On peut céder sur certains points, mais ne pas tout accepter», intervient Robert Nouzaret, qui a également entraîné la Côte d'Ivoire et la RD Congo. Ces cas d'exemples restent encore accrochés à cette histoire du foot en Afrique. Des faits qui décortiquent le corps du foot.Ecrire devient alors un amusement pour les journalistes ou étudiants. Le sélectionneur des Lions de Teranga Guy Stéphan, se rappelle de la manière dont il a été limogé. C'est en plein été 2005, qu'il fut informé, non pas par la Fédération de football sénégalaise mais bien plus par le Premier ministre, et ce, après deux ans et demi de bons et loyaux services et seulement deux défaites en matchs officiels. Pour Vahid Halilhozic, qui avait pourtant qualifié la Côte d'Ivoire pour la Coupe du monde 2010, il fut informé par fax de son limogeage après une CAN angolaise ratée. Un autre cas d'école rapporté par le journaliste de Jeune Afrique. «C'est Jacques Anouma, alors président de la Fédération et proche de Laurent Gbagbo, qui a envoyé le fax, avance une source ivoirienne. Il se disait à l'époque qu'Anouma aurait lui-même été mis en difficulté s'il ne s'était pas séparé du Bosnien. Le président socialiste avait en effet misé sur une victoire des Eléphants en Angola pour favoriser sa réélection à la fin de l'année... Mobutu Sese Seko avait compris que le foot était mobilisateur. Pour des pays qui venaient d'obtenir leur indépendance, une adhésion à la Fifa était presque aussi importante qu'une reconnaissance aux Nations unies. C'était considéré comme une revanche vis-à-vis des anciennes puissances coloniales, se souvient Paul Dietschy. Mais Mobutu ne supportait pas quand cela n'allait pas comme il le voulait». , Remontant le cours de l'histoire, le journal de se référait aux années 1974 lors de la Coupe du monde 1974 en Allemagne de l'Ouest. «Après avoir fait les poches de ses concitoyens pour lever l'«impôt Coupe du monde», le Léopard de Kinshasa menaça d'envoyer tous les joueurs derrière les barreaux s'ils persistaient à ne pas vouloir affronter la Yougoslavie lors du deuxième match de poule, sous prétexte d'une prime détournée par des proches du pouvoir». Le football est devenu une arme qui stabilise ou déstabilise les économies d'un pays. La paix sociale passe aussi par le résultat donc la qualification de l'équipe lors des grandes compétitions. Le Zaire, voilà une autre fiche qui démontre la place que peut occuper ce sport dans un Etat africain où les ressources financières ne sont pas éclatantes. «Horrifiés par la perspective de croupir dans les geôles de la prison de Makala, les Zaïrois enterrèrent leur projet de grève, mais s'inclinèrent 9-0. Une humiliation pour Mobutu qui prévint ses joueurs qu'ils ne remettraient pas les pieds au pays s'ils perdaient face au Brésil par plus de trois buts d'écart. Les Sud-Américains s'imposèrent, mais seulement par 3-0. » En 1976, face au MC Alger avec la défaite du Hafia Conakry en finale de coupe de clubs champions africains, le marxiste guinéen Sékou Touré «s'est montré capable de suspendre des joueurs et de virer le ministre des Sports ainsi que les cadres de la Fédération qui avaient eu la mauvaise idée d'accompagner le club en Algérie», écrit notre confrère et d'ajouter que «Dès le début de son règne (1958-1984), il avait par ailleurs décidé que seuls les joueurs encartés au Parti communiste méritaient de figurer sur les feuilles de match.» Qu'en est-il aujourd'hui ? C'est peut être la question qui résistera encore longtemps très longtemps dans la vie de ce sport. Une question qui ne trouvera nulle part ses éléments de réponses. Il serait selon l'analyse du journaliste difficile de prévoir un retour à la normale. «Les joueurs, en tout cas ceux qui évoluent en Europe, ne voudraient plus porter le maillot de leur pays, reprend Dietschy. En Afrique, la vie associative ne s'est vraiment affirmée que dans les années 1950. Le sport a pris une grande place, stratégique même, capable de faire vivre la fiction de l'Etat-nation, de mobiliser le peuple pour une cause commune et d'affirmer son chauvinisme.» Un autre exemple plus frappant encore : «janvier 2000, en Côte d'Ivoire, agacé par l'élimination des Eléphants au premier tour de la CAN au Ghana, le général Robert Gueï expédia les joueurs au camp militaire de Zambarko, près de Yamoussoukro, où pendant deux jours ils eurent droit aux cours de civisme, aux marches au pas et au lever des couleurs.» Voilà ce qui confirme que dans de nombreux pays, hélas « Le football en Afrique est un instrument de propagande. Quand je suis parti en 2002 jouer en Libye à l'Al-Ittihad Tripoli, les Kadhafi cherchaient à réhabiliter l'image de leur pays par tous les moyens, et le sport en était un », confie l'ancien international camerounais Patrick Mboma. «Saadi Kadhafi était à la fois joueur, président du club et de la Fédération. Il était capable de faire taire tout un stade d'un seul geste. J'ai voulu quitter le pays car on ne me payait pas, mais les autorités m'avaient pris mon passeport. Puis j'ai prétexté un voyage pour les fêtes de fin d'année, en décembre 2002. Ce n'est qu'à l'escale en Italie que j'ai compris que j'étais en sécurité. Car les Kadhafi avaient tous les pouvoirs, y compris celui d'arrêter un avion pour faire revenir celui qu'ils considéraient comme un fugitif...» Enfin, le dernier cas est encore vivant dans les esprits et notes des supporters, journalistes et observateurs. C'est celui de 2014 où un chef d'Etat décide d'organiser une phase finale de CAN deux mois avant son coup d'envoi, comme l'a fait le président équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema en novembre 2014, après le désistement du Maroc et une visite du président de la CAF, Issa Hayatou, à la recherche d'un pays capable d'accueillir sa compétition phare. Notons qu'en Algérie, cet esprit et dans quelques pays du Maghreb, les dirigeants encouragent et soutiennent mais ne s'immiscent pas dans l'organisation ou encore dans la gestion des équipés nationales.