Admis à l'hôpital de Birtraria dans un état grave, Abderrahmane Bouguermouh nous quittait le 3 février 2013 à l'âge de 77 ans. Victime d'un accident de la route en 2007, Bouguermouh en avait gardé les séquelles, d'où de fréquents séjours à l'hôpital. Son décès a jeté l'émoi parmi toute la corporation et les nombreux proches et amis du cinéaste. Abderrahmane Bouguermouh s'était fait connaître en réalisant le premier film entièrement en kabyle -«La colline oubliée »-, une adaptation du roman éponyme de l'écrivain Mouloud Mammeri. Même si le film est sorti en 1997, l'intérêt du réalisateur pour ce chef d'œuvre de la littérature algérienne remontait à 1957, date à laquelle le réalisateur et l'écrivain se rencontrent. Là, naît l'idée d'adapter le roman à l'écran. A ce titre, Bouguermouh a confié un jour : « Des scénarii sur la Kabylie, il y en a eu beaucoup. J'ai choisi «La colline oubliée» parce qu'entre l'auteur, Mouloud Mammeri, et moi il y avait un serment : si l'honneur nous revenait un jour de faire le premier film en berbère ce serait «La colline oubliée». C'est sa première œuvre romanesque et pour le naïf bouquiniste que j'étais alors, mon monde à moi pénétrait enfin dans ce premier roman kabyle, après avoir avalé bien des classiques de la littérature universelle où je nous cherchais en vain. Il y a aussi ce contrat passé avec la Kabylie : œuvrer pour la renaissance de sa culture. +La Colline oubliée+ est aussi un beau roman qui décrit les années terribles de la deuxième guerre mondiale. Le malheur était partout et quelques éclats ont brûlé ma toute jeune mémoire. Il est tout à fait normal qu'un premier film remonte à ces premiers souvenirs, ceux qui vous laissent des stigmates pour la vie. » C'est en 1968 que le scénario du long métrage est déposé mais il ne recevra l'aval du ministère de la Culture qu'en 1989. Le CAAIC met à la disposition de Bouguermouh le matériel de tournage ainsi que l'équipe technique et lui, doit se charger du montage financier. Dur de réunir l'argent nécessaire. Un comité de soutien se constitue, alors, composé de personnalités de la culture et des arts, de même que la population de Kabylie et les administrations locales impliquées dans le projet de ce film. Le tournage démarre enfin, dans un village de la commune d'Ath Yenni, il dure deux ans pour les considérations sécuritaires de l'époque. Le film rencontre dès sa sortie un grand succès. Le riche parcours de Bouguermouh Abderrahmane Bouguermouh a vu le jour le 25 février 1936 à Ouzellaguen. Après des études secondaires à Sétif, il rencontre en 1957 l'écrivain Mouloud Mammeri, c'est le début d'une longue amitié. Après un passage à l'IDHEC (Institut des hautes des Etudes Cinématographiques) en 1960, Bouguermouh réalise des émissions de variétés pour la télévision, RTF, à Cognac Jay. Il adapte en 1965 en berbère, le texte de Malek Haddad « Comme une âme », suivi de 1965 à 1968 d'une série de documentaires. En 1967, il réalise « La grive » qui recevra plusieurs distinctions. En 1973, il collabore avec Mohamed Lakhdar Hamina sur son long métrage « Chronique des années de braise » et, cinq années plus tard, il réalise pour le compte de la télévision « Les oiseaux de l'été », suivi en 1980 de « Kahla ou beïda ». Sorti en 1987, « Cri de pierre » rencontre également un grand succès et sera plusieurs fois primé. « La colline oubliée » reçoit quant à lui l'Olivier d'Or du Festival international du film amazigh de Tizi-Ouzou en 2012. Une œuvre porteuse de messages Dès ses premières réalisations, Abderrahmane Bouguermouh s'est distingué par une œuvre forte, porteuse de messages. Ouvert sur l'universalité, il était attaché à la culture de ses ancêtres mais ne reniait pas non plus celle d'autrui. Pour ce qui est de « La colline oubliée », le cinéaste a dû faire le tour des villages de Kabylie et de l'Algérie profonde pour donner naissance à la première image cinématographique en langue kabyle. Ainsi, il emboîtait le pas au regretté Mouloud Mammeri qui a dit: «Nous avons tracé les premiers jalons de la berbérité, à vous de continuer.» Lors d'une interview accordée, il y a quelques années, Bouguermouh avouait avoir été appelé pour réaliser Fadhma N'soumeur, El Mokrani et bien d'autres films mais la première condition qu'il avait posée était qu'on mette sur la table dix milliards rien que pour la préparation car des hommes et des femmes de cette dimension historique méritent, selon lui, des moyens à la mesure de leur héroïsme et de ce qu'ils symbolisent. Professionnel et exigeant, Abderrahmane Bouguermouh a vu plusieurs de ses projets et rêves tomber à l'eau faute de moyens humain et matériels. Il nous aura, heureusement, laissé plusieurs œuvres d'une grande intensité qui restent des repères pour les jeunes cinéastes d'aujourd'hui et demain, afin qu'ils puissent s'en inspirer.