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Deux métiers manuels difficiles
Publié dans La Nouvelle République le 16 - 07 - 2018

Deux vieillards se sont rencontrés fortuitement en un lieu insolite, ils parlent de tout et de rien avant de déboucher sur leur vie professionnelle qui leur a pris un peu plus d'un demi-siècle.
L'état de leurs mains ; leur manière alerte de poser des questions, d'interroger, leur savoir-faire dans les enchainements indiquaient bien qu'ils avaient un passé hors du commun. Qu'as-tu fait dans ta vie demanda l'un. «Maréchal ferrant» s'empressa de répondre l'autre en ajoutant qu'il avait le pressentiment d'avoir affaire à quelqu'un d'habile dans son domaine d'activité et de fortement expérimenté ; effectivement j'ai été laboureur pendant soixante ans, réplique ce dernier.
A quinze ans, j'ai commencé à tracer mes premiers sillons sous l'œil vigilant de mon père. Un métier difficile mais noble et enrichissant. Le maréchal ferrant a exercé lui aussi jusqu'à quatre vingts ans, après plus de cinquante cinq ans de métier difficile qui demande beaucoup de qualités comme la disponibilité permanente vis-à-vis d'une clientèle de plus en plus nombreuse et demandeuse, l'application au travail, l'amour des bêtes !
Pour en savoir plus sur leur vie il est bon de reconstituer leurs récits parfois poignants dans différentes péripéties de l'exercice de leur métier. Le laboureur a commencé naturellement à raconter comme si elle était gravée en lui tant aucun détail ne lui échappait alors que certains faits remontent à des dizaines d'années en arrière. Nous sommes, dans notre famille, cultivateurs de père en fils et lorsque ce fut mon tout, la transmission s'est faite sans ambages.
Le moment fut venu et on m'attela à la noble mission, celle que j'ai exercée toute ma vie, il n'y eut point de résistance de ma part. Je n'avais que seize ans lorsque mon père me confia la charrue avec la certitude que j'allais accomplir ma tâche convenablement. Ma première journée de labour a été jugée correcte et ce fut pour moi comme un examen de passage. Naturellement, je n'étais pas la perfection au premier essai, mais j'avais été jugé perfectible. On pouvait compter sur moi pour devenir plus tard un cultivateur attitré.
Pour que l'on vous confie une charrue, il fallait dès le départ donner la preuve d'un certain nombre de qualités : un sens des responsabilités digne des adultes en respectant les horaires de travail en faisant de son mieux pour la satisfaction des clients et du temps exigé par chaque surface. La superficie d'un champ est calculée en nombre de jours de labours. Si un propriétaire terrien a l'habitude de labourer son champ en huit journées et que vous mettiez douze jours pour le labourer, on va penser à une forme de tricherie. De plus, la qualité du travail est de rigueur : le laboureur doit savoir tracer des sillons en profondeur pour rendre la terre fertile : dès les premières pluies, elle se laisse pénétrer par d'abondantes pluies qui la rendent fertiles. Il ne pas faut oublier que dans la tradition, on cultive ses propres terres mais surtout celles des autres, ceux qui les possèdent et qu'ils font mettre en valeur par les hommes de métier, les laboureurs à qui ils n'ont jamais cessé de faire appel.
Les laboureurs, on se les dispute car de mon temps, le nombre de laboureurs ne suffisait pas. Il fallait attendre son tour, parfois longtemps tant la demande était forte. On était d'autant plus sollicité que notre travail était bien fait Notre famille était parmi les meilleures et de ce fait on travaillait continuellement pendant les moments des labours. Et, au fil des années je fus confirmé par mon père comme laboureur en titre. Lui et moi, on a travaillé chacun de son côté. On avait deux charrues et deux paires de bœufs.
Le travail allait bon train pendant quelques décennies avec le vieux puis d'autres décennies seul. On peut imaginer le temps que cela a demandé, une carrière de laboureur de très longue durée. Ce fut le cas de tous les travailleurs de la terre qui exerçaient des métiers libéraux jusqu'à la fin de leur vie, et s'ils sont en bonne santé. Le maréchal ferrant était suspendu aux lèvres du laboureur qui racontait tant le récit de sa vie l'intéressait. Je vous trouve admirable pour votre courage et votre sérieux. C'est pas fini, lui dit-il, la vie de laboureur n'est pas que ça. Ecoute attentivement.
Le laboureur doit s'imposer de bonnes habitudes dès le départ : se lever tôt, être vigilant pour le travail, chercher à toujours satisfaire la clientèle pour que celle-ci ne trouve rien à redire, c'est là un des facteurs d'une bonne renommée. Le cultivateur doit être, maître de la parole, mais pas du bavardage. Il s'agit «du parler» des sages fait d'expressions significatives et de formules rituelles de politesse pour prendre la parole, ou pour finir de parler, sinon pour répliquer aux propos d'un interlocuteur.
C'est tout l'art du verbe des anciens qui s'expliquent sans se froisser et qui règlent leurs différends intelligemment. Le laboureur qui savait également faire marcher les bœufs dans leurs sillons qu'ils tracent en acceptant de se laisser guider par le maître qui leur donne de petites tapes avec son aiguillon, long bâton qui sert à aiguiller les bêtes à chaque fois que celles-ci dévient de la voie.
Et le laboureur a un langage spécifique pour communiquer avec ses bœufs de labour. Pendant tout le temps qu'il laboure, parfois du matin au soir, il leur parle en disant avec insistance : attention, toi de la droite redresse toi, quant à toi le gaucher tu ne veux pas qu'on te dise, suis ton frère qui est plus adroit, écoutez-moi ! si vous voulez qu'on termine bien la journée, restez sages, je vous donnerai à manger du bon fourrage.... et ainsi de suite. Les bœufs tracent paisiblement les sillons, donnant l'impression de bien écouter les paroles de leur maître.
A force d'écouter, les bêtes finissent par reconnaitre les paroles prononcées sur un ton doux et puis, moyennant une bonne alimentation à base d'orge et de son et une literie de paille, elles comprennent qu'elles sont bien traitées et deviennent de ce fait bien obéissantes. Et que d'astuces personnalisées il a fallu mettre en œuvre pour se faire aimer de ces animaux ! Quand elles tombent malades, il faut les comprendre en évitant surtout de les faire travailler. C'est tout un art la pratique du métier qui englobe l'art d'aimer les bêtes, partie intégrante d'une culture ancestrale.
Ayant eu l'impression d'avoir trop écouté son partenaire, l'ancien maréchal ferrant enchaina vite pour ne pas rater l'occasion de raconter sa vie pleine de situations rocambolesques. «On voit que tu as été marqué par ton métier, c'est ta vie, ton gagne pain. Moi aussi j'ai beaucoup galéré et peut-être plus dans l'exercice de mon métier. Toute ta vie tu t'es appuyé sur les bêtes de trait pour gagner ton pain, quant à moi j'ai travaillé sur les bêtes de somme : mulets, ânes, chevaux ; des animaux de compagnie qui ont rendu de grands services à l'homme mais pas toujours accommodants, certains sont même réputés pour leurs comportements sauvages, telle la mule difficiles à domestiquer.
J'ai travaillé devant ma boutique et sur les places des marchés. Pendant cinquante ans, j'ai vu toutes sortes de bêtes : des douces, des nerveuses, des imprévisibles, des méchantes, intouchables. Les plus dures à ferrer sont les mules, elles ont pour habitude de lancer des ruades capables de vous démolir en vous envoyant au loin. Je ne sais pas si vous connaissez la fable célèbre admirablement racontée puis chantée par Slimane Azem «Le lion, le mulet et le chacal».
Il était une fois, ces trois animaux étaient curieusement devenus des amis. Ils sortaient le matin de bonne heure pour ne rentrer que tard le soir, après s'être bien empiffrés de nourriture. L'herbe grasse et le gibier étaient abondants. Mais à l'approche de l'hiver avec le froid, la pluie et la neige, le gibier se raréfiait, le lion et le chacal devenaient de plus en plus tristes. Ils parcouraient bois et buissons, il n'y avait pas trace de la moindre proie à se mettre sous leurs crocs alors que leur compagnon, le mulet continuait à se nourrir au point de devenir gros et gras. Puis n'ayant pas 2mangé pendant plus de dix jours, une idée germa dans la tête du chacal, vite il en informa le roi de la jungle qui la trouva extraordinaire : manger le mulet et s'offrir ainsi un festin pour des jours.
Mais pour cela, il fallait mettre à exécution un prétexte : demander au mulet de rapporter l'histoire de ses origines. Immédiatement le lion appela leur compagnon herbivore pour le mettre en garde : tu as été notre compagnon, mais nous commençons à avoir des doutes sur tes origines, il parait que tu descends de l'âne et s'il s'avère que cela est vrai, nous devons te manger. Ayant dit ces mots graves, le mulet partit d'un pas décisif en promettant de rappliquer le plutôt possible. Il alla droit vers un maréchal ferrant à qui il demanda de bien lui ferrer les sabots.
L'artisan lui fit le nécessaire en veillant bien a la solidité des fers et à la grosseur des clous. Et sitôt la tâche achevée, le mulet revint, sûr de lui-même auprès de ses traitres compagnons qui l'attendaient impatiemment. Venez lire toute mon histoire, elle est inscrite sur mes sabots. «Lis- la» dit le lion au chacal. Celui-ci s'approcha mais s'arrêta à bonne distance, il avait pressenti un danger en apercevant la brillance des fers. Ils paraissaient épais et pourvus de gros clous saillants.
«L'écriture est trop petite, il n'y a que les gens lettrés comme toi qui peuvent la déchiffrer» répondit-il. A ce moment le lion affamé, peut-être tenté de saisir fortement sa proie par le cou, s'approcha de ses pattes arrières pour lire. Immédiatement le mulet qui s'était senti flairé lui fait une ruade qui envoya le lion au loin la tête fracassée. A ce moment là le malin chacal comprit qu'il n'avait pas intérêt à rester. Il prit vite la fuite à la manière de ses semblables quand ils se sentent en danger.
Cette histoire mérite d'être rappelée pour mieux être convaincu sur les difficultés, voire les dangers que comporte notre métier. La race du mulet est la plus dure à ferrer. Le mulet ressemble beaucoup à un âne de grande taille, son cousin germain, mais il a la force d'un cheval, autre cousin germain ; et quand il est méchant, il devient redoutable. Moi, au cours de ma longue carrière de maréchal ferrant, j'ai ferré des milliers de mulets.
A chaque fois il a fallu se méfier pour ne pas recevoir des coups de sabots capables de vous écrabouiller le visage au point de vous rendre méconnaissable à vie. Quand un propriétaire me ramène une bête méchante il prend la précaution de venir accompagné d'hommes valides pour la tenir immobile au moment de mon travail consistant d'abord à arracher les vieux fers usés puis à tailler la surface à l'aide d'un outil tranchant et enfin à placer le nouveau fer et à le fixer solidement à l'aide de gros clous. On répète le même travail pour chaque patte. Les chevaux sont les plus faciles surtout quand ils sont éduqués, ils se laissent faire.


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