Au XIXe siècle, certains ouvrages se paraient d'une couverture verte du plus bel effet. Une teinte obtenue à l'aide d'un savant mélange de potassium, de cuivre et d'arsenic, ce qui n'est pas sans désagrément. En cas d'exposition prolongée, étourdissements, crampes d'estomac et irritations peuvent survenir. Les bibliothèques du monde entier procèdent à des inventaires, et un nouvel outil pourrait accélérer l'identification des volumes concernés… Connue depuis quelques années, la problématique des livres « toxiques » a été prise au sérieux par la communauté internationale des bibliothécaires, qui s'est lancée dans une vaste entreprise de catalogage. Aux Etats-Unis, une base de données partagée, le Poison Book Project, a même été ouverte afin d'identifier et de localiser les exemplaires concernés. En effet, si une exposition de courte durée n'est pas dangereuse, une simple consultation peut déjà provoquer divers désagréments, des étourdissements aux crampes d'estomac, en passant par des épisodes de diarrhée. Bibliothécaires et chercheurs doivent donc être informés de la présence d'arsenic dans les ouvrages, afin de prendre les précautions nécessaires. L'université de St Andrews, en Ecosse, est, comme d'autres établissements universitaires, confrontée à la conservation de livres « toxiques » au sein de ses collections. En collaboration avec l'Ecole de physique et d'astronomie de l'établissement, l'institution a mis au point un outil capable de « détecter rapidement et à moindre coût les pigments toxiques dans les reliures d'ouvrages ». D'après l'université, les tests proposés actuellement sont relativement coûteux et, surtout, chronophages. La Dr. Pilar Gil, qui a mené les recherches sur le sujet, explique qu'« un appareil utilisé par l'Ecole des sciences de la terre afin de détecter des minéraux dans des roches » a constitué le point de départ pour la conception de cette nouvelle solution technique. Dans le détail, l'appareil identifie précisément les rayons renvoyés par les pigments fautifs, en projetant différentes lumières colorées sur la couverture de l'ouvrage. « La quantité de lumière réfléchie, pour chacune des couleurs, est comme une empreinte digitale du pigment contenu dans le livre », ajoute le Dr Morgan Facchin, qui a conçu l'appareil avec un collègue, le Dr Graham Bruce. Santé publique et conservation « La rétention des livres à la couverture verte relève de la sécurité des usagers, mais elle restreint néanmoins l'accès aux informations qu'ils contiennent », soulève la conservatrice Erica Kotze. L'identification plus rapide de ces titres permettra, au contraire, de restaurer la consultation des livres hors de danger. À l'inverse, ceux présentant de l'arsenic pourront être numérisés pour en assurer la lecture sans risques. Des opérations de recherche et d'identification se déroulent au Royaume-Uni, mais aussi dans d'autres pays du monde, comme en Allemagne, à Düsseldorf ou Cologne. Plusieurs établissements français se sont également tournés vers leurs collections, notamment à Strasbourg, où les bibliothèques universitaires ont mené leurs enquêtes. Des documents correspondaient en effet aux signalements, puisqu'ils remontaient du XIXe, et provenaient d'Allemagne. « Ces livres anciens ne sont pas accessibles sur les rayonnages des bibliothèques, mais conservés en magasins », précisait toutefois l'université de Strasbourg en avril 2024. À la Bibliothèque nationale de France, près d'une trentaine de livres étaient soupçonnés, mais seuls quatre s'étaient avérés positifs à la spectrométrie à fluorescence des rayons X, toujours en avril 2024. Des ouvrages du XIXe siècle, effectivement, mais « très peu demandés au cours des dix dernières années », selon l'institution patrimoniale, qui indiquait qu'elle poursuivait les travaux d'identification.