Dans son numéro daté du jeudi 14 août 2025, l'hebdomadaire Le Point consacre un dossier aux Algériens d'expression kabyle, intitulé ''Les Kabyles – Un peuple debout''. L'occasion pour nous de démystifier ce concept idéologique berbériste et néocolonial d'une catégorie de la population algérienne désignée par ''peuple kabyle''. D'abord, de quoi le kabyle est-il le nom ? Le kabyle est un mot commun, plus précisément un adjectif, servant à qualifier... Il n'est pas du tout un nom propre servant à désigner une population, un habitant, qui n'a jamais eu d'existence nationale. Historiquement, le terme kabyle dérive de l'arabe « Qabail » qui signifie « tribu ». Or, quand on parle de tribu on entend groupe humain (agglomération de familles) fondé sur une parenté ethnique réelle ou supposée, dans les sociétés préindustrielles. Et non pas peuple, nation ou Etat-nation, des notions étrangères aux populations tribales antiques. Chaque région du Maghreb et, par voie de conséquence de l'Algérie, étant constituée de plusieurs tribus « Quinquegentiens » ou peuplades (dont, pour prendre un exemple plus récent, notamment les grandes tribus Sanhadja Zouaouas, Zénète, Masmouda, Kutama, Awarba, Berghouata, Houaras), chaque tribu était décomposée en des sous-tribus. Toutes ces sous-tribus avaient une indépendance territoriale et décisionnelle. Chaque tribu constituait quasiment une « nation » autarcique, viscéralement attachée à son autonomie, éprise d'indépendance. Plus tard, au 19e siècle, après la conquête de l'Algérie par la France, le terme « kabyle » est créé par les colons français (notamment les sociologues militaires : le colonel Daumas, le capitaine Fabre (1847), le capitaine Ernest Carette (1848), Henri Aucapitaine, plus connu sous le nom du «baron Aucapitaine» (1857), l'amiral Louis-Henri de Gueydon, et le général Edmond Pélissier de Reynaud qui professait la fusion entre Européens et «Barbares kabyles»), pour désigner les populations tribales des régions montagneuses d'Algérie. À l'origine, le terme « kabyle », au sens de tribu, désignait les habitants des Aurès autant que les Algériens des massifs montagneux de l'Ouest. Puis, curieusement, ce mot n'a fini par s'appliquer exclusivement qu'aux habitants berbérophones de la région kabyle. Cette différenciation marque le début de la politique kabyle. En effet, la région de Kabylie fera dorénavant l'enjeu d'une politique sournoise de « discrimination positive » appliquée par les autorités coloniales françaises pour la détacher des autres régions arabophones. Dans un but inavoué de division des Algériens, le « mythe kabyle » (l'ancêtre du berbérisme mais aujourd'hui manœuvré par certaines officines des pays étrangers), initiée par la France coloniale, consista à présenter les habitants d'expression kabyle comme une population radicalement distincte des autres habitants « arabophones » de l'Algérie. Et ce n'est pas pour rien que le colon Nicolas Bibesco avait écrit «La France y a étudié de près la race kabyle pure, elle l'a étudiée à sa source ; elle y a découvert la vraie manière de la prendre et de la gouverner». Par ses supposés traits physiques apparentés aux Européens, par ses ascendances ethniques pareillement prétendument « aryennes », par ses « racines religieuses » chrétiennes exhibées pour la cause coloniale, par la prétendue supériorité de son intelligence, par la modernité de sa mentalité, par sa soi-disant pratique souple et tolérante de l'islam, par son prétendu esprit laïque viscéralement inné, par ses traditions politiques congénitalement démocratiques, etc., la population algérienne d'expression kabyle fut auréolée de toutes les vertus bourgeoises propices à son assimilation aisée à la culture coloniale et impérialiste française. En d'autres termes, l'objectif de la « politique kabyle » était de fabriquer la mythologie d'un « Kabyle civilisé », différent de l'Arabe jugé barbare ; un « citoyen » kabyle respectueux des valeurs républicaines et laïques, différent de l'Arabe considéré comme féodal, esclavagiste, fanatique, ignorant, inassimilable à la civilisation (occidentale érigée en modèle universel). En son temps, Sabatier, avocat et homme politique de l'époque coloniale, avait écrit : « Qu'on le sache bien, par eux l'avenir réserve à la France un grand rôle en Afrique, de même que par la France il réserve un grand rôle aux Kabyles dans l'humanité. » Cette propagande coloniale puissante, propagée à grande échelle, continue malheureusement de provoquer des ravages politiques néocoloniaux, notamment parmi les berbéristes communautaristes et indépendantistes contemporains qui cultivent un particularisme et un séparatisme fondés sur des stéréotypes tout droit dérivés des théories raciales répandues par les colons français improvisés, qui ethnologues, qui anthropologues, qui historiens, pour promouvoir l'existence de la «race kabyle», mythologie aujourd'hui métamorphosée en peuple kabyle par les berbéristes. Quoi qu'il en soit, il est important de rappeler qu'à l'époque antique glorifiée par nos contemporains historiens berbéristes autoproclamés, il n'existait ni d'Etat kabyle, ni de nation kabyle, ni de peuple kabyle. Ni d'Etat-nation kabyle. Notions émergeant au 18e siècle en Europe à la faveur du développement du capitalisme. À cette époque tant magnifiée par les berbéristes en quête de construction identitaire mythique, il existait seulement des agrégats de peuplades berbérophones parlant des idiomes variés et variables d'une région à l'autre, des confédérations de tribus toujours en guerre les unes contre les autres. Quant au terme de « royaume » employé pour décrire les quelques rares pouvoirs numides, il s'agit d'un abus de langage. Au sujet de ces « royaumes », il serait plus approprié de les définir comme de simples confédérations tribales éphémères, coalisées occasionnellement dans certaines circonstances. Il ne faudrait pas leur conférer une conception étatique et une dimension nationale propres aux canons juridiques et sociologiques, capitalistes contemporains. Ainsi, pas de nation kabyle. Pas d'Etat kabyle. Mais une société archaïque fragmentée en de multiples tribus partiellement sédentarisées. Au reste, la vision identitaire du berbère antique, à plus forte du villageois des montagnes de Djurdjura, ne dépassait pas sa famille, son clan, sa tribu, son village. Il n'avait aucune conscience nationale, sentiment inexistant à l'époque, y compris dans le monde occidental prétendument civilisé. En outre, tous les rois berbères encensés par les contempteurs « imazigihen » furent majoritairement de culture romaine ou gréco-romaine. (A suivre)