Poétesse de l'intime et de l'exil, Leïla El Mahi écrit comme on respire pour ne pas sombrer, comme on tend la main à celles qui n'ont jamais pu parler. Entre la France et l'Algérie, la maternité et la mémoire féminine, sa poésie devient un acte de résistance douce et de reconstruction intérieure. À travers ses recueils L'Envol du papillon, Mon « JE » de réflexion et L'émail de mes mots, elle trace un itinéraire sensible, entre douleur et lumière, entre ancrage et envol. Dans cette conversation, elle revient sur son chemin d'écriture, sa voix plurielle, et son espoir de faire vibrer l'humain par la force des mots. LNR : Qui est Leïla El Mahi, telle qu'elle aimerait se présenter ? Leïla El Mahi : Je suis Leïla El Mahi, poétesse née à Paris, forgée entre deux rives, la France de ma naissance et l'Algérie de mes racines. Femme, mère, je suis une voix pour celles qui, comme moi, se sont senties perdues, qui n'ont pas osé exprimer leurs douleurs. J'écris parce que j'en ai besoin, mais surtout parce que d'autres n'en ont pas la force. Mon écriture est une traversée intérieure, une manière de relier ce que j'ai vécu à ce que d'autres vivent en silence. Je ne suis pas seulement une autrice, je suis une passeuse d'émotions, une témoin de l'intime, une messagère de résilience. Entre origine et devenir, que représente pour vous l'identité : un point d'ancrage ou un processus poétique en perpétuelle métamorphose sculpté par le verbe ? L'identité est pour moi une traversée. Elle ne se fixe pas, elle bouge, elle cherche, elle doute. J'ai grandi entre deux cultures, et ce tiraillement m'a obligée à me construire autrement. Mon identité, c'est ce papillon qui s'envole entre deux mondes, à la recherche de sa propre vérité. Et c'est dans le verbe que j'ai trouvé mon ancrage. Elle est à la fois une racine et une aile. Elle m'a permis de comprendre que l'on n'appartient pas uniquement à un pays ou à une langue, mais aussi à ce que l'on crée. Dans mes mots, je me réinvente chaque jour. Vos poèmes traversent les paysages de la maternité, de l'exil, de l'enfance et de la mémoire féminine. Ecrivez-vous une autobiographie poétique ou une voix collective pour celles qu'on n'a pas entendues ? Les deux. Mon écriture est profondément intime, mais elle dépasse mon histoire. À travers mes mots, je veux être la voix de toutes celles qui n'ont pas pu parler, de toutes celles qu'on a réduites au silence. Mon "je" est un "nous" fragile et fort à la fois. Ce que je vis, d'autres le vivent en silence. Alors j'écris pour elles aussi. J'aime à croire que chaque poème est une main tendue qui se tend en disant « je comprends », « je te vois », « tu n'es pas seule ». C'est cette résonance collective qui donne à ma poésie son véritable sens. D'un recueil à l'autre — L'Envol du papillon, Mon « JE » de réflexion, L'émail de mes mots — ton souffle évolue. Que révèlent ces métamorphoses de ton itinéraire poétique ? L'Envol du papillon est le cri de mon exil, cette cassure brutale entre deux mondes. Mon « JE » de réflexion, c'est l'introspection, le retour vers moi-même, vers cette femme que j'ai dû reconstruire. Et L'émail de mes mots, c'est le soin, la beauté dans la fragilité, l'amour retrouvé, assumé. Ces recueils sont les étapes d'une vraie transformation intérieure. Chacun marque une étape de mon chemin, comme des pierres blanches laissées derrière moi. Ils disent mes luttes, mes renaissances, et ma volonté de transformer la douleur en une forte lumière. Vous dites que l'écriture est une forme de soin, une manière de résister à la douleur. Mais le poème soigne-t-il, ou nous rend-il simplement plus lucides face à la blessure? Ecrire ne guérit pas tout, mais cela libère. Cela m'a permis de traverser mes douleurs sans sombrer, de les transformer en force. Le poème ne fait pas disparaître la blessure, mais il l'éclaire, il l'honore. Il permet de vivre avec elle, de ne plus en avoir honte. C'est un miroir qui reflète ma personne. Il devient aussi une sorte de catharsis : en donnant forme aux émotions, je les apprivoise. La douleur cesse d'être une prison et devient une source. Vous dites : « Je suis femme, je suis fierté et résistance ». Est-ce un poème d'orgueil, un manifeste féministe, une forme de résistance douce, ou l'expression d'une matrice intérieure qui façonne ton rapport au monde ? Et comment cela se manifeste-t-il dans votre quotidien ? C'est une affirmation, née de ma vie, de femme divorcée, de mère, de combattante du quotidien. Je me suis souvent heurtée à des murs, mais je n'ai jamais cessé d'avancer. Cette phrase, c'est ma manière de dire que j'existe, pleinement, malgré les épreuves. Dans mon quotidien, cela se traduit par ma simplicité, ma détermination, et par l'amour que je transmets à mes enfants et à mes lecteurs. Être femme, pour moi, ce n'est pas seulement une identité, c'est une lutte et une fierté. Chaque jour, je choisis de me tenir debout, d'élever ma voix, de croire que mes mots peuvent inspirer d'autres à ne pas renoncer. Vous êtes poétesse, animatrice culturelle, éducatrice, citoyenne plurielle. Comment cette multiplicité nourrit-elle ta voix poétique ? Ecrivez-vous depuis les marges, ou depuis un centre intime ? J'écris depuis ce centre intime façonné par les marges. Mon parcours est fait de transitions, d'exils, d'adaptations. Cette richesse nourrit ma plume. Je porte en moi des fragments de vies croisées, d'expériences partagées, de douleurs traversées. Tout cela m'a forgée, et c'est depuis ce cœur battant que j'écris. Chaque rôle que j'endosse m'offre un regard nouveau sur le monde, et c'est de ce carrefour que naissent mes poèmes, à la fois intimes et universels, singuliers et collectifs. Jallâl ad-Dîn Rûmî, Tolstoï, Nietzsche, Coelho, Baudelaire... Vous citez souvent ces figures. Pensez-vous que la poésie est une œuvre infinie à travers le temps et les poètes, sans cesse renaissante ? Comment votre voix s'accorde-t-elle à cette longue traversée ? Oui, la poésie est une bouffée ancestrale, qui traverse les siècles et renaît à chaque inspiration de poètes. Je m'inscris humblement dans cette continuité. Ma voix y ajoute sa couleur, son grain, sa cicatrice. Je suis une pierre de plus dans cet édifice infini qu'est la poésie humaine. Je crois que chaque poète est un écho des autres, une variation nouvelle sur une même mélodie universelle. Mon rôle est de prolonger cette musique en y déposant mon regard. Comment vivez-vous la vie culturelle en France ? Y trouvez-vous un véritable espace d'expression et d'appartenance ? Il y a des espaces, mais souvent il faut les créer soi-même et j'ai décidé de ne pas attendre qu'on m'invite, j'ai pris la plume pour exister. Aujourd'hui, grâce à mes écrits et à ceux qui les reçoivent, je trace mon propre chemin dans la culture française. La vie culturelle est parfois fermée, sélective, mais la poésie a cette force de briser les frontières. Elle me permet d'être là où l'on ne m'attend pas, d'exister sans demander la permission. Si vous devez résumer votre expérience poétique en une seule phrase — non comme définition, mais comme confidence — que diriez-vous ? Ecrire m'a sauvée de l'oubli, m'a rendue libre, m'a permis d'aimer sans me trahir. C'est mon souffle, ma mémoire, ma vérité, l'espace où je ne suis jamais étrangère. Avant de conclure... un rêve, un souhait, un projet, ou une résolution que vous portez en vous et que vous aimeriez partager? J'ai déjà semé quelques graines de rêve : j'ai créé Vers et Voix, un espace poétique que j'anime avec passion, où les mots rencontrent la musique. J'ai organisé des événements poétiques et musicaux, et j'ai même eu la joie de donner vie à un festival, porté par la conviction que la poésie peut rassembler. Mais ce n'est que le début. Je souhaite continuer à explorer d'autres formes d'écriture, me lancer dans le roman, la nouvelle, donner corps à d'autres récits. Des histoires verront bientôt le jour, prolongement naturel de ma plume, mais avec de nouvelles couleurs. Mon vœu le plus cher ? Que mes mots, qu'ils soient vers ou prose, continuent à faire résonner l'humain, qu'ils touchent les cœurs et traversent le temps. Entretien réalisé par