Le système éducatif algérien alimente beaucoup de débats et surtout se débat dans une crise qu'aucun programme politique ne peut restaurer. Et pour cause : au menu de l'instruction manque l'essentiel : l'appétence intellectuelle, par manque de goût à la vie, généré par le climat social dépressif et l'environnement économique récessif. Dans la nouvelle école algérienne instituée dans les années 1970, la religion primait l'instruction, selon les recommandations de l'Etat algérien, un Etat qui prétend toujours représenter, en vertu de l'article 2 de la Constitution, l'autorité d'Allah sur terre, puisqu'il a érigé l'islam en religion d'Etat. Or, décider à la place de Dieu et du Coran ce qui est bon ou mauvais pour les croyants est certainement un péché… d'orgueil. Un péché mignon cultivé outrancièrement par les régimes ayant érigé l'islam en religion d'Etat ; par les fanatiques et les inquisiteurs, toujours prompts à s'ériger en moralisateurs, en législateurs de normes religieuses confectionnées selon une conception sectaire et idéologique de la société ! Sans conteste, en Algérie, le discours islamique imposé par l'Etat révèle que la sacralité n'est pas l'expression de l'adhésion spontanée de la population mais le corollaire d'une politique d'endoctrinement opérée par les appareils de conditionnement des esprits, notamment l'école pour qui le sens (sacralisé) préexiste à l'initiative individuelle (profane libre). Le sacré étant donné d'avance et ordonné par l'Etat, l'Algérien est contraint d'y croire sans faire acte de volition. Selon les normes éducatives étatiques algériennes, un enfant né dans une famille musulmane est considéré ontologiquement comme « musulman ». Aussi, est-il soumis à un enseignement islamique obligatoire. De même, les valeurs morales, présentées comme des vérités intemporelles et intangibles, émanent-elles de l'islam qui leur confère sens, validité et légitimité. En Algérie, quand bien même qu'officiellement l'enseignement soutient ne proscrire aucun domaine de la connaissance, néanmoins, dans les faits, la science ne doit jamais réfuter la Révélation divine, aller à l'encontre des textes sacrés. Selon la doxa communément répandue par la communauté musulmane, le Coran favoriserait l'exercice de la Raison. Or, elle oublie de préciser uniquement dans les limites dictées par la religion. En réalité, la science est encadrée par le Coran, pour qui Dieu a créé l'homme et l'univers, prescrit le sens de l'existence et de l'histoire. Comme le soulignent les auteurs du Manifeste, l'école algérienne a adopté « quasi officiellement le crédo de la prédestination et du déterminisme. Si tout est écrit, alors rien n'est écrit. Cette forme de la soumission est l'expression même de la fuite hors du réel et de l'irresponsabilité. » L'islamisation du système éducatif induit la subordination idéologique de toute la population algérienne, réduite à son plus simple dénominateur commun : la religion. Cette assignation religieuse a pour effet d'escamoter toutes les caractéristiques individuelles et déterminations sociales et culturelles constitutives de tout Algérien inséré dans une société par ailleurs déchirée par des rapports sociaux antagoniques. Nul doute, le système éducatif algérien est prisonnier de « paradigmes pédagogiques des partis qui ont fait de l'école leur terrain de compétition politique et idéologique », comme le relèvent les auteurs du Manifeste. Cela étant, sur la controverse relative à la défaillance du système éducatif, nombreux sont ceux qui incriminent et blâment la langue arabe, accusée d'être responsable de l'échec scolaire. En réalité, ils se trompent de cible. En effet, le principal problème de l'éducation en Algérie n'est pas l'enseignement de la langue arabe, mais l'emprise doctrinaire et dogmatique de la religion islamique à l'école. Or, comme l'appellent de leur vœu les auteurs du Manifeste, il faut « que la religion n'envahisse pas tout l'espace scolaire, au risque de sa stérilisation totale ». Sans conteste, une éducation fondée sur la religion islamique adossée à la langue arabe, élevée au rang de langue sacrée imprégnée de religiosité, de par sa conception conservatrice et passéiste du contenu pédagogique, est incompatible avec une scolarité tournée vers la modernité, portée par l'esprit scientifique. De fait, la religion et la modernité sont des concepts antinomiques. On ne peut construire l'école en même temps sur la foi et sur la raison. Dans ce vieux débat et dilemme séculaire, l'Etat totalitaire et l'institution théologique ont toujours imposé la prééminence de la foi sur la raison, pour des motifs religieux, doctrinaires, tendanciellement politiques. Avec de tels fondements antithétiques, où la foi le dispute à la raison en matière d'enseignement, où la religion supplante la science, où le dogme du fanatisme et du fatalisme s'implante fondamentalement dans l'esprit de l'élève, on produit des êtres bipolaires. Des hommes pathologiquement déchirés, des personnalités clivées, culturellement écorchées. Ainsi que l'écrivent les auteurs du Manifeste : « Partout où il a conquis des espaces sociaux et institutionnels, le néo-salafisme a répandu le fatalisme au point de nier à l'homme son existence en tant qu'être de volonté. Pis, il a fait du libre arbitre l'essence de l'incroyance ». De même, avec l'érection de l'islam en religion d'Etat par le pouvoir algérien, ne faut-il pas s'étonner que la religion fasse l'objet de débats publics véhéments, de controverses virulentes sur la place publique, de fourvoiements théologiques, de manipulations politiques. En particulier de la part de la frange islamiste de la population qui a transformé l'école en annexe de la mosquée, s'est octroyée la gestion des affaires religieuses, qu'elle a convertie lucrativement en religieuses affaires. Au vrai, depuis l'indépendance, en Algérie, dominée par les successifs pouvoirs monolithiques impotents et l'entité islamiste idéologiquement omnipotente, une sorte de partage des tâches s'est opérée entre ces deux structures politiques et religieuses artificiellement opposées. La première instance oligarchique gère l'Etat au nom du prétendu intérêt national pour bien enrichir certains membres de la caste dirigeante (mœurs particulièrement répandues sous les présidences de Chadli et de Bouteflika, durant lesquelles l'affairisme était devenu la deuxième religion de la nomenklatura kleptomane algérienne) ; la seconde entité islamique, quant à elle, assure la soumission des Algériens par l'endoctrinement salafiste et l'asservissement culturel et sociétal, en contrepartie des largesses pécuniaires octroyées généreusement par l'Etat rentier, en particulier sous l'ère de Bouteflika. En réalité, au plan de l'Education Nationale, pour éviter les récurrentes stériles polémiques sur les questions éducatives initiées souvent par les islamistes, réfractaires à toute innovation moderne en matière pédagogique, la société algérienne doit instaurer une école pédagogiquement sécularisée, institutionnellement laïque, déontologiquement sanctuarisée. Il ne s'agit nullement d'une revendication laïque et athée, mais d'une indispensable adaptation historique à la modernité en matière éducative. L'école sera ainsi immunisée contre les empiètements théologiques et les querelles religieuses fréquemment importées des mosquées dans l'enceinte des établissements scolaires. L'Education Nationale et le contenu des programmes scolaires ne doivent faire l'objet d'aucune intrusion religieuse, d'aucune immixtion idéologique, ingérence politique partisane. Pour ce faire, en premier lieu, le pouvoir doit abroger de la Constitution l'article érigeant l'islam en religion d'Etat. Effectivement, la religion doit être reléguée dans la sphère privée. Seule la liberté de conscience doit être constitutionnellement garantie. A suivre….