La troisième journée du Festival d'Annaba a pris des allures de véritable voyage à travers les mémoires, les frontières et les imaginaires. Entre l'ombre d'artistes oubliés, la réflexion sur l'avenir du cinéma et la force des liens familiaux, le public annabi a pu goûter à une mosaïque de récits où se sont croisés héritage, modernité et émotion.La matinée s'est ouverte à la Cinémathèque avec la projection de Note italiane, signé par Adelmo Togliani. L'œuvre s'intéresse à E.A. Mario, compositeur napolitain discret mais prolifique du siècle dernier. Grâce à un habile mélange d'archives, de reconstitutions et de fiction, le film redonne vie à un artiste ayant légué plus de deux mille chansons. Au-delà de la biographie, Togliani propose une réflexion plus large : la chanson populaire devient ici un outil de mémoire collective et une manière de résister à l'effacement culturel, particulièrement face à la frénésie du numérique. Ce dialogue entre passé et présent a touché une salle attentive, curieuse de redécouvrir un pan méconnu de la mémoire musicale européenne. L'après-midi a basculé vers une tout autre interrogation, celle du rôle de l'intelligence artificielle dans la création cinématographique. À l'hôtel Sheraton, le réalisateur espagnol Daniel H. Torrado a animé une masterclass qui a attiré artistes, critiques et étudiants. Son film The Great Reset, entièrement conçu grâce à l'IA, a déjà circulé à Cannes et Berlin, suscitant débats et curiosité. Torrado a tenu à préciser que cette technologie n'était pas une vision artistique en soi, mais un simple outil. Selon lui, l'humain doit rester au centre de l'acte créatif, sans quoi l'œuvre perd son essence. Il a également insisté sur les dilemmes juridiques : un film produit uniquement par l'IA, sans intervention humaine, ne peut être protégé par le droit d'auteur. Ces échanges nourris ont mis en lumière un cinéma en mutation, oscillant entre fascination et vigilance éthique, tout en ouvrant des perspectives nouvelles pour les jeunes générations présentes. La journée s'est poursuivie avec une plongée dans l'histoire de l'animation. La réalisatrice croate Jelena Novaković a présenté Learning to Walk 2, portrait émouvant du caricaturiste et dessinateur Borivoj Dovniković Bordo. Le documentaire explore son parcours, depuis les années de guerre jusqu'à la transition croate, en passant par le socialisme yougoslave. À travers dessins, archives et témoignages, le film célèbre la ténacité d'un artiste qui, malgré la censure et les bouleversements, n'a jamais renoncé à son humour mordant. Pour Novaković, continuer à « marcher », c'est persister à créer, envers et contre tout. La salle, marquée par la sobriété et la délicatesse du récit, a salué un hommage qui dépasse le simple portrait pour devenir une méditation sur la résistance artistique. Un autre temps fort a ému la Cinémathèque : Yalla, Baba de la Libanaise Angie Obeid. Pendant un mois, elle reprend avec son père Mansour, 75 ans, l'itinéraire Bruxelles-Beyrouth qu'il avait entrepris quarante ans plus tôt. Ce voyage de 4 000 kilomètres devient prétexte à des échanges intimes où se mêlent souvenirs, divergences et confidences. Géohistorien à la retraite, Mansour transmet à sa fille une vision ancrée dans la terre et la mémoire familiale, rappelant notamment que la propriété héritée au Sud-Liban « n'est pas à vendre ». Le film, tout en pudeur, interroge l'héritage, l'appartenance et le sens de la transmission. Le public, visiblement bouleversé, y a retrouvé un miroir de ses propres histoires et de ses propres questionnements. En soirée, le théâtre régional Azzedine Medjoubi a accueilli deux longs métrages : Jad du Tunisien Jamil Najjar et The Cecilian Storyteller de l'Italienne Caterina Greco. Les deux projections, très attendues, ont confirmé l'intérêt du public annabi pour les cinémas voisins, capables de raconter des histoires singulières tout en portant des résonances universelles. La journée s'est conclue à l'hôtel Sheraton dans une atmosphère de gratitude avec un hommage rendu à des figures marquantes du cinéma algérien et arabe. Edwards Badr, Kamel Touati et Ahmed Kadri ont été célébrés, rappelant que ce festival n'est pas seulement une vitrine de films, mais aussi un espace où se tisse le dialogue entre mémoire et avenir, entre les cultures de la Méditerranée. Dans ce croisement d'expériences et de regards, Annaba confirme son rôle de carrefour artistique, capable de faire vibrer le présent en s'appuyant sur la force du passé.