À notre ère, le culte du travail est devenu la première croyance mondiale. Avec ses rites scientifiquement chronométrés pour assurer efficacement l'exploitation de ses ouailles, ses multiples temples de production marchands, son paradis consumériste, ses saints patrons vénérés intercesseurs du dieu le capital, ses huit heures d'affilée de prières intensives d'asservissement quotidiennes accomplies au sein de ces bagnes de fabrication, la religion du travail a surpassé les religions monothéistes en matière d'efficience et de prosélytisme, vu qu'elle ne cesse de gagner de nouveaux adeptes. Adeptes qui font preuve d'une dévotion professionnelle sacrificielle. Le culte du travail est récent dans l'histoire de l'humanité. En effet, jusqu'au 19e siècle, le travail n'était pas considéré comme un critère d'accomplissement social et de réussite, tremplin d'accession au paradis consumériste. Mais comme un moyen expédient, pénible et dégradant, de subvenir à ses besoins. Dès lors que le travail salarié se limite à subvenir aux besoins vitaux, c'est-à-dire à assurer le minimum vital pour reproduire la force de l'ouvrier, il n'est fondamentalement pas humain. Dès son imposition et sa généralisation par les nouveaux capitalistes, cette nouvelle forme de travail ne visait pas l'émancipation de l'ouvrier, mais son aliénation, notamment par la réduction de ses facultés à l'accomplissement de tâches répétitives quotidiennes, préjudiciables à sa santé mentale et physique. Sous le mode de production capitaliste le salarié est un simple maillon interchangeable et anonyme mis au service du patronat, détenteur des moyens de production. La vie du salarié est entièrement subordonnée à l'activité de l'entreprise, qu'il fait tourner sans profiter du fruit de sa production. Le culte du travail se pratique par autoflagellation, sous une forme masochiste. Son adepte, au cours de ses huit heures d'exploitation sans être prié, agresse son organisme corporel, autodétruit son psychisme, prostitue son intelligence. Le dressage à cette religion du travail demeure le principal objectif de la modernité capitaliste mondiale. Dans cette nouvelle religion de la production effrénée et anarchique, capital et travail ne sont plus antagoniques. Ils constituent, au contraire, un bloc monolithique de valorisation financière de l'accumulation spirituelle du dieu-capital. L'ironie de l'histoire est qu'au moment où le culte du travail s'est implanté dans tous les cerveaux de l'humanité salarialement dévotieuse, le travail s'est converti au chômage, cette nouvelle secte florissante au prosélytisme conquérant. En effet, en vertu de ces lois d'airain de la baisse tendancielle du taux profit, de la robotisation tentaculaire, de la numérisation totalitaire, de la surproduction excédentaire, les temples d'entreprise partout s'effondrent, les Saints patrons capitalistes déposent le bilan. Conséquence : le travail se raréfie. Et les chômeurs prolifèrent à une vitesse vertigineuse. Pourtant, en dépit de sa raréfaction, de « la fin du travail » selon le livre éponyme de Jeremy Rifkin, les orphelins esclaves-salariés persistent de manière fanatique à lui témoigner une vénération impénitente. Et pour ceux qui parviennent à s'embaucher (se débaucher) dans ces bagnes de la production (usines, bureaux, magasins, chantiers de construction et écoles, ces institutions légales de dégradation de la santé mentale et somatique), les ravages de cet enfermement se lisent sur leur visage et leur corps flétris et délabrés. Et, surtout, se vérifient par l'absorption abusive de psychotropes, ces nouvelles drogues pharmaceutiques délivrées complaisamment par les médecins. Ainsi, dans le capitalisme, la «liberté de travailler» se paye au prix de sévères pathologies professionnelles. N'est-ce pas au temps d'Hitler, ère de la dictature totalitaire du capital, qu'a été affichée au fronton d'un camp de concentration cette inscription : ArbeitMachtFrei : « le travail rend libre » ? Avant d'être inscrite au fronton du camp de concentration d'Auschwitz par les nazis, la devise ArbeitMachtFrei était valorisée par la bourgeoisie occidentale, notamment dans l'institution concentrationnaire scolaire, cette antichambre de l'usine, véritable structure pédagogique de dressage à l'obéissance, à la servilité, à la débilité. De nos jours, dans ce monde fondé sur l'aliénation, la majorité des salariés est pourtant persuadée d'être libre, indépendante. Depuis quand un salarié est-il indépendant de son employeur ? En vérité, dans le système capitaliste, tout salarié est asservi à son patron, autrement dit c'est un esclave rémunéré, et à ce titre ne dispose d'aucune liberté au cours de sa phase d'exploitation, c'est-à-dire son temps de travail aliéné. Il est corps et âme dévoué à son maître à qui il doit docilité, obéissance, soumission. Une fois franchi le portail de l'entreprise, tout salarié perd sa liberté (de pensée, de conception, d'élaboration, de programmation, de décision : facultés totalement monopolisées par Son patron). Il est dépossédé de soi. Il appartient corps et âme à son maître employeur qui lui impose le planning de production, lui dicte le rythme de travail, lui prescrit les tâches à exécuter, lui assigne les objectifs commerciaux à atteindre, lui ordonne de fournir une rentabilité toujours plus performante. Heureux l'esclave d'antan qui ne s'enorgueillissait pas de sa condition sociale servile, conscient de son assujettissement forcé. Aujourd'hui, l'esclave-salarié est fier d'exhiber son contrat d'asservissement professionnel, sa fiche de paie d'aliéné heureux, et ses quatre semaines de vacances octroyées par son patron pour lui permettre de reconstituer sa force de travail onze mois durant soumise à une exploitation effrénée destructrice. Actuellement, 3,5 milliards d'humains se dévouent au nouveau culte, le travail salarié. Une chose est sûre, le travail est une catégorie sociale historique inhérente au mode de production capitaliste, donc vouée à disparaître avec la formation sociale exploiteuse qui l'a imposée : la bourgeoisie. C'est ce que nous allons démontrer dans notre prochain article.