Manifestement, les agriculteurs français, ces petits capitalistes champêtres libéralement subventionnés, s'insurgent à la moindre décision gouvernementale visant l'agriculture. Après s'être mobilisés contre la baisse de leurs revenus, induite, entre autres, par la multiplication des taxes et charges liées aux normes environnementales, s'être ensuite soulevés contre l'accord Mercosur, les voilà de nouveau en révolte contre le gouvernement pour dénoncer sa politique d'abattage total de troupeaux affectés par la dermatose nodulaire. Une mesure sanitaire jugée brutale et autoritaire par plusieurs confédérations syndicales. Après la découverte d'une vache contaminée par la dermatose nodulaire contagieuse (DNC) dans une exploitation de Bordes-sur-Arize, la préfecture de l'Ariège a ordonné l'abattage des 208 bêtes du troupeau. La dermatose est non transmissible à l'humain, mais peut entraîner la mort des animaux. Pour enrayer la progression de la DNC, l'unique solution est l'abattage systématique de toutes les vaches ayant côtoyé un animal malade. Afin d'empêcher l'abattage d'autres troupeaux affectés, plusieurs centaines d'agriculteurs de la Coordination rurale et de la Confédération paysanne se sont mobilisés pour bloquer les axes routiers. À l'heure actuelle, plus de 40 blocages sont recensés en France et environ 2 000 personnes mobilisés. Et les syndicats appellent à multiplier les actions coup de poing à travers le pays pour empêcher la mise à mort de tout troupeau affecté par la DNC. Le spectre de la dermatose nodulaire contagieuse plane sur tous les élevages de bovins. Or, conformément à la réglementation de l'Union européenne, en cas de détection d'un cas de dermatose nodulaire l'abattage de tout le troupeau est obligatoire. De très nombreux éleveurs n'arrivent pas à se résoudre à l'abattage obligatoire d'un troupeau entier dès le premier cas de dermatose nodulaire. Ils jugent l'abattage de l'ensemble des troupeaux «inefficace» et synonyme de préjudice moral et psychologique pour les exploitants. À la place, ils réclament une «surveillance renforcée, un abattage ciblé des seuls animaux positifs à la DNC ainsi que l'élargissement de la vaccination». Cependant, selon les vétérinaires, ces mesures préconisées par les agriculteurs risquent de laisser la maladie se propager à l'intérieur comme à l'extérieur des troupeaux. «Bloquer les abattages, c'est risquer la dermatose bovine dans toute la France», alertent les autorités vétérinaires. Pour sa part, la ministre de l'Agriculture, Annie Genevard, ne cesse de rappeler qu'il s'agit de «la seule solution». En effet, les pouvoirs publics craignent une contamination à grande échelle du cheptel français. La maladie touche désormais plusieurs départements de la France, notamment l'Occitanie, les Pyrénées-Orientales, l'Ariège, les Hautes-Pyrénées et la Haute-Garonne. Face à la dégradation soudaine de la situation sanitaire, le gouvernement a réaffirmé sa politique d'abattage systématique et de vaccination obligatoire. Contrairement aux deux syndicats mobilisés contre l'abattage, la Coordination rurale et la Confédération paysanne, la FNSEA, alignée sur le gouvernement au nom du «consensus scientifique», appelle les éleveurs à la «responsabilité» face à la crise sanitaire. Pour rappel, certes la DNC n'est pas transmissible à l'homme, mais elle est dangereuse pour les bovins. C'est une maladie hautement contagieuse. Parmi les nombreuses séquelles on recense des pertes de fœtus, la stérilité, l'amaigrissement. Les animaux survivants souffrent énormément. La maladie a ainsi un impact sur le bien-être animal, mais aussi sur l'élevage, avec des pertes directes. Cependant, pour leur garantir un soutien financier immédiat les propriétaires des bovins abattus reçoivent une indemnisation de l'Etat de 2500 euros pour chaque animal concerné. En outre, la période d'improductivité de l'exploitation est également prise en charge. Les éleveurs bénéficient également d'un accompagnement psychologique renforcé. Comme le reconnaît un éleveur, «Avec ces indemnités, on peut rebondir très vite. On rachète des animaux et on relance la machine». Plus de de six millions d'euros ont déjà été versés aux éleveurs pour les accompagner dans cette crise sanitaire. Autrement dit, ces éleveurs ne sont pas à plaindre. Par mépris de la science et esprit de fronde instinctif, les éleveurs français s'opposent à l'abattage. Tout comme ils étaient opposés aux taxes et charges liées aux normes environnementales, et à l'accord Mercosur. Pourtant l'accord Mercosur ne menace nullement les agriculteurs puisque, rapporté à la production totale des pays de l'Union européenne (UE), il porte sur des petits volumes d'importation. Par exemple, les produits du Mercosur dont les droits de douane seront réduits sont de 99 000 tonnes pour la viande bovine, soit à peine un plus de 1,5% de la production de l'Union européenne. Pour la viande porcine, ce sera 25 000 tonnes (0,1% de la production de l'UE), pour les volailles 180 000 tonnes (1,4%), le sucre 190 000 tonnes (1,2%). On est loin de la menace commerciale concurrentielle agitée par les agriculteurs français. Cela étant, ces dernières années, en France, comme dans tous les pays de l'Union européenne, l'accélération et l'accentuation de la crise économique, associées à la flambée des coûts de production, a provoqué la paupérisation de l'immense majorité des petits exploitants agricoles. Des centaines de milliers de petits capitalistes agricoles sont ainsi plongés dans la détresse, la misère, acculant certains à la dépression, voire au suicide. Pour protester contre la dégradation de leurs conditions de vie ou la menace de leur disparition, les petits «paysans» (agriculteurs pauvres) et les propriétaires de gigantesques exploitations agricoles capitalistes se mobilisent régulièrement sous l'étendard des mêmes mots d'ordre bourgeois et chauvins : défense de la propriété privée et du petit capital, défense du marché national et pérennisation des subventions. En France, les revendications des petits agriculteurs capitalistes en colère sont identiques : contre «les charges», «les impôts», «les normes et la paperasse de Bruxelles», les «normes sanitaires», la «concurrence déloyale», les «importations étrangères», sur fond de la défense acharnée de la préservation de leur propriété, de leur capital et de la protection des frontières des cartels milliardaires. Aujourd'hui, les agriculteurs accusent le pouvoir de tenter, sous couvert d'une mesure sanitaire, de sacrifier les petites exploitations au profit d'un modèle agricole dominé par les grands groupes. Il est vrai que l'Etat français s'active au service du grand capital mondialisé, généreusement subventionné, pour accélérer la liquidation des petites exploitations agricoles. Globalement, le grand capital, abondamment subventionné, œuvre à la réduction des subventions allouées aux petits capitalistes agricoles afin de briser leur capacité de résistance dans la guerre commerciale que se livrent petits et moyens capitalistes nationalistes et grands capitalistes multinationaux. Crise économique et préparatifs de guerre obligent, le secteur agricole fait face à l'amenuisement des subventions gouvernementales et européennes. Pour rappel, si l'agriculture française maintient sa place parmi les pays exportateurs, voire son activité agricole, c'est grâce aux subventions. Qui dit subventions dit argent des contribuables, c'est-à-dire des travailleurs. Actuellement, dans l'Union Européenne, 30% des revenus agricoles sont issus des subventions. Pour certains pays européens, ce pourcentage grimpe à 45%, notamment en Allemagne. En France, il est de 80%. En Finlande, il frôle les 100% puisqu'il avoisine les 93%. Autrement dit, 8 agriculteurs français sur 10 vivent de l'assistanat, avec l'argent du contribuable. Or, dans une Europe étranglée par la crise économique et engagée dans les plans des préparatifs de guerre, l'heure est à l'austérité, aux restrictions budgétaires, à la réduction drastique des subventions, pour bâtir une économie de guerre. De manière générale, les agriculteurs français, quelle que soit la taille de leur exploitation, ne s'opposent pas au capitalisme. Pire, les agriculteurs français défendent les intérêts de leurs patrons, notamment la baisse des «charges sociales». Par ailleurs, ils exigent la fermeture des frontières et, surtout, la hausse des prix de leurs produits. Des revendications fondamentalement anti-prolétariennes. Car cela revient à faire payer aux travailleurs français au prix fort les produits agricoles, des travailleurs déjà amplement paupérisés par l'hyperinflation orchestrée par les industriels et leur Etat. Des revendications également anti-prolétariennes car, par les nouvelles aides financières et exemptions fiscales concédées aux agriculteurs français par le gouvernement Macron, ce seront encore les travailleurs qui payeront la facture avec l'augmentation de leurs impôts et la multiplication des taxes. Historiquement, depuis la naissance du capitalisme, la paysannerie n'a jamais joué un rôle révolutionnaire, sinon celui, rarement, de force d'appoint du prolétariat et, régulièrement, de la bourgeoisie la plus réactionnaire. Par leur attachement atavique à la propriété privée, leur parcellisation territoriale, différenciation sociale, leurs représentations idéologiques conservatrices, l'absence de toute conscience de classe, leur pusillanimité politique, leur anarchique activisme politique borné à des lilliputiennes doléances et d'infimes réformes, par leur perméabilité à la propagande bourgeoise et leur place évanescente dans l'histoire, les agriculteurs contemporains, en particulier français, sont, par leurs revendications, fondamentalement réactionnaires. Quand bien même les agriculteurs, «amoncellement de sacs de pommes de terre formant une classe amorphe», selon l'expression de Karl Marx, pourraient s'associer aux travailleurs dans une dynamique de convergence des luttes comme l'appellent de leurs vœux certains syndicalistes et gauchistes français, ils retomberont rapidement dans leurs travers contre-révolutionnaires, leur indécrottable populisme populacier. Voire dans l'irrationalisme, symbolisé par leur opposition totale à tout abattage d'un troupeau affecté par la dermatose nodulaire contagieuse, pourtant seul procédé scientifique ayant prouvé son efficacité. Comme l'histoire nous l'enseigne, s'il arrive que les paysans rejoignent un mouvement révolutionnaire, c'est moins par aspiration à transformer la société que pour la défense de leurs intérêts corporatistes. Car, ainsi que l'écrivaient Marx et Engels : «Ils ne sont pas révolutionnaires, mais conservateurs ; qui plus est, ils sont réactionnaires ; ils demandent que l'histoire fasse machine en arrière. S'ils agissent révolutionnairement, c'est par crainte de tomber dans le prolétariat.» C'est la menace de leur déclassement et de leur prolétarisation qui accule, aujourd'hui, les agriculteurs français à la révolte, pour tenter de sauvegarder, vainement, leur activité agricole subventionnée, autrement dit financée par l'argent des contribuables, des travailleurs.