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« Les révisions de l'histoire ne font certainement pas honneur à notre pays »
Le Professeur Didier Fassin se confie à LNR :
Publié dans La Nouvelle République le 27 - 12 - 2025

Didier Fassin est un anthropologue, sociologue et médecin de renommée internationale. Il est professeur au Collège de France, titulaire de la Chaire « Questions morales et enjeux politiques dans les sociétés contemporaines », et à l'Institute for Advanced Study de Princeton, aux Etats-Unis. Il est également directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, à Paris.
Il mène des recherches sur les enjeux sociaux, politiques et moraux dans les sociétés contemporaines. Il a conduit des recherches au Sénégal, en Afrique du Sud, en Equateur, et plus récemment aux Etats-Unis et en France. Il est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages traduits en douze langues, parmi lesquels ''Une étrange défaite''. Sur le consentement à l'écrasement de Ghaza et ''Leçons de ténèbres''. ''Ce que la violence dit du monde'' (tous deux publiés à La Découverte).
Mohsen Abdelmoumen : Vous avez publié un essai magistral sur Ghaza intitulé
''Une étrange défaite''. Comment expliquez-vous le consentement occidental de l'anéantissement de Ghaza ?
Didier Fassin : Les raisons en sont multiples et complexes. On invoque volontiers que le monde occidental se donne comme mission de protéger l'Etat d'Israël en raison de la persécution des Juifs en Europe qui a culminé avec la Shoah. C'est ce qu'en Allemagne on appelle une « raison d'Etat », liée à son passé nazi. On sait que le gouvernement israélien joue de cet argument depuis plusieurs décennies, ce qui n'était pas le cas dans le demi-siècle après la Seconde guerre mondiale. Dans tous les cas, il ne peut y avoir aucune justification à faire payer aux Palestiniens le prix de l'antisémitisme historique des Européens. Mais il y a d'autres explications, plus convaincantes. On peut penser notamment aux enjeux économiques considérables à la fois du complexe militaro-industriel qui nourrit les guerres d'Israël aux Etats-Unis, en Allemagne, en France, en Grande-Bretagne, et du marché régional promu par les accords d'Abraham signés par Israël avec plusieurs des riches pays arabes. Mais je crois qu'il y a deux autres raisons majeures, en grande partie liées, l'une géopolitique, l'autre idéologique. D'abord, Israël a été vu, dès sa création, comme un poste avancé du monde occidental dans un monde arabo-musulman représenté comme incontrôlable et hostile. Le Premier ministre israélien en joue lorsqu'il invoque le combat de la civilisation contre la barbarie, en éludant le fait que cette civilisation est productrice de génocides. Ensuite, les Palestiniens font l'objet d'une triple stigmatisation, à la fois du racisme anti-arabe, du préjugé islamophobe bien qu'une partie d'entre eux soit chrétienne et l'assimilation au terrorisme bien que les forces israéliennes soient à l'origine de bien plus d'actes de terreur.
Cette triple stigmatisation est inscrite dans une histoire longue, celle de la colonisation notamment, et dans le cas français, le parallèle avec la Guerre d'Algérie et la manière dont les Algériens étaient vus et traités par le colonisateur s'imposent. Il existe d'ailleurs des différences, au sein du monde occidental, entre les pays. L'Espagne a très tôt condamné l'agression israélienne. Les Etats-Unis, au contraire, qui s'est montré un allié indéfectible d'Israël, ont été mobilisés par la nombreuse communauté évangélique et par une puissante organisation sioniste devenue la plus importante contributrice privée au financement des campagnes électorales.
Comment analysez-vous l'abdication morale de l'Occident face au génocide à Ghaza ? Peut-on parler de défaite morale de l'Occident à Ghaza ?
Certainement. C'est d'abord la supposée recherche de l'absolution des crimes perpétrés contre les Juifs pendant des siècles par le soutien à ceux installés en Israël pour qu'ils commettent à leur tour des crimes contre les Palestiniens, comme si l'on
pouvait soulager la culpabilité d'un génocide par la participation à un autre génocide. C'est ensuite le renoncement aux principes et aux valeurs qui ont conduit à l'établissement du droit international, du droit humanitaire, du droit de la guerre et des droits humains, car dès le premier jour les responsables politiques et militaires israéliens avaient annoncé leur volonté d'éradiquer Gaza et ses habitants par les bombes et la famine. C'est enfin l'abandon d'une partie de l'humanité sans défense à l'agressivité d'un ennemi surarmé, car la vie des Palestiniens n'a jamais semblé digne d'être défendue. Cette triple abdication morale est assurément la plus grave de toutes celles dont s'est rendu responsable le monde occidental depuis la fin de la Seconde guerre mondiale.
Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous avez ressenti le besoin de documenter les horreurs du massacre à ciel ouvert de la population de Gaza ?
Depuis toujours, d'abord comme médecin puis comme anthropologue, je me suis intéressé aux inégalités et aux injustices, notamment dans la manière dont on traite les vies humaines.
Or, rarement avons-nous été confrontés à un tel niveau d'inégalité entre les vies des Israéliens et des Palestiniens, non seulement par le nombre de morts civiles qui est de plusieurs centaines de fois plus élevés parmi ces derniers, mais aussi par la façon dont politiciens, élites et médias les ont ignorés alors qu'on les massacrait, qu'on les affamait, qu'on les mutilait.
Et il n'y a peut-être pas plus grande injustice que de ne pas même permettre aux survivants d'honorer, d'enterrer et de pleurer leurs morts, puisque les Israéliens ont enfoui les cadavres sous les gravats et les ont écrasés avec leurs bulldozers, ont creusé des fosses communes, ont éventré les cimetières, et même ont enlevé des corps de leurs victimes en refusant de les rendre à la famille.
Ne pensez-vous pas que dans ces moments où une grande violence se manifeste sous divers aspects, on a besoin des voix justes d'intellectuels honnêtes et intègres tels que vous ? N'a-t-on pas besoin d'une parole apaisée face à une violence multiforme qui agresse quotidiennement ?
Nous sommes dans un moment où la vérité n'est pas bonne à dire, où celles et ceux qui s'y essaient sont dénoncés, stigmatisés, sanctionnés, parfois même arrêtés et condamnés, et dès lors la plupart se résignent en se taisant pour ne pas devoir subir ce sort de la part de leurs autorités politiques, académiques, professionnelles, ce qui peut se comprendre. Moment de censure et d'autocensure, donc.
Par conséquent, la parole de celles et ceux qui ne renoncent pas à parler est précieuse. Elle n'arrête malheureusement pas la guerre, elle ne sauve pas les victimes, elle ne console pas leurs proches, mais au moins s'élève-t-elle comme une résistance face à la violence, à ses commanditaires, à ses exécutants, à ses soutiens.
Le livre que j'ai écrit, je l'ai voulu comme un témoignage de ce qui s'est passé au cours des six premiers mois alors que je voyais déjà se profiler un négationnisme visant à transformer les discours tenus et les faits accomplis pour contester qu'un génocide ait été réalisé et qu'il ait bénéficié de l'appui occidental.
Le thème de la guerre d'Algérie revient souvent dans les débats politiques et médiatiques en France.
A votre avis, pourquoi certains cercles proches de l'extrême-droite n'ont-ils jamais admis que l'Algérie ne soit plus un département français mais un Etat indépendant ?
Pour une partie des Français, et notamment de leurs politiciens et même de leurs gouvernants, l'histoire coloniale ne semble pas terminée non seulement en Algérie, mais également ailleurs en Afrique. Ils ne comprennent pas qu'il faut tourner ces pages noires de notre passé, non pour les oublier ou pour les nier, mais pour ne plus les reproduire aujourd'hui. Les rodomontades de certains députés et plus encore de ministres à l'encontre de l'Algérie, les menaces de sanctions, les révisions de l'histoire ne font certainement pas honneur à notre pays.
Selon vous, est-ce une fatalité que l'Histoire soit toujours réécrite par les vainqueurs, comme on le voit avec Gaza ou avec mon pays l'Algérie, où nos peuples ont été écrasés par l'occupation et un colonialisme génocidaire ? Ces cas ne montrent-ils pas que les damnés de la Terre, comme disait Fanon que vous avez étudié, peuvent un jour écrire l'Histoire ?
L'historien Reinhart Koselleck a écrit que l'histoire est d'abord écrite par les vainqueurs mais qu'avec le temps la vérité des vaincus finit par s'imposer. C'est ce qui s'est passé au fil des siècles avec l'histoire de l'esclavage ou l'histoire de la colonisation, notamment. On voit aujourd'hui comment s'impose le récit du génocide des Juifs d'Europe et le rejet des crimes des Nazis, mais il faut dire que ces derniers ont finalement été vaincus. Cette évolution n'est cependant pas systématique et le génocide des Roms et Tziganes au même moment est loin de bénéficier de la même reconnaissance, tant le racisme à leur égard demeure. Dans le cas de la Palestine, la situation est complexe car les Israéliens, vainqueurs triomphant sur les cadavres des habitants de Gaza, demeurent soutenus par la plupart des pays occidentaux. Mais il est possible que le génocide soit un jour officiellement établi par la Cour internationale de justice, que les mandats d'arrêt du Tribunal pénal international contre les criminels israéliens soient appliqués, que des procès se fassent contre les gouvernants complices des actes commis à Gaza, et du reste en Cisjordanie et à Jérusalem Est. Dans tous les cas, les chercheuses et les chercheurs disposent de tous les éléments et de tous les documents pour révéler et pour expliquer les horreurs commises par les Israéliens pendant la guerre et les souffrances subies par les Palestiniens. Alors l'histoire des vaincus s'imposera – sans victimisation, sans diabolisation, sans romantisme, mais avec le souci de la vérité. Le risque est cependant que la domination du vainqueur et de ses alliés reste telle que cette vérité ne change rien à la condition sociale et politique des Palestiniens, privés d'un Etat et privés de droits.
Pour comprendre le monde, ne faut-il pas penser la violence ?
C'est ce qu'ont fait de grands penseurs comme Walter Benjamin, Simone Weil, Franz Fanon, Hannah Arendt, Edward Saïd, Veena Das, Achille Mbembe, et bien d'autres. C'est ce que j'ai, modestement, essayé de faire, d'abord, à propos de Gaza, avec le livre Une étrange défaite, ensuite, de manière plus générale, dans mes Leçons de ténèbres.
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