Elle apportait son savoir à un Occident qui en avait bien besoin et participait, aux côtés d'autres civilisations, au progrès de l'humanité. Les historiens pourraient nous dire, aujourd'hui, qui, de la décadence de la civilisation arabo-musulmane ou du rejet par l'Espagne d'une religion importée, a sonné la fin d'une cohabitation qui continue, encore de nos jours, à annihiler tous les arguments spécieux qui voudraient rendre l'islam infréquentable. Des siècles plus tard, les responsables arabes, ou musulmans, enfin maîtres de leurs destins et débarrassés de la tutelle des puissances occidentales, avaient espéré pouvoir revenir dans la cour de l'Occident, fiers d'un passé glorieux, forts de leurs gisements pétroliers et soucieux de rattraper le retard. Non seulement ils ont du déchanter, mais ils continuent, aujourd'hui encore, à rêver d'Andalousie et de démocratie à venir. Pour le rêve, l'Occident ne fait pas d'objection, mais pour l'avènement de la démocratie il exige des anciens territoires sous mandats, et des anciennes colonies, la réalisation, en quelques années, de ce que lui-même a mis des siècles à instaurer, non sans guerres et sans drames ; à savoir le passage à la démocratie. D'où le subterfuge et la malhonnêteté du verdict sans appel, sur l'incompatibilité entre islam et démocratie, quand ce n'est pas entre arabe et démocratie. La lente érosion de la relation entre le monde arabo-musulman et l'Occident, accentuée, encore plus, par la fin des empires coloniaux et l'insolence des gisements d'hydrocarbures, a atteint son point d'orgue avec le transfert de la mauvaise conscience européenne aux Palestiniens, le soutien inconditionnel à l'Etat d'Israël et la colonisation brutale, froide et méthodique, de La Palestine, sous le regard complice ou silencieux de ceux-là même qui célébraient, hier, la lutte anticoloniale au Vietnam, en Algérie et dans les anciennes colonies d'Afrique. L'irruption récente de groupes extrémistes minoritaires dans les pays musulmans, le drame du 11 septembre et la situation socio-économique catastrophique de la majorité de ces pays, ont fini de donner l'image la plus exécrable et la plus anxiogène du monde arabo-musulman. En France, on découvre, brusquement, le danger imminent d'un foulard arboré par quelques jeunes filles. La classe politique est mobilisée, et fait flèche de tout bois pour jouer sur les peurs en entretenant, sciemment, l'amalgame entre l'islam du Coran et celui d'une poignée de dangereux aventuriers se réclamant d'un islam inédit. Oubliée la religion qu'on a côtoyée pendant des siècles et dont on louait, jadis, le message de paix et l'esprit de tolérance. La violence, alors, était plutôt à chercher du côté de l'Inquisition, des Croisés et des autodafés. Aujourd'hui, c'est à qui s'emparerait le premier, dans la classe politique, de l'argument de l'islam-danger pour mobiliser troupes, électeurs et gogos. La presse en fait son marronnier de choix, car l'islam fait vendre. Il est surveillé comme lait sur le feu, et le moindre fait divers, comme ce divorce après un mariage non consommé, mobilise jusqu'en Navarre. Pour la droite populiste, l'islam permet un processus de mobilisation simple et efficace. Pour la droite au pouvoir, il sert d'épouvantail à la veille de chaque consultation électorale. La chasse sur les terres du Front National autorise toutes les dérives. Les quelques voix qui s'offusquent du procédé, se font répondre que tout ce branle-bas est la preuve de l'existence d'un véritable débat démocratique qui nous ferait connaître l'opinion de la majorité des Français. Les citoyens-électeurs sont mis en garde contre le risque de déstabilisation de la société française par la présence d'une religion affublée de tous les dangers. L'islam est rendu responsable de la crise économique, de l'aggravation du chômage et de l'insécurité. C'est le message envoyé sous des formes plus ou moins claires, plus ou moins subliminales. Les propos racistes, et islamophobes, de responsables de haut niveau, les profanations des lieux de culte et des tombes de soldats musulmans morts pour libérer La France ; rien de tout cela ne provoque l'indignation qu'on est en droit d'attendre. Pire encore, on s'est demandé si on n'allait pas vers un incident diplomatique avec la Suisse, qui a osé griller la politesse à La France avec le coup des minarets. Les arguments de la Droite et de l'Extrême-droite sont bien huilés depuis que Le Pen a trouvé le tempo. Il a fait beaucoup de petits, depuis. Les médias se régalent. Chacun joue bien son rôle. Le pays finit par perdre vraiment la tête, à force de reniements. La France est un «pays qui se dit laïc, mais qui est resté bel et bien chrétien…et où, aux musulmans d'aujourd'hui, comme aux juifs d'hier, on demande de rester invisibles» (Esther Benbassa). L'islam, deuxième religion de France, serait-il devenu le premier de ses soucis, loin devant le poids de la dette publique et de la question sociale ? Entre ce pays et ses propres citoyens musulmans, il y a plus que du désamour. Il existe, bel et bien, une véritable barrière difficile à franchir pour des citoyens qui veulent vivre leur foi, sans se renier pour autant. Cette situation fait honte, au pays des droits de l'homme, et doit toujours être dénoncée avec force. De la même manière que doit être déplorée, dans un autre registre, la posture, victimaire, de ceux des citoyens musulmans qui ne font rien pour faire bouger les lignes. Disons, pour faire court, que les musulmans, si tant est que le terme désigne une entité précise et homogène, ont aussi leur part de responsabilité dans l'aggravation de cette crise. Beaucoup d'entre eux sont responsables, pour ne pas avoir osé dépoussiérer des traditions et modifier des postures qui n'ont plus rien à voir avec l'évolution du monde. Ils sont responsables, parce qu'ils ont une vision déformée, ou incomplète, de leur religion et qu'ils continuent de véhiculer des stéréotypes relatifs aussi bien à celle des autres religions qu'à la leur. (A suivre)