En dépit des impératifs de la société traditionnelle, les jeunes couples voulaient vivre leur vie et couper avec leurs parents. Le rêve de chacun était de choisir pour son mariage le partenaire qui lui convenait, de vivre dans une totale indépendance, de voyager dès qu'il en avait l'envie. La séparation a été si brutale que les parents n'ont pas cessé de parler d'abandon ou de manquement aux devoirs sacrés. C'est pourquoi les mariages de la période post-indépendance, un objet de discussion privilégié pour les vieux et d'inspiration pour les chanteurs et les écrivains, ont été perçus comme le prélude à un changement irréversible dans la société. Un couple largement représentatif de sa génération Il en porte les marques d'un commun accord. Les partenaires ont brisé les tabous, contribué à la révolution des mentalités en constituant un couple conforme à leur volonté. Cependant, ils ont pris de la sorte l'entière responsabilité de leur union à vie qui s'est soldée, en définitive, par un échec. Les parents qui, conformément aux traditions, s'occupent de tout le cérémonial, n'ont pas été consentants ; ils ont laissé faire même si les convenances ont pris un sérieux coup. Quelques pères et mères interrogés à ce sujet affirment être satisfaits parce que pour eux, ce qui compte le plus c'est de les voir mariés. Avec le temps, on finit par se résigner à son triste sort, car en laissant partir les héritiers mâles, ce sont des rêves échafaudés au fil des années que l'on voit s'écrouler, et se retrouver seuls dans la vieillesse : c'est le drame pour les parents. La colère est, parfois, telle que les mères, surtout, maudissent leur fils qui a choisi ce qu'elles appellent communément «une fille de la rue». Nous avons fait tout ce long détour pour faire comprendre le cas de Kadour, enfant gâté de la famille et qui a épousé, sans demander conseil à ses parents, une fille qu'il avait rencontrée en ville lorsqu'il y était venu faire ses études. Ce qui a beaucoup choqué les parents est le fait que leur fils ait accepté les exigences de sa compagne : ne pas aller chez les parents du garçon et ne pas les recevoir dans l'appartement qu'ils venaient d'acquérir auprès de la société qui les avait embauchés. Des années ont passé et le fils avait poussé l'ingratitude au point d'oublier son père et sa mère. Ces derniers n'avaient rien perdu de leurs sentiments si bien qu'ils décidèrent un jour de rendre visite à leur garçon pour qui ils avaient fait tant de sacrifices. Ils fixèrent une date, mais pauvres d'eux, ils reçurent une réponse où il leur était demandait de ne pas y aller. Lorsqu'elle reçut la nouvelle de cette visite, la femme de l'ingrat fit un scandale. «Je ne veux pas les voir ici», dit-elle au mari, et pendant des jours, elle ne cessait pas de répéter à son époux que si ses parents osaient venir, elle leur fermerait la porte au nez, et qu'en cas d'insistance de leur part, elle déciderait de ne pas leur préparer même une tasse de café. Pourtant, les épousailles ont eu lieu en leur absence et jamais cette méchante jeune femme n'avait cherché à voir ceux qui étaient des beaux -parents. Elle voulait les gommer définitivement. Ce qui s'est passé avec ses parents Elle eut la punition qu'elle méritait. Plus tard, lorsque ses propres parents ont annoncé leur intention de venir passer un séjour chez elle, elle eut aussitôt l'envie de danser. On dit qu'elle esquissa même quelques mouvements d'extrême joie. En cette heureuse occasion, son mari avait été chargé de cuisiner le repas par lequel madame voulait accueillir ses parents qu'elle avait hâte de voir. «Je vais leur apprêter le repas qui les honore le plus», lui dit l'époux qui, en réalité, préparait un divorce en bonne et due forme. Ce jour-là, le mari prit une grande cocotte qu'il avait pris soin de remplir à craquer de petits morceaux de papiers formant une très grosse boule compacte parce qu'il en avait mis au maximum pour faire déborder à l'ouverture de la marmite et pour que les bouts de papier se répandent partout. Ce qui se produisit après que les beaux-parents avaient mis les pieds dans l'appartement : «Vous voilà arrivés au moment du déjeuner, soyez les bienvenus», leur dit le gendre. Et sitôt les embrassades et congratulations finies, on se prépara à manger après que la table eut été mise. La cocotte avait été remplie à craquer puis chauffée de manière à faire tourner la toupie annonçant la cuisson, et à rejeter d'un seul coup son contenu. Ce qui devait arriver, arriva. Dès que le couvercle fut retiré, des milliers de bouts de papier furent éjectés dans tous les sens en produisant un bruit assourdissant et significatif. Cela voulait dire que l'union avec celle qui avait été sa femme, s'arrêtait là, définitivement. «Tu ne veux pas de mes parents, je ne veux pas des tiens. Notre vie commune n'a plus de raison de continuer. Prends tes effets et va avec tes parents. Je ne veux plus te voir» dit le mari dans un ébahissement général !