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Ainsi parle Cheikh Dahou
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 31 - 12 - 2009

C'est toujours la même chose. Dès qu'il franchit la porte d'un café, il donne un coup de sifflet strident qui étrangle toutes les voix, et, pendant quelques secondes,fait régner sur la salle et les consommateurs un silence troublant, brisé bientôt par des voix qui jaillissent des chaises et du comptoir pour lui demander : «Cheikh Dahou ! dis-nous ce que nous sommes ! Raconte-nous notre histoire !»
Debout, le regard errant dans un monde inaccessible à vos yeux aveugles, il dit :
-Continuez à vivre ainsi, ô mes frères, vous allez dans la bonne direction, vous empruntez le bon chemin, que Dieu vous protège. Fiez-vous à mes paroles, elles sont le fruit d'une longue et épuisante méditation, qui a germé et s'est épanouie dans mon F3, que Dieu bénisse notre gouvernement. En dépit du vacarme qui régente mon foyer, du comportement imprévisible et souvent très dangereux des huit rejetons qui ont surgi comme des diables du ventre inépuisable et traître de ma femme. Riez, riez mes frères ! En dépit du tapage incessant des marteaux, des massettes, des scies, et des chignoles, qui échappe des maisons voisines et envahit la mienne. En dépit des grincements de lits et des halètements laborieux qui peuplent nos nuits. Riez, riez mes frères ! En dépit du vagissement perçant des nourrissons qui grouillent dans l'immeuble. En dépit des klaxons et des cris insistants des marchands ambulants, des pétarades des mobylettes, des aboiements furieux de chiens tourmentés, des miaulements, des braiements, des bêlements, des beuglements. En dépit des odeurs qui empestent notre atmosphère, des mouches, des moustiques et des cafards, de l'humidité qui suinte des murs, de la chaleur qui fait pourrir, du froid qui glace. En dépit des diarrhées et des constipations qui s'emparent de nos intestins de temps à autre. Riez, riez mes frères ! En dépit de ces désagréments quotidiens, Dieu m'a donné la force de me concentrer et de féconder mon esprit, ô mes frères. Bien sûr, j'aurai pu m'éloigner de la civilisation et aller méditer sur la cime d'une montagne, mais l'honneur exige qu'un mâle reste auprès du corps de sa femelle, vigilant et attentif à ses appels autant que faire se peut. Riez, riez mes frères ! Dites-moi, ô mes frères, vous dont l'honneur n'a pas subi une seule égratignure, qui demeure intact et pur, dites-moi la vérité, qui aurait daigné prêter attention à des paroles prononcées par la bouche d'un cocu, aussi gorgées de sagesse soient-elles ?
Maintenant, épilez et décrassez vos oreilles, je vais vous narrer l'histoire que je vous ai rapportée de ce long voyage en moi-même.
Comme tous les êtres humains s'agitant sur la terre, vous êtes venus au monde au bout de neuf mois de gestation dans des entrailles humides, chaudes, molles et nourricières. Cependant, contrairement aux autres humains, vous vous êtes annoncé par des vagissements qui ont crevé les tympans de l'accoucheuse ou de la sage femme qui a aidé votre maman à vous expulser de son utérus, flairant peut-être le travail et les difficultés qui caractérisent le métier de vivre. Riez, riez mes frères !
Il a fallu des heures pour arriver à couper le cordon ombilical épais et coriace qui vous liait aux profondeurs généreuses de votre mère. Pendant ce temps infini, vous gigotez comme un forcené, refusant la lumière. Alors, votre génitrice, émue jusqu'aux larmes et apitoyée, vous serre contre son corps. L'odeur et la douceur des seins maternels vous pénètrent profondément et mettent un terme à vos hurlements et tortillements. Riez, riez mes frères ! C'est à ce moment-là que vous avez créé un lien entre les larmes et le nirvana.
Et pendant deux ans, ou peut-être trois ou quatre, votre bouche ne s'arrêtera pas de pomper, passant d'un mamelon à l'autre, gloutonne. Riez, riez mes frères ! Au fil des jours, l'expérience dépose dans les replis de votre mémoire ce trésor fabuleux : vous remarquez que chaque fois qu'on vous arrache aux mamelles maternelles, il suffit de vagir un coup pour les retrouver aussitôt. La leçon est simple et fantastique : revendiquer et pleurnicher sont synonymes.
Puis, prenant subitement conscience que vous caracolez sur vos jambes depuis un bon moment dèjà, et qu'un duvet bourgeonne sur votre lèvre supérieure, votre maman s'enduit les seins d'une substance dégueulasse afin de vous sevrer. Cette brusque et impitoyable coupure avec la poitrine charnue et douce fait germer en vous une mélancolie qui ne vous quittera jamais. La sucette bourrée de sucre et le biberon n'arriveront pas à effacer ce souvenir parfumé et moelleux. Un manque que vous essayerez vainement de combler en suçant cigarette sur cigarette jusqu'à pourrir vos poumons. Riez, riez mes frères !
Par ailleurs, au fil des jours qui passent, les sons indéchiffrables, que produit votre bouche depuis quelques mois, deviennent des mots chargés de sens. Vous avez appris à désigner les créatures et les objets qui composent le monde qui vous enveloppe. Parmi les termes que vous entendez fréquemment autour de vous, vous vous rappelez très bien de ceux-ci : destin, patience, mauvais-il, jalousie, envie, magie, fatigue, malheur, misère, mendiant, maladie, médicament, tisane, suicide, mort, accouchement, bébé, frapper, insulter, pleurer, se plaindre, divorcer, cacher, pain, couscous, pomme de terre, oignon, sel, huile, limonade, karentita, mouches, moustique, cafard, vomir, saleté, odeur, et beaucoup d'autres liés aux zones honteuses de votre corps. Riez, riez mes frères !
Vous remarquez aussi que les êtres humains peuvent être désignés par des noms destinés aux bêtes comme : chien, chacal, âne, mulet, taureau, veau, vache, bouc, chèvre, et mouton. Vous vous habituez à être nommés ainsi.
Vous faites aussi un autre constat : les expressions employées dans la famille sont souvent des ordres donnés par les parents, qu'il faut exécuter sur le champ si vous ne voulez pas être roué de coups. Vous n'avez pas droit à la parole, et quand vous voulez obtenir quelque chose, vous pleurez s'il le faut pendant des heures, le visage ruisselant de morve et de larmes.
Mais vous voici âgé de six ans, il faut aller à l'école. Dans cette honorable maison, les instituteurs vous informent que la langue que vous utilisez chez vous est un charabia qu'ils ont pour mission de nettoyer et de corriger. Vous apprenez que vous êtes les descendants d'êtres parfaits qui ont semé de la science et de la sagesse en abondance partout où ils ont posé le pied. Vous vénérez alors ces ancêtres éloignés, les yeux braqués définitivement sur cette époque lumineuse, dégoutés par les odeurs de décadence qui se dégagent de votre chair. Là aussi, vous assimilez très vite que l'on vous demande de fermer votre gueule parce que vous ne savez rien. Le savant qui trône sur l'estrade ressemble en général à ses compatriotes : c'est un petit dictateur qui a horreur de ceux qui ne pensent pas comme lui. Il adore l'uniformité. Il possède la vérité. Son cartable est rempli de points d'exclamation et de réponses toutes faites. Vous quittez les bancs de l'école la bouche ouverte, grillé par le désir d'admirer et d'applaudir.
Vous avez grandi. Votre maman détecte sur vous des signes qui aboient furieusement qu'il est temps de vous marier. Mais elle n'y peut rien, vous devez attendre encore au moins vingt ans avant de convoler en justes noces. Cette longue privation bousillera vos nerfs et épuisera votre cerveau irrémédiablement. Petit à petit, les fantasmes remplacent définitivement la réalité. Vos neurones ont fabriqué un univers rose où votre corps peut gambader à son aise, libre, audacieux, déchainé. Dans le monde réel, vous êtes sombres, ombrageux, malheureux, intolérants. Certains parmi vous ingurgiteront sans répit de l'alcool et de la drogue pour survivre aux moisissures qui vous décomposent. D'autres, s'empoisonneront avec du café et des cigarettes infects. La plupart se coucheront dans le lit confortable du destin et de la patience. La longue et pénible attente s'achève. Votre mère part à la recherche d'une fille qui n'a jamais connu l'amour, pure. Qui est supposée avoir été surveillée étroitement par les mâles qui encerclent son corps. Pourtant, vous parlez entre vous des stratagèmes que peut inventer une chair travaillée par la nature. Vous ne tenez pas compte des beaux acteurs et chanteurs qui nourrissent abondamment ses fantasmes. Vous ignorez peut-être qu'on peut étreindre une image avec plus de volupté qu'on le fait avec un être en chair et en os. Riez, riez mes frères !
Le mariage a eu lieu. Les jours passent. Des enfants et des problèmes naissent. Le salaire misérable que vous empochez vous esquinte les nerfs. Des insultes fusent souvent de vos poumons et de celles de votre épouse. Chacun de vous continue à brouter dans le jardin luxuriant des fantasmes qui ont nourri son célibat. Les fleurs en plastique qui décorent vos murs n'arrivent pas à masquer les plantes charnues du mensonge qui ont envahi la maison. Vous êtes malheureux. Vous vous plaignez partout et tout le temps. Il vous arrive de pleurer. Vous revendiquez sans cesse. Vous tendez la main. Vous faites la chaîne pendant des heures pour obtenir un couffin. Vous vous allongez sans cesse. De temps à autre, vous vous enfermez dans une chambre pour sentir à loisir un fichu ayant appartenu à votre mère. Vos rêves sont traversés par des mamelons giclant du lait fumant et abondant. Parfois, vous vous révoltez contre cette vie médiocre. Alors, vous brûlez un pneu et vous barrez une route. Les autorités accourent. Vous hurlez que vous exigez des dos d'âne. Les autorités s'exécutent. C'est la gloire. Pour une fois, vous rentrez chez vous, la tête haute et ruisselant de dignité. Vous racontez l'exploit à votre mère, votre femme et vos enfants. Ils s'extasient. Leurs yeux brillent d'admiration. Vous êtes un héros. Vous attendez que la nuit tombe pour les emmener contempler les dos d'âne que vous avez arrachés au gouvernement.
La vieillesse pointe du nez comme une souris. Vous entendez ses petits cris. Votre langage est réduit maintenant à un seul mot : destin. Vous le répétez sans répit pour vous persuader que vous n'avez pas gâché votre vie. Pour bien mourir. Mais ce n'est pas aussi facile que ça. De plus en plus, quelque chose en vous se tortille comme un ver et vous lancine. C'est un doute. Vous vous dites : «Je n'ai jamais été un adulte. Je suis un bébé couvert de poils.» Mais ça ne dure pas. Vous écrasez ce ver et réintégrez le sentier du destin. Riez, riez mes frères !
Maintenant, je suis obligé de partir. Le pays est rempli de cafés. Le peuple m'attend pour entendre son histoire. Continuez à vivre ainsi, ô mes frères, vous allez dans la bonne direction, vous empruntez le bon chemin, que Dieu vous protège.
Cheikh Dahou donne un coup de sifflet strident et sort.


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