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M. Arkoun: l'impensé et l'impensable dans la pensée islamique contemporaine
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 18 - 09 - 2010

«De Saint Augustin aux intellectuels américains en 2002, en passant par Ibn Khaldoun, nous restons dans la même épistémè et la même épistémologie de la guerre juste pour assurer le triomphe de «valeurs » universelles.» M.Arkoun
Revisiter la pensée arkounienne, c'est s'introduire dans un incommensurable champ de réflexion d'une conscience islamique contemporaine fortement illuminante, de progrès, d'humanisme, de justice, de tolérance et de vérités. A partir de cet essai scripturaire basée fortement sur une partie des innombrables travaux de l'éminent savant. Nous tenterons d'entrevoir en s'appuyant sur des points d'ancrages choisis la profonde et enrichissante analyse critique imprégnée d'une pluralité de sens des différents paradigmes et concepts véhiculés par la pensée arkounienne.
Outils de pensée que l'auteur reconquiert en les débarrassant des gangues multiples qui les rendaient impropres à l'intelligibilité. Mohamed Arkoun nous propose les conditions de possibilité d'un dépassement historique des blocages mentaux, culturels, religieux, juridiques institutionnels, qui continuent de contrarier, retarder l'insertion, les progrès, l'émancipation et l'enrichissement.
La confrontation « Islam et démocratie », la lecture de l'espace maghrébin et de ses cultures, l'humanisme dans la pensée arkounienne représenteront dans ce bref exposé les arrêts sur texte de l'immense legs philosophique, sociologique, anthropologique et culturel arkounien.
Islam et démocratie
De prime abord, M.Arkoun renvoie cette confrontation « islam et démocratie » aux conflits historiques concrets entre deux postures de la raison devant la cognition qui commande à son tour, les questions centrales de vérité, de réalité, de valeurs, de loi, de légitimité, de gouvernance.. Arkoun vise, à travers ce constat, les politiques nationales de décolonisation qui ont aggravé la confusion intellectuelle entre la lutte légitime contre les effets négatifs de la domination coloniale et l'indispensable ouverture aux dimensions émancipatrices de la pensée moderne. Cette dernière, véhiculée politiquement par les processus de construction de l' Union européenne et scientifiquement par les indéniables progrès des sciences de l'homme et de la société pour éclairer justement les grands choix culturels, éducatifs, institutionnels, juridiques dans la phase de décolonisation. M.Arkoun illustre son analyse par les politiques linguistiques, de recherche scientifique en sciences sociales, en sciences de l'éducation dans les pays arabes, politiques qui ont été perverties selon l'auteur par la prédominance des revendications identitaires où la place donnée à la religion a vite conduit aux dérives fondamentalistes dont on déplore aujourd'hui les conséquences tragiques. Pour Arkoun, il y a eu accumulation et transmission systématique à travers les discours officiels et plus gravement encore les discours scolaires, de connaissances radicalement fausses, donc dangereuses, au sujet des fonctions culturelles et historiques de la religion en général et de l'islam en particulier.[1]
Retravailler la notion d'islam est plus qu'une urgence pour l'islamologue car on ne peut pas rendre intelligible le rapport complexe Islam/démocratie, si l'on ignore ou minimise la dialectique mondiale dans laquelle se joue depuis 1945 un drame historique où les bourreaux deviennent des victimes et les victimes des bourreaux selon les niveaux d'analyses et le camp historique dont l' «analyste» reste implicitement ou explicitement solidaire. Pour Arkoun : Islam et démocratie sont deux systèmes de croyances et de non-croyances que les sujets humains, qui sont en même temps des acteurs sociaux et historiques, transforment en « connaissances » fiables, voire certaines, en normes éthiques et juridiques contraignantes, en institutions plus ou moins sacralisées, absolutisées et donc sacralisantes et absolutisantes. La raison moderne nous permet de différencier les enjeux de l'option religieuse et de l'option démocratique. Celle-ci transforme le statut et les fonctions de la religion qui ne détermine plus rien dans l'ordre politique.
Arkoun souligne qu'il y a eu dans les contextes islamiques au cours des cinquante dernières années une hypertrophie de la fonction mytho-idéologique qui a perverti à la fois les fonctions mytho-historiques de la religion traditionnelle et le travail de réabsorption, de refonte, de réélaboration des forces de soulèvement et des valeurs positives véhiculées par le fait religieux.
Les expressions fondamentalistes de l'islam n'autorisent à parler ni d'un retour du religieux comme beaucoup le font, ni encore moins de la promotion de l'islam aux fonctions de modèle historique alternatif au modèle démocratique. Celui-ci est critiqué, décrié, rejeté par l'islamisme militant parce que sa fécondité politique et sa capacité d'accueil à toutes les formes d'espérance, toutes les ressources créatrices, toutes les volontés de dépassement de l'homme, demeurent l'immense impensé de ce qui subsiste aujourd'hui de la pensée islamique.
M.Arkoun nous avertit qu' il ne s'agit pas là d'un jugement arbitraire ou malveillant mais qu' il y a longtemps que les usages mytho-idéologiques que beaucoup d' « intellectuels », de gestionnaires des orthodoxies (‘ulamâ'), d'enseignants, voire de chercheurs ont fait de ce qu'on a appelé le legs (al-turâth) de l'islam classique. Les bricolages des réformistes pour rétablir dans sa grandeur et sa pureté l'islam « authentique » des « origines », des « pieux ancêtres » (al-salaf al-sâlih), les oublis systématiques perpétués depuis le Xe siècle à l'égard des penseurs « libres », innovants, originaux des périodes fugitives où s'esquissaient des marches décidées vers un humanisme prometteur [2].
Lecture de l'espace maghrébin et de ses cultures
Arkoun souligne dans son ses écrits que l'arabisation a été et demeure le thème central des constructions nationales dans l'espace maghrébin. Il précise que l'on continue de négliger en retour les tâches scientifiques incontournables d'une mise à niveau de la langue et de la pensée arabe pour retrouver ses richesses intellectuelles oubliées et surtout pour intégrer avec rigueur les productions de la modernité intellectuelle et scientifique. La faiblesse en qualité et en nombre des traductions d'œuvre en sciences de l'homme et de la société comme en philosophie, constitue pour l'islamologue les principaux obstacles qui obligent à recourir aux langues européennes afin de combler les retards marqués depuis le 13eme -14eme siècle.
La place de la technologie moderne- que Arkoun intitule la télétechnoscience- dans la mondialisation en cours, explique indéniablement le rôle grandissant du français et de l'anglais au Maghreb. Plus l'arabe se laisse envahir par les discours religieux et idéologiques, plus les acteurs sociaux auront besoin de recourir aux langues ou s'opère le travail déterminant de reconceptualisation imposé par les avancées révolutionnaires de la connaissance scientifique dans tous les domaines. Or, explique M.Arkoun, la télétéchnoscience tend à imposer une hiérarchie des langues européennes elles-mêmes au bénéfice de l'anglais.
D'autres difficultés majeures sont soulevées par l'auteur dans cet espace maghrébin. D'abord le manque criard d'enquêtes sociologiques dans cet espace, sur la production scientifique et culturelle, puis celle de la lecture et de la diffusion effectives de cette même production. Un fossé continue de se creuser entre des élites isolées, dispersées une classe moyenne trop occupée à maintenir un niveau de vie précaire et des masses populistes exposées aux tentations de la violence vengeresse. M.Arkoun s'interroge sur la place de l'acte de pensée critique dans cette espace maghrébin. Pour l'auteur, les écueils sont multiples, les cultures orales ont une assise sociale plus étendues que les cultures écrites qui monopolisent le pouvoir de nommer et les « vérités » d'orienter les significations, de hiérarchiser les valeurs, d'assigner les statuts, de fixer les limites et les finalités du système éducatif, d'instaurer les codes juridiques et les institutions étatiques. L'auteur pense que c'est à ces niveaux anthropologiques que se perpétuent les conflits, se consomment les séparations et s' exaspèrent des tensions que peu d'analyses pertinentes les font passer de l'implicite à l'explicite connu. Faute d'une politique de la recherche et d'une scolarisation émancipatrice, les oppositions dans les choix linguistiques continuent de nourrir les exclusions réciproques d'imaginaires construits à l'aide d'ignorances institutionnalisées. Arkoun remarque que des travaux importants ont été réalisés depuis les indépendances, mais ces apports restent mal relayés dans l'enseignement scolaire et guère diffusés pour modifier le rapport des Maghrébins à un passé ignoré ou mythologisé. M.Arkoun pense que les forces de sécularisation en travail dans les sociétés maghrébines n'ont pas réussi à maîtriser l'expansion d'un imaginaire politico-religieux qui dépasse les limites de l'espace maghrébin.[3]
L'appartenance à un socle anthropologique commun à l'espace méditerranéen et à la civilisation du désert est devenu un impensable dans cet espace maghrébin. Pour M.Arkoun la culture nomade et la civilisation du désert au Maghreb tendent à subir le même oubli, le même rejet que l'appartenance méditerranéenne. Un immense travail de recherche scientifique et de réflexion reste à entreprendre pour conserver, protéger, réhabiliter et revaloriser les diverses expressions des différentes cultures au Maghreb. Ni le patrimoine arabe et islamique, ni les expressions berbères longtemps négligées ou systématiquement ignorées sont suffisamment connus, interprétés et diffusés en dehors des grands centres urbains. L'amplification de tous ces déséquilibres a conduit à l'éloignement de plus en plus des sociétés maghrébines de la modernité. L'expansion sociologique de la modernité matérielle contraste avec les échecs et les retraits de la pensée critique sans laquelle la modernité sombre elle aussi dans les manipulations idéologiques.[3]
Humanisme et dialogue des religions La pensée humaniste s'intéresse en priorité à tout ce qui touche au déploiement optimal des facultés de l'esprit humain. Cela veut dire qu'il est nécessaire de propager la connaissance scientifique de toutes les cultures et les traditions de pensée produites par les hommes au cours de l'histoire de l'humanité dans son ensemble. Dans son enrichissante oeuvre L'humanisme arabe au 4e/10e siècle, M.Arkoun s'insurge dans ses écrits sur les attitudes humanistes partisanes d'historiens qui ont longtemps ignoré l'humanisme d'expression arabe développé et vécu en contextes islamiques dans ce même espace méditerranéen où s'enracinent les valeurs fondatrices de l'identité européenne. Cet humanisme d'expression arabe s'est développé et propagé dans tout l'espace méditerranéen entre 800 et 1300 environ, c'est-à-dire bien avant le mouvement humaniste parti d'Italie. L'attitude humaniste dans les contextes islamiques à Bagdad, Rayy (actuelle Téhéran), Ispahan, Kairouan, Cordoue, Tolède… Cet humanisme a connu un succès exceptionnel au 10e siècle.
M. Arkoun suggère que l'histoire de la pensée dans l'espace méditerranéen incluant les pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée, doit désormais enseigner cet humanisme aux lycées et collèges pour montrer la continuité historique de la pensée philosophique grecque en interaction forte avec les pensées théologiques musulmane, chrétienne et juives depuis l'époque lointaine d'Alexandre le grand. Notre penseur avertit que l'initiation ne peut produire ses effets les plus positifs que si les enseignants eux-mêmes se donnent les moyens scientifiques de maîtriser l'enseignement d'une histoire remembrée des systèmes de pensée et des cultures qui se sont affrontés et fécondés mutuellement dans l'espace méditerranéen. Cette disputation s'est muée aujourd'hui en polémiques stériles et en conflits répétés entre ce qui est appelé « Islam et Occident », deux mots sacs que M. Arkoun considère comme artificiellement gonflés par l'expansion ancienne et récente de deux puissants imaginaires collectifs nourris à la fois de postulats théologiques et d'interprétations idéologiques. Le religieux connaît un retour « sauvage » dans un contexte dominé le plus souvent par des ignorances tenues pour des « vérités » essentielles, voire divines. M. Arkoun réaffirme qu'il est urgent de libérer les peuples et les cultures des divisions séculaires qui ont fragmenté cet espace en « territoire de guerre » et « territoire de paix ». Nos élèves doivent d'urgence être initiés à cette relecture humaniste d'un espace méditerranéen intellectuellement, spirituellement et culturellement remembré par delà tous les fondamentalismes ravageurs [4].
Conclusion
M.Arkoun en visionnaire avéré montre dans un jeu de substitutions et de réappropriations nécessaires le chemin de l'émergence d'une raison qui embrasserait dans une vison englobante, érudite, scientifique et réflexive les défis inédits mais déjà identifiables. L'histoire comparée des systèmes de pensée théologiques et philosophiques dans l'espace méditerranéen constitue dans cette optique le champ de recherche le plus pertinent. L'œuvre de M. Arkoun est une repensée continue des statuts philosophiques et politiques de la condition humaine dans ses réalisations comme personne, individu, citoyen, espèce et être collectif en devenir dans un monde en voie de globalisation, de spécification et de complexification à la fois. Dresser les jalons nouveaux sur une route encore mal tracée dans l'espace maghrébin doit conduire, comme le souligne maintes fois M.Arkoun dans son immense œuvre, à une relecture libératrice et refondatrice de l'espace historique et anthropologique. La libération intellectuelle, spirituelle et culturelle du Maghreb est à ce prix.
* Universitaire – Saïda
Références bibliographiques
[1] Islam et démocratie. Quelle démocratie ? Quel islam ?
| Presses Universitaires de France | Cités 2002/4 - n° 12 p. 81-99
[2] Ibid., p. 81-99
[3] «Aux origines des cultures maghrébines» ,in Maghreb, Peuples et Civilisations. S.d de C.et Y. Lacoste, La découverte Paris, p 83-90.
[4] «L'humanisme arabe au 4e/10e siècle», 3e éd. J. Vrin 2005.


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