Il sera l'album de la monstruosité : silhouettes des enfers, visages tordus, yeux tombants hors de l'orbite, peaux verdâtres sur fond de montagnes sombres et de mains géantes portant des kalachnikovs. Ou peut-être montant sur des chevaux fruits de mauvais ADN ou de manipulation de la chair et des argiles, avec le chiffre 54 dans le ciel rougeoyant et le drapeau à l'étoile disproportionnée en guise de cieux effacés et réduits à des marécages. Ce n'est pas la vision bande dessinée de l'Enfer de Dante, mais ce que vous pouvez voir et revoir et revoir encore le long des routes algériennes, dans les villages, les villes et sur les façades aveugles des immeubles. C'est l'esthétique APC. Celle qui consiste à peindre et repeindre l'Emir Abd el-Kader, Bouteflika, les martyrs (mille fois martyrisés du coup) et l'épopée 54 et les Glorieuses Fêtes (avec majuscules). Généralement, l'œuvre est du ressort des mairies qui la confient à des peintres troubles qui confectionnent alors ces terribles portraits difformes et repeignent la révolution dans l'art kitch de la grossièreté. Le vœu est de célébrer les martyrs, le nationalisme, le drapeau, le président, les pères fondateurs, mais cela donne de difformes temples qui font peur aux enfants et donne le vertige aux cheveux. Rien n'est du coup plus laid que ces portraits de l'esthétique APC. On pourrait en faire un album qui serait la source d'une sorte d'art baroque né du socialisme, du budget de l'APC, du manque de raffinement et de la propagande. Promenez-vous dans le pays et vous en verrez jusqu'à vomir. De si laids Emir Abd el-Kader, des reflet étranges de Bouteflika outrageusement rajeuni ou malaxé avec Staline, des ombres de moudjahidine grimpant une montagne sombre, armes à la main, mais ressemblant plus à des ogres et des trolls qu'à des combattants. Ce n'est même plus le fameux réalisme socialiste d'autrefois, c'est une vision cauchemardesque du mythe, un glissement de la grossièreté vers la monstruosité. Presque tous les villages algériens sont atteints par cette faune. Et le mauvais goût s'étend aux stèles commémoratives. Celles-là, abandonnées au pouvoir des mairies qui les cèdent aux maçons, sont les pires. Roses ou lépreuses, recopiant à l'infini Makam Echadid, astreint à refléter le fameux monument du Chadlisme, assorties soit du jeu d'eau (A Saïda c'est écrit que l'eau est impropre à la consommation et à la baignade), du faucille, du fusil, de statuettes de combattants, d'un livre en ciment, d'un épi ou d'une liste de morts. Souvent roses, blanches, grises, ratatinées, mal nées dans du ciment douteux, ces stèles sont une vraies collection nationale, la pire insulte faite au mythe fondateur du pays, incarnant une transition de la libido bloquée entre la propagande et le raffinement. Durs à vivre, à montrer aux enfants à venir, à laisser comme patrimoine à l'humanité. Esthétique morbide, confession pure de nos entrailles en mal d'étoiles, de créations, de voie lactées et de capacité du beau. Rien ne semble plus sincère que ces laideurs de dix mille Abd el-Kader déformés.