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Le déni de la darija et ce qu'il nous en coûte
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 04 - 06 - 2020

Au moment où l'on s'apprête à enrichir la Constitution, il faudrait revenir (encore et encore) sur ce qui n'est que le début des retombées du sentiment de haine de sa propre langue.
Certains de nos compatriotes croient (ou feignent de croire) que s'opposer à la darija est le seul moyen de protéger la langue arabe. Or, outre le fait qu'ils conçoivent la langue du Coran comme une « faiblesse » qu'il faut protéger, ils oublient que c'est grâce à la darija - déjà présente depuis plus de 1500 ans - que la langue arabe a pu s'installer et se maintenir chez nous. Et oui, l'ancêtre de la darija est la langue de Carthage, le punique. Et le punique est proche de l'arabe. Les deux langues ont donc coopéré - chacune occupant des fonctions propres : la vie cultuelle (fiqh, sunna, l'exégèse coranique, la gestion administrative) pour l'une ; et la vie socioculturelle, y compris la littérature « populaire », ayant laissé de nombreuses traces écrites, pour l'autre.
C'est la proximité linguistique des deux langues qui aura permis à l'arabe de se propager. La visée de l'ouverture islamique n'était pas d'imposer une hégémonie linguistique, mais de faire accepter le Message. D'ailleurs, comment cela s'est-il passé là où il n'y avait pas de proximité linguistique comme en Iran ou en Turquie et dans 70% des pays musulmans ? Le persan n'a pas été absorbé par l'arabe, pas plus que le turc ou toutes ces langues d'Indonésie, de Chine et d'ailleurs. La darija est donc bien loin d'être une menace pour l'arabe d'autant plus qu'elle en aura été le mentor. En faisant barrage à la langue maternelle majoritaire de ce pays on scie la branche sur laquelle on est assis. Pense-on réellement bien faire ? Et pourtant en rejetant la langue sœur de l'arabe (et du berbère) on ne fait que retarder l'émergence d'une intelligentsia algérienne ; voire maghrébine, sur la scène internationale. La politique linguistique algérienne a surtout misé sur l'arabisation en ayant laissé sur le carreau les langues maternelles - ces choix de principe avaient été retenus avant même l'avènement de l'indépendance. La doctrine en l'espèce partait du principe que nous étions tous arabophones avant la colonisation française et que cette dernière a dénaturé notre langue avec pour objectif de la réduire au statut de « dialecte », voire de « patois », sans valeur et sans profondeur. Une telle option faisait écho au mot d'ordre de l'association des Oulamas de Ben Badis de se réapproprier « notre » langue. C'est ainsi que notre jeune Etat a mis en œuvre tous les moyens (idéologiques, politiques, humains, matériels, financiers, administratifs, éditoriaux, juridiques, etc.) au service de ce retour à « notre » langue. Or, après plus d'un demi-siècle d'efforts soutenus, qu'avons-nous à récolter ?
- Nous avons l'un des systèmes éducatifs les plus mauvais au monde (Cf. classements PISA) ;
- Les élèves entrent dans le système scolaire parlant la langue que leur cerveau capte, tout naturellement, dès la naissance, ils en ressortent quasi illettrés - et pas seulement en arabe!
- Les études du secondaire développent la mémoire et affaiblissent l'intelligence critique.
- Le passage à l'entonnoir du supérieur voit une infime minorité atteindre la post-graduation.
- Dans leur masse, les citoyens illettrés en arabe ou non berbérophones sont mis en marge de l'intégration civique (médias, administration, etc.).
La relève tant espérée par nos anciens est lourdement contrariée tant sur un plan quantitatif que qualitatif. A cette sècheresse culturelle et linguistique vient se greffer l'hémorragie endémique des métiers: pénuries de maçons (sérieux), de plombiers, de réparateurs spécialisés, de techniciens capables de maîtriser le moindre outil, d'ingénieurs fonctionnels à la sortie de leurs parcours universitaires, etc.
En somme un bilan bien contrariant. Mais attention : ceci n'est pas dû à l'arabisation (bien ou mal planifiée), non. Ceci est dû à la mise à l'écart de la langue que Dieu nous prépare à acquérir à notre naissance. Il s'agit bien d'un don du Ciel : les nourrissons viennent à la parole comme ils apprennent à se mettre debout puis à marcher. Ceci est inscrit dans les gènes de tout humain. Lorsque la politique vient contrarier la nature (ce qui se passe avec les langues maternelles peut se passer avec les lits d'oueds ou de rivières), la nature le lui rend ... et a toujours le dernier mot. Cela ne mérite-t-il pas d'y méditer et faire acte d'humilité devant la puissance de la nature ?
Tamazight est sauvé - sur le plan institutionnel, s'entend. Il reste à réhabiliter la darija (maghribi) ne serait-ce que pour ces quelques raisons principales :
1. L'histoire atteste qu'à côté du berbère, une grand langue de civilisation s'était enracinée à partir de la Grande Carthage punique : cette langue est ce que nous appelons communément la darija et que je préfère appeler le maghribi ;
2. Les habitants d'Afrique du nord ont facilité la pénétration de l'Islam grâce au fait qu'une bonne partie de la population parlait une langue de la même famille que celle de l'arabe : le punique;
3. La darija (maghribi) a été l'instrument de l'adhésion massive et globalement pacifique à l'islam ;
4. La darija et la fos'a ont donc toujours cohabité et c'est l'expérience d'El Andalus qui témoigne le mieux de leur complémentarité - poésie jazel et mal'ûn, notamment;
5. Les différents pouvoirs arabo-musulmans qui se sont succédés (des Omeyyades aux Ottomans) ont largement tiré avantage de ce bilinguisme de fait - (y compris le bilinguisme berbère -arabe) ;
6. La relance du punique en tant que darija s'opère vers le VIII è siècle avec la conception de l'alphabet maghrébin - que Al Andalus adoptera avec fierté;
7. On tend, par complexe, à réduire la darija à ces parlers citadins où le mélange de plusieurs codes fait « tendance », occultant que le maghribi repose sur un patrimoine littéraire de plus de 1000 ans ;
8. Exclue de l'espace institutionnel, la darija résiste malgré tout (théâtre, chanson, poésie, cinéma, TV, publicité, ‘irak, etc.) et maintient (encore) la cohérence sociale à l'écart du chaos culturel et psychologique;
9. On sait qu'un peuple que l'on détourne de sa propre langue maternelle est appelé à verser dans le déni permanent et dans la violence ;
10. Le déni du don de la Nature qu'est celui de la langue maternelle développe des pathologies (dont le « mal-être » algérien, la ‘arga, les drogues et bien d'autres formes de schizophrénie).
Dans la foulée des ouvertures civilisationnelles que le ‘irak a permis, Il est opportun de mettre à jour cette politique linguistique, sur la base des connaissances historiques auxquelles nous pouvons accéder de nos jours. De fait, la darija a une histoire millénaire que nous ne pourrons pas occulter sous prétexte que ce fait d'histoire nous échappait. Comment oser rejeter une présence linguistique de 3000 ans que rien ni personne ne pourra effacer car elle est langue maternelle d'une majorité écrasante de la population du Maghreb ? Notre génération et celles à venir ne pourront pas prétendre ne pas savoir que la fos'a et la darija ont cohabité intelligemment durant des siècles ; ce qui a permis de développer les deux cultures : la nationale et celle de la Oumma. La culture nationale est matérialisée par un patrimoine textuel (qaçidates, poésie, contes, narrations, documents scientifiques et pratiques, etc.) qui s'accumule depuis plus de 1000 ans. Quant à la culture de la Oumma, elle est plus particulièrement prise en charge par des instances internationales (Ligue des Etats Arabes, etc.). Or, pour des raisons probablement liées au « mal-être » algérien et au sentiment de « haine de soi », les choix politiques qui se sont succédé avaient plus à cœur de maintenir la culture de la Oumma que de promouvoir les langues et culture nationales, jugées - par certains - non dignes de considération. Or l'organe vital de la Oumma ce sont les nations qui lui donnent consistance.
Ne serait-il pas temps de renverser la vapeur ? Ne serait-il pas temps de réaliser l'ampleur de ces lacunes et de rectifier le tir ? Comment préparer l'accès à la citoyenneté tout en rejetant et en marginalisant les langues maternelles ? Ne serait-il pas temps de fêter nos 60 ans d'existence avec un espace linguistique et culturel réhabilité et dont la revitalisation en profondeur est actée?
Il revient à chacun d'entre nous de prendre ses responsabilités pour qu'à partir débats sur la révision de la Constitution nous parvenions à assurer à la darija (maghribi) sa protection juridique. Ainsi planterons-nous, dans la nouvelle version de la Constitution le principe cardinal de la démocratie linguistique, seul garant de la pérennisation de la protection de toutes les langues maternelles de la nation.
*Linguiste (Auteur de «Après tamazight, la darija», Editions Franz Fanon, 2020)


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