Curieux phénomène et paradoxe particulier à la ville de Mostaganem, le ramadhan demeure l'unique mois durant lequel la grosse agglomération côtière se ‘'désiste'' de sa sinistrose nocturne caractéristique, en transgressant au couvre-feu que sa population décrète volontiers et délibérément le restant de l'année. Le mois durant lequel les fidèles ont l'embarras du choix de la manière de s'envoyer au ciel... De nuit, l'ambiance devient tout autre. Si pendant le jour, le ramadhan uniformise presque le mode de vie des jeûneurs, une fois le jeûne rompu, c'est chacun son style, son ambiance et sa voie. Il y a ceux qui se consacrent à la prière nocturne des “tarawih” et ceux qui, la nuit durant, ‘'tuent'' le temps, tout en se tuant sans s'en rendre compte. Entre les deux, figurent les partisans de la devise “chouia l'rrabi, chouia l'galbi'', qui s'acquittent du devoir religieux tout en jouissant des plaisirs de la vie d'ici-bas. Ceux-là prennent autant de temps pour prier que pour sortir, jouer, acheter, festoyer, fumer ou, tout simplement, se balader. Et pour se faire plaisir, ils n'ont que l'embarras du choix du lieu et de la manière. Lors de la prière des tarawih, toutes les mosquées font le plein de fidèles. Une affluence record d'autant plus évidente que même les espaces contigus aux salles de prière sont investis. Selon la proximité de l'édifice, la fraicheur du site, le charisme de l'imam, ou sa promptitude dans l'exécution de la prière et la libération des Hadj, on choisit son lieu de culte. Ainsi, certains pointilleux font le repérage des meilleurs ‘'déclamateurs'' pour prier derrière eux. Et cela ne manque pas de créer une véritable émulation entre les différentes mosquées dont l'aura se mesure au vu du nombre de fidèles qu'elles attirent. Nombre de pratiquants, permanents et occasionnels, sont attirés par la manière de psalmodier de l'imam. ‘'Sa voix, expliquent des prieurs marqués par l'art oratoire, est si belle qu'elle pénètre dans le cœur de l'auditeur !''. Une technique qui consiste à réciter à haute voix en marquant, par les intonations qu'exigent le sens, l'accent grammatical et l'accent oratoire. ‘'C'est ce qui permet une meilleure méditation du sens des mots divins et une meilleure concentration dans la prière'', nous explicite Charef, un enseignant universitaire. Une autre catégorie de fidèles préfère les grands espaces aérés. Aussi, s'empresse-t-on de prendre place là où climatiseurs et ventilateurs ont été installés. En ces soirées chaudes, la plupart des mosquées offrent les deux ‘'compartiments'' : la salle de prière climatisée et le patio, la terrasse ou même la chaussée limitrophe. Ailleurs, les cafés, également habituels ou ouverts là où on n'en disposait pas avant le ramadhan, demeurent l'autre pôle d'attraction d'une majorité de noctambules. Ils sont archicombles. Les inconditionnels des dominos, du rami, de la belote, du loto ou de la tchatche, s'y donnent rendez-vous. Aux alentours, le brouhaha diurne cède la place à une quiétude relative plus favorable aux ‘'tenanciers'' des tablettes et aux dealers qui animent le commerce des denrées ‘'capiteuses'', de la vente des cigarettes en détail, du kif et des comprimés ‘'apaisants''. Les accros qui jeûnent ne peuvent s'en passer pour se remettre d'aplomb. Les commerces de l'alimentation générale, de la confiserie, de la chaussure et de l'habillement prolongent leur horaire d'ouverture jusqu'à l'approche du s'hor. Il ne peut y avoir meilleur aubaine de renflouer les poches !