Nous Algériens, nous n'arrivons pas à comprendre ni à admettre qu'il y ait des Arabes chrétiens. Dans notre imaginaire tout Arabe est musulman. Nous oublions que Jésus est palestinien né à Nazareth et que le christianisme comme l'islam est une religion orientale, une religion de chez nous.Nous oublions cette réalité historique, que c'est grâce à l'intelligentsia arabe chrétienne des XVIIIe et XIXe siècles, dans une grande partie, que la langue arabe a connu une percée unique et sans précédent dans le renouvellement et la modernité. C'est cette intelligentsia avertie et bien éveillée qui a libéré la langue arabe de sa rhétorique et de sa phraséologie traditionnelle. C'est aussi grâce à cette intelligentsia créative que la littérature arabe du XXe siècle a débouché sur les genres littéraires modernes comme le roman, la nouvelle et le théâtre. Grâce aussi à ces intellectuels arabes chrétiens que la pensée arabe s'est ouverte sur les richesses intellectuelles universelles par le biais de la traduction. Ces intellectuels, par leurs curiosités intellectuelles, par leur esprit ouvert sur toute aventure de création furent des traducteurs alertés et sensibles aux richesses universelles littéraires et philosophiques. Nos manuels scolaires, ceux des années 1970, de littérature et langue arabes firent hautement rehaussés par des beaux textes appartenant à ces grands écrivains arabes chrétiens : Elia Abou Madhi, Khalil Gibran, Jacob Sror, Faris Nimr, Salim al-Bustani, Géorgy Zaïdane, Mikhaïl Noueyméh, Khalil Haoui, May Ziyada, Boutros Al Boustani, etc. Adolescents, nous avons appris par cœur une dizaine de leurs poèmes pleins d'amour, de tolérance, d'évasion et d'ouverture. Epris, fascinés par les intrigues des romans historiques de Géorgy Zaïdane (1861-1914), nous avons dépensé des heures et des heures en lecture de sa série historique en 22 volumes. Ce dernier maîtrisait en plus de l'arabe, l'hébreu, le français et l'anglais. Par son style romanesque ragoûtant et tentant, il a révolutionné le lectorat arabe en la faisant passer d'un lectorat de poésie à un autre de roman, de prose. Et c'est Géorgy Zaïdane, maronite libanais, qui allait créer, en 1892 au Caire, la revue Al Hilal (le croissant) qui continue à paraître jusqu'à nos jours. Par son engagement pour une presse libre, par ses recherches sur la civilisation arabo-musulmane et sur l'histoire ancienne de la langue et la littérature arabes, les écrits de Géorgy Zaïdane ont constitué un grand impact épistémologique sur les chercheurs, comme sur les journalistes arabes. Les écrivains arabes, sans exception, de génération en génération, d'un courant à un autre, et jusqu'à nos jours, affirment que leurs parcours littéraires étaient marqués par un livre-phénomène : le Prophète de Khalil Gibran (1883-1931). Le Prophète est un texte exceptionnel, immortel, dans la forme comme dans le contenu, et qui demeure jusqu'à l'heure l'un des livres les plus lus et relus dans le monde. Il est classé, chaque année, parmi les meilleures ventes aux côtés des best-sellers saisonnières et des livres sacrés (le Coran et la Bible). L'écrivain rebelle, romantique, aventurier, dont un de ses livres intitulé les Âmes rebelles (Al Arwah Al Moutamarrida) a été brûlé par les autorités turques, fut l'image de l'écrivain-modèle, rêvé chez tout jeune écrivain Arabe... (à suivre) A. Z. ([email protected])