Nous assistons ces dernières années à l'émergence d'un nouveau type de tourisme domestique qui draine de plus en plus d'aficionados. Tous les week-ends, des bus en partance pour Tikjda, Chréa, Tipasa, Dellys, Médéa, Theniet El Had, Biskra, Bou Saâda, Barbadjani (Tlemcen), El Kala..., prennent le départ depuis l'avenue Ali Mellah à Alger. Ainsi, la Place du 1er Mai est devenue un «hub» du tourisme alternatif, témoignant d'une formidable opération de promotion du tourisme national, peut-être la plus efficace de toutes, qui réconcilie habilement les Algériens avec leurs terroirs et leurs territoires. Nous avons accompagné l'un des pionniers de ce nouveau mode de vadrouille à l'occasion d'une sortie au Zaccar. Carnet de bord avec Eskapade Trek Algérie... C'était quelques jours avant le début du Ramadhan. Alors que nous effectuions des recherches en prévision d'un reportage dans la région du Zaccar (paru depuis sous le titre : «Grises mines sur les flancs du Zaccar», El Watan du 22 mai), voilà que nous tombons sur une page Facebook «Eskapade, Trek-Aventure en Algérie», qui annonçait une randonnée pédestre dans le Zaccar justement pour le vendredi 11 mai, dernier week-end avant le Ramadhan. L'annonce proposait un «trek niveau 2», avec une dizaine de kilomètres de marche à la clé, vers le mont Zaccar (1550 m d'altitude). Tarif : 2000 DA comprenant transport, sandwich et rafraîchissements. «Un code de confirmation vous sera envoyé», ajoute l'annonce qui se termine par ces mots : «Les principes fondamentaux de nos sorties : sécurité, respect, écologie et bonne ambiance». Quelle belle coïncidence songeons-nous ! Renseignement pris, l'opérateur est une boîte d'événementiel basée à Birkhadem. Son nom : Schwarz und Weiss, qui signifie noir et blanc en allemand. Il ne s'agit nullement d'une boîte allemande mais d'une agence 100% DZ. Celle-ci se présente comme une «entreprise algérienne de marketing alternatif». Outre les prestations de «conseil, création et organisation d'événements...», cette agence s'est lancée depuis quelques années dans le tourisme alternatif et organise des circuits de trekking un peu partout en Algérie, des balcons du Ghoufi aux dunes magiques de Beni Abbès et de Taghit. Nous appelons immédiatement au numéro indiqué et c'est ainsi que nous faisons la connaissance de Amir Larbi-Bouamrane, le tout jeune directeur de cette boîte. En 2013, il a lancé avec d'autres trekkeurs passionnés d'aventure et de découverte, un concept baptisé tout simplement «Sortie Photo Algérie» (SPA). Comme son nom l'indique, cela consiste à combiner virées pédestres et photographie. Pour ne pas s'embrouiller : Schwarz und Weiss est la société mère qui est une entreprise commerciale, tandis que Sortie Photo Algérie et Eskapade Trek Algérie font partie de la gamme d'activités (ou d'événements) proposés par cette boîte. Des prestations certes payantes mais avec un esprit plus proche des clubs de rando que des agences de voyage. «Schwarz und Weiss lance son nouvel événement spécialisé en voyages d'aventure : Eskapade Trek Aventure en Algérie», explique l'agence sur sa page Facebook en promettant «une nouvelle approche (...) avec de nouveaux circuits : sites mythiques, régions reculées, grandes traversées, treks extraordinaires...» où «l'aventure est intense». L'avenue Ali Mellah : place forte du tourisme alternatif Deux jours après notre appel, nous recevons confirmation de la sortie par sms ainsi que notre code (0703). Rendez-vous nous est fixé devant le bazar Ali Mellah, à quelques encablures de la Cour des comptes. Le départ est prévu à 7h30. Le jour J, nous pointons dès 7h du matin au lieu indiqué, comme des boyscouts. Nous nous attendions à ne trouver que l'équipe d'Eskapade et les participants à la sortie. En vérité, d'autres bus étaient alignés au long de l'avenue Colonel Ali Mellah. De fait, des opérateurs proposaient d'autres destinations à partir du même point de repère. Des pancartes collées au pare-brise de certains transports portent la mention «The Best adventures in Algeria». Le circuit proposé par cet opérateur prévoit une visite au village de Tiferdoud, près de Aïn El Hammam, en Haute Kabylie, ainsi qu'une balade à Azro Nat'hor, le tout pour 1500 DA. Force est de le constater : ce nouveau type de tourisme domestique fait fureur ces dernières années. Tous les week-ends, des bus en partance pour Tikjda, Chréa, Tipasa, Dellys, Médéa, Theniet El Had, Biskra, Bou Saâda, Barbadjani (Tlemcen), El Kala, etc. prennent le départ depuis le bazar Ali Mellah ou bien depuis le quai attenant à l'UGTA. Ainsi, la Place du 1er Mai est devenue une place forte, un «hub» du tourisme alternatif, témoignant d'une discrète et singulière opération de promotion du tourisme national, peut-être la plus efficace de toutes, qui réconcilie merveilleusement les Algériens avec leurs terroirs et leurs territoires, avec nos collines oubliées, nos montagnes inexpugnables et nos déserts solitaires. Nous apprendrons que pour la seule équipe d'Eskapade, en fait ce sont deux destinations qui sont proposées ce vendredi 11 mai : outre la sortie vers le Zaccar, une autre est programmée à la même heure en direction de Theniet El Had, dans la wilaya de Tissemsilt. Une liste à la main, Amir Larbi-Bouamrane coche les noms des participants. Nous déclinons notre code et prenons place à l'arrière du bus. Amir, lui, va accompagner les randonneurs qui ont opté pour le parc de Theniet El Had. «On est les premiers à proposer le circuit du Zaccar» 7h50. Après avoir rangé sacs à dos et victuailles dans le coffre, le bus démarre enfin. Que l'aventure commence ! Une vingtaine de participants sont de la partie dont cinq ou six jeunes femmes, certaines accompagnées de leur fiancé. Nous partageons la dernière rangée avec deux jeunes qui habitent à Bab J'did, dans la Haute Casbah : Nassim et Abdelmalek, respectivement 19 et 16 ans. A l'autre bout de la rangée, Mohamed, 30 ans, steward à Air Algérie. Une fois le bus en route, Abdou, notre guide (Abdelkader Cherrab de son nom complet) se lève pour distribuer des bracelets estampillés «Mont Zaccar» et encaisser la participation financière des passagers. Collier de barbe sur un sourire immuable, «la tête coiffée d'une casquette bleue et vêtu d'un t-shirt rouge floqué de son prénom»... (Abdou, et la mention «Eskapadeur »), notre hôte est très avenant. Alors que l'assemblée somnole encore, lui déborde d'énergie et de bonne humeur, distribuant bons mots par ci, petites blagues par là. «On est les premiers à proposer le circuit du Zaccar», affirme Abdou. «Il se trouve que l'initiateur du projet, Amir Larbi-Bouamrane, est lui-même originaire de Miliana» explique-t-il (voir entretien). Au bout de 70 km de trajet, pause-café à la station-service Tamesguida. A hauteur de Boumedfaâ, nous quittons l'autoroute pour emprunter la RN4, l'ancienne route de l'Oranie. Nous bifurquons ensuite au lieudit Oued Soufay pour monter vers la capitale du Zaccar. 10h25. Nous voici à Miliana. La ville est inondée de lumière à la faveur d'un éclatant soleil printanier. Après un tour rapide dans la vieille ville, le bus s'immobilise enfin dans un quartier résidentiel sur les hauteurs de Miliana. L'équipe d'Eskapade distribue sandwichs, bouteilles d'eau minérale et boîtes de jus aux participants. «Mais on ne va pas manger ici. On fera notre pique-nique là-haut», lance Abbou. C'est d'ici que va commencer la randonnée proprement dite. Le groupe se trouve renforcé par l'arrivée de Karima, une habitante de Miliana, accompagnée de sa fille, étudiante. «Cela fait 20 ans que je ne suis pas montée là-haut», confiera Karima. En cause : les années noires. «J'ai des cousines qui viennent spécialement d'Alger pour faire cette randonnée. Et moi qui habite ici, je ne la fais pas ?», sourit-elle. Des pierres scintillantes en guise de souvenir 10h50. Abdou donne le top départ. «Ya djemaâ, restons proches les uns des autres. On marche ensemble et on s'arrête ensemble, OK ? Let's go l'équipe !» Très vite, nous quittons le décor urbain de l'ancien bastion de l'Emir Abdelkader et ses bâtiments cossus pour mettre le cap sur les cimes du Zaccar. Une file de sacs à dos se déploie par petites grappes au milieu d'un paysage vertigineux. Téléphones portables et appareils photos se mettent tout de suite au travail. C'est Abdou qui mène la danse, et c'est Salim, un autre membre de l'équipage, qui ferme la marche. Abdou et Salim sont tous deux équipés d'un talkie-walkie pour signaler tout éventuel incident et régler la cadence. Les randonneurs cheminent au milieu d'un éden verdoyant parsemé de parterres de jonquilles, de coquelicots, de marguerites, de lentisques, ainsi que des bosquets où se mêlent des chênes, des conifères, des eucalyptus géants et autres merveilles botaniques de la flore locale. On croise ça et là des bâtisses en ruine dont quelques vestiges antiques. Mais l'attraction du circuit, ce sont surtout les grottes et autres cavités calcaires qui ponctuent notre ascension. Nous pénétrons à un moment dans un tunnel creusé sous un proche rocheux. Une galerie souterraine artificielle, indique Abdou. « Ici, on conservait le surplus de charbon. C'étaient les Français qui ont aménagé ces abris pour servir de lieux de stockage», dit-il. Ces galeries nous permettent d'avoir un peu de fraîcheur quand les organismes commencent à chauffer. Des randonneurs s'amusent à ramasser des pierres en guise de souvenirs. Certaines de ces roches sont scintillantes. «Ce sont des restes de minerais», nous dit-on. Il ne faut pas oublier que le Zaccar était connu jadis pour ces mines de fer à ciel ouvert, et dont – rappelle Eskapade dans sa communication – «le fer (dit puddlé) a servi dans la construction de la Tour Eiffel». Les dernières mines de la région ont fermé le 31 décembre 1975, sous Boumediène. Autre attraction grandiose : une vue somptueuse sur la ville de Miliana et la vallée du Chélif. Waw ! «Mais Miliana a changé», se désole Karima. Et de nous raconter comment, avant, les gens venaient en ziara à un marabout de la région, Sidi Abdelkader, dont le mausolée est niché au cœur du Zaccar, en amenant avec eux des petits plats traditionnels en offrande. Les familles passaient toute la journée, en toute quiétude, dans cette douceur bucolique. Un steward d'Air Algérie et un ingénieur parisien La plupart des membres de notre expédition découvraient la région pour la première fois. C'est le cas de notre ami steward. Mohamed dit avoir découvert fortuitement l'annonce de l'événement sur Facebook et a suivi son instinct. S'il fait un métier sexy, cela a aussi ses inconvénients. «Dans mon travail, il y a beaucoup de stress, avec les retards, les remarques désobligeantes des passagers, même si c'est justifié. Les vols à l'international sont fatigants à la longue. Je fais Dakar, Abidjan, et même les longs courriers jusqu'à Pékin. Ça peut durer jusqu'à 13 heures, c'est le vol le plus long. On est ‘‘jetlagués'' (de ‘‘jet lag'' , décalage horaire, ndlr). Donc, on a besoin de décompresser», confie-t-il. D'où, effectivement, son besoin de grand air et on le comprend. Pour Mounira et Malik, c'est une autre histoire. Malik vit et travaille à Paris, tandis que Mounira est cadre supérieur dans un important ministère, à Alger. C'est la première fois pour eux, le Zaccar. Toutefois, Mounira a eu à participer récemment à une escapade à Theniet El Had qui l'a visiblement enchantée. Elle n'a donc pas hésité à proposer à son ami cette sortie découverte. Et profitant d'un séjour au pays de ses parents qui tirait d'ailleurs à sa fin, Malik s'est retrouvé parmi les trekkeurs, partagé entre l'enchantement que procure immanquablement la beauté du site, et une petite angoisse lancinante en pensant à qui vous savez, surtout au début, à mesure que l'on gravissait la montagne... «Comme j'ai fait des études de génie civil, forcément, j'ai étudié la Tour Eiffel, et quand j'ai lu que le fer des mines du Zaccar a été utilisé dans la construction de la Tour d'Eiffel, ça a piqué ma curiosité et j'ai tenu à découvrir ce site», raconte Malik.
Quant à Nassim et Abdelmalek, ils ont l'habitude, nous diront-ils, des road-trips improvisés. Ils aiment bourlinguer, mais jamais dans un cadre organisé comme celui-ci. «Dernièrement, on a été à Oran et à Tlemcen. On est partis tout seuls. El Gharb chabba. C'est vraiment génial», disent-ils. Nos deux compères avaient juste envie de changer d'air au lieu de «se morfondre un vendredi fel houma». Nassim suit une formation en coiffure. Il a également sa petite table de vente de cigarettes à La Casbah. Abdelmalek, lui, passe son BEF cette année. Ils ne connaissent pas les gens d'Eskapade. Comme Mohamed, ils ont découvert par hasard l'annonce sur Facebook et ont sauté sur l'occasion. «Honnêtement, je n'aime pas trop les voyages organisés», lâche Nassim. «Mais c'est toujours bien de découvrir un coin de son pays. Je ne connaissais pas le Zaccar. C'est magnifique !» Pause-déjeuner à l'ombre d'un vieux rempart Arrivés sur un plateau fleuri bordé par un vieux rempart pittoresque, au terme d'environ 4 kilomètres de marche, Abdou donne le signal de se poser. C'est le terrain choisi pour la pause-déjeuner. Un pique-nique royal au milieu d'un écrin de rêve. Photos et selfies à volonté pour immortaliser le moment et le paysage... Les plus téméraires s'aventurent dans des grottes improbables sans se soucier de ce qui pourrait se trouver à l'intérieur... Une quarantaine de minutes plus tard, nous reprenons notre ascension. C'est la dernière ligne droite avant notre destination finale. Le tronçon n'est pas balisé. Pas de piste, pas de sentier, juste de la broussaille. Nous nous frayons un chemin hasardeux au milieu d'un épais maquis avant de déboucher sur une place rocailleuse entourée d'immenses rochers. Des chèvres acrobates se faufilent prestement sur une haute paroi verticale avec une folle dextérité, de quoi nous donner des frayeurs. Elles s'en tirent à merveille. Impressionnant ! 13h40. Sous un magnifique pin d'Alep, on jette notre barda. Abdou propose un jeu de société agrémenté d'un thé succulent certifié «100% Timimoun». Un jeu où il est question de loups garous, de sorcières, de voyantes, de villageois innocents... Tout le monde finit par y prendre goût, même les plus sceptiques. Une dernière photo de groupe pour la route avant d'entamer la descente. Les randonneurs continuent à commenter passionnément le jeu en marchant, s'esclaffent, se taquinent... Mohamed ne boude pas son plaisir : «J'ai vraiment adoré. Bon, la montée a été un peu difficile. Mais c'était très bien. Le groupe est vraiment sympa. Et puis, ça permet aux gens de découvrir leur pays au lieu de vouloir à tout prix aller à l'étranger. C'est aussi quelque chose de bénéfique pour les populations locales. Ça fait travailler tout le monde. Notre pays a énormément d'atouts, c'est une évidence. Il faut juste développer les structures d'hébergement. Il faut investir davantage dans le tourisme. C'est un secteur créateur d'emplois et de richesses.» Mohamed s'est d'ores et déjà inscrit pour une autre sortie programmée pour le lendemain, cette fois à Dellys. Le chemin en sens inverse a été naturellement plus facile. En moins d'une heure, nous étions en bas. Et tout le monde ressentait un petit pincement au cœur que ça n'ait pas duré plus longtemps. Abdou nous recommande de siroter un savoureux « panaché », la spécialité juteuse d'un établissement qui trône sur la terrasse mythique de Miliana, l'ex- Pointe des Blagueurs rebaptisée Place Ali Amar, avec sa vue panoramique à couper le souffle. Les randonneurs goûtent à cette ultime gourmandise sous le regard bienveillant de Ali La Pointe figé dans sa statue éternelle. Ciao, Miliana ! A très vite !…