Pour son premier long métrage fiction, Yasmine Chouikh a choisi de mêler le drame à la comédie, l'amour à l'humour et le sérieux à la dérision. Le produit aurait pu faire explosion mais non, cela a donné un heureux assortiment que l'on savoure. Jusqu'à la fin des temps est un film qui se rit de tout, de nos superstitions, nos codes, nos croyances, nos sacrilèges, nos travers … Bref, de nous. Un minibus, transportant une bande de femmes joyeuses, et une camionnette bondée d'hommes et d'enfants tassés à ne plus pouvoir arrivent dans un village assis sur les confins de l'Algérie profonde. Bienvenus à Sidi Boulekbour, du nom d'un marabout qui veille sur un cimetière vers lequel on vient en pèlerinage. Dans la culture populaire, la chose est sensée être sacrée, mais le film y met un peu d'un absurde qui ne trahit pas totalement une réalité sociale. On vient en ziara, comme pour une fête foraine : tbal, chants, danse et selfies. Des âmes tout en joie et débordant de vie pour visiter les morts. Parmi ce monde bruyant, une femme taciturne, Djoher. Elle est d'un âge avancé, au crépuscule de la soixantaine, mais Djamila Arras, qui campe le rôle, ne fait pas l'âge d'une sexagénaire. Sa jeunesse la fait courir dans les champs, plaisanter et rire à pleines dents, et enfourcher une moto la robe soulevée jusqu'aux jambes. Veuve, Djoher arrive à Sidi Boulekbour pour se recueillir sur la tombe de sa défunte sœur. La ziara est un concours de circonstances pour une destinée ? Elle rencontre Ali (Boudjemaa Djillali), le fossoyeur, «le creuseur de tombes» qui «veille sur les morts». De sollicitation en sollicitation, Ali se rapproche de Djoher qui le charge de préparer ses futures funérailles : acheter son linceul, réserver une laveuse, peindre sa maison…. Le couple se forme sur fond d'un décor tombal et de pratiques funéraires. Entre deux enterrements, Djoher et Ali trouvent le temps d'enfourcher une moto sur les airs d'une chanson raï. Une histoire d'amour qui prend pour théâtre un cimetière et pour témoins des morts. On nargue la mort comme on se moque du sacré. Le cimetière prend la forme de réceptacle de nos contradictions et absurdités sociales. On désacralise la mort et les morts jusqu'à en faire un fond de commerce pour Billal, un jeune frivole et aventureux du village, qui s'entête à monter sa société de pompes funèbres. On se moque de l'absurde de notre réalité nationale en tournant en dérision une délégation officielle qui débarque dans le cimetière pour rendre hommage à un martyr imaginaire. Au rythme de qassamen, l'hymne national, joué aux sons nus d'une flûte, on se recueille sur la tombe d'un enfant. «Qui est décédé ?» demande l'imam à Ali. «La raison est morte» lui répond-il. On banalise la mort comme on la maudit : une flopée d'enfants jette la pierre à Ali aux cris de «creuseurs de tombes». Nous tombons dans nos travers mais aussi dans le creux de nos croyances et nos superstitions qui montrent une femme accroupie au pied de la tombe de son mari qu'elle accuse de faire le mort par calcul. Le religieux n'est pas moins sujet à plaisanterie, en trouvant en Ali le fossoyeur, l'intérimaire qu'il faut pour l'imam du village. L'amour se greffe à cette sorte d'embarras social pour tenter de servir de cache misère. Jelloul, le peintre, qui n'a d'yeux que pour la belle Nassima, finit par se marier avec elle avec autorisation de l'imam de faire de Sidi Boulekbour un «Sidi Boulaâras». Tans pis pour «l'outrage». Ali, qui incarne d'une certaine façon la mort, a, lui aussi, envie «de vivre». Mais Djoher n'a aucune envie «de vivre au milieu des morts». On lui déclarant sa flamme, le public de la cinémathèque a éclaté de rire. Yasmine Chouikh n'a pas eu «l'intention de faire une histoire pour faire rire» comme elle le dit dans les débats d'après projection. Mais son film fait l'effet de miroir qui reflète notre réalité avec ses hypocrisies, même s'il se plaît à grossir agréablement certains traits qui poussent à la caricature. Une caricature qui déplairait aux tenants du discours conservateur.