Encore heureux que le célébrissime Chahine ait pu trouver en notre bonne ville une salle de cinéma toujours debout pour promouvoir son dernier film. L'honneur est sauf. La communion avec les cinéphiles fut chaleureuse et l'enthousiasme presque virginal. Tout est bien qui finit bien. Opérée dans un îlot perdu, la «liturgie» ne peut occulter une décevante réalité aussi connue que le loup blanc. Celle des salles de cinéma englouties par un insondable crétinisme. Jonas avalé par sa baleine. Les philistins de la culture, par un tyrannique mélange des genres et des espèces, ont fait le vide. Désert aride et desséché. Pénible vacuité. Il s'en trouve, par malchance, des énergumènes, capables de compromettre un ordre cosmique. Tenaces, entêtés et obstinés. Sacerdoce des pense-petit. Diktat de la misère de l'esprit. Plus d'agapes filmiques, congédié, ce goût des belles choses, qui nous console de nos servitudes quotidiennes. Sisyphe traîne son rocher. Une titulature «pharaonique» impose une diététique austère, un régime de spartiate, l'ordre de la carence culturelle. L'auteur d'Adieu Bonapparte a tôt fait de contempler un «Waterloo» en bonne et due forme, perpétré par des insensés qui auraient pu constituer une proie rêvée pour la psychanalyse. Nous voilà soumis aux doses homéopathiques, à la poudre de perlimpinpin. A notre corps défendant. Le public ne jubile plus devant la lascive Hind Rustom. Et pour cause. De l'eau a coulé sous les ponts, charriant les espoirs et les émotions. La débâcle a eu lieu. Il ne reste plus qu'une glose nostalgique et incantatoire sur les neiges d'antan. Mais l'utopie résiste en dépit de l'acharnement des apprentis sorciers, virtuoses de la panne sèche. L'utopie n'étant pas allergique au possible.
