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Voyage dans les zones enclavées
Publié dans El Watan le 09 - 01 - 2006

Aux portes de Taffessour, 70 km au sud-est de la ville de Sidi Bel Abbès, une poussière irritante tente sans succès de dissimuler l'odeur d'une misère qui se professe à visage découvert. Bourgade frappée de plein fouet par l'hydre terroriste, Taffessour expose ostensiblement sa majorité inactive. Une flopée de chômeurs, adossés aux murs toute la journée, croise du regard ses congénères à la démarche nonchalante, habillés de treillis militaires.
Ammi Benkadour, chauffeur à l'APC, ne s'est pas trompé au sujet de l'état de la route (CW 62) reliant Merine, chef-lieu de daïra, à Taffessour, praticable, mais oubliera-t-il, toutefois, de nous préciser qu'elle devait déboucher sur… le néant.
Tout au long de la route, le sentiment d'insécurité est omniprésent en dépit du nombre important de ces fameux postes d'observation (PO), plantés de part et d'autre. De véritables bunkers érigés en hauteur, peuplés de gardes communaux et qui ont coûté les yeux de la tête. Dix ans de violence terroriste et de contre-violence ont laminé cette bourgade prise en tenaille entre les massifs montagneux surplombants les limites territoriales des wilayas de Sidi Bel Abbès et de Saïda. «Walou (rien), c'est le néant ici. La bouteille de gaz est à 250 DA et son prix ne cesse d'augmenter», fulmine Kouider, chômeur de longue durée. Derrière un pâté de maisons aux murs décrépits et aux tuiles dépeintes, il nous montre des fagots de bois soigneusement rangés. Il nous prend à témoin : «On se chauffe encore au bois, 43 ans après l'indépendance !» Les forêts exubérantes de Taffessour, plus particulièrement Tandfelt, J'gara, Z'ouijya, Taznaga, Bououloula et Londay, constituent une source intarissable de combustible. Gratuite, même si la régénération naturelle des espaces boisés met encore du temps après les ravages causés tout au long de l'ère antiterroriste. Les températures valsent à moins zéro degré en ces nuits hivernales très redoutées par les autochtones. L'isolement attise les craintes. Jusqu'en 2001, la route était restée fermée du fait du nombre incalculable de faux barrages dressés de jour comme de nuit. Hassan Daoud, directeur de l'école Messabih Khlifa, trouve que les choses ont beaucoup évolué sur le plan sécuritaire. «Alhamdoulilah (Que Dieu Soit remercié), aujourd'hui on est libre de nos mouvements, nous n'avons plus besoin d'escorte militaire pour aller à Zegla.» Et de rappeler qu'au plus fort de l'action terroriste, la route n'était ouverte à la circulation que l'espace de deux heures, et de surcroît, une fois par semaine. Encore fallait-il que l'ordre soit donné pour que le convoi se mette en route, sinon il fallait attendre la semaine d'après. Même si elle a eu droit à une couche d'asphalte, l'état de la «route » est resté le même depuis l'indépendance à Taffessour, qui, avec la zone d'habitation de Ouâla, compte plus de 1500 habitants. L'état de la voirie, l'éclairage public et le réseau d'AEP ne se portent guère mieux. Mais, cela paraît moins grave aux yeux de Daoud pour qui la priorité est de doter la commune d'une ambulance, d'une polyclinique et de «fixer» le médecin de service dont les visites se font de plus en plus rares, une ou deux fois par semaine. L'idéal serait, ajoute-t-il encore, de voir s'installer une sage-femme à Taffessour. Les femmes enceintes accouchent encore sans assistance médicale, à l'ancienne, avec tous les risques que cela suppose. Et il n'est pas étonnant de constater que le taux de mortalité prénatale soit élevé. A cela s'ajoutent les fréquentes coupures d'électricité qui prolongent parfois l'angoisse d'une population condamnée à la précarité en l'absence du minimum vital. «Vous voyez là-bas, c'est la mosquée Mohamed Tahar Ben Achour, les militaires nous interdisent l'accès aux douches», nous apostrophe H'mida, compagnon de mur de Kouider. Loin de constituer un luxe, une boulangerie, une cafétéria ou un hammam demeurent pourtant hors de portée à Taffessour. Spectral, Taffessour maintient le contact avec le reste de l'humanité qui célébrera grâce à un autobus de marque Volvo bientôt ses 32 ans de services. A cet âge-là, il arrive cahin-caha à relier Marhoum à Telagh, journellement, en passant par Taoudmont, Taffessour, Ouâla, Melza et Merine (Zegla). Si toutefois il ne tombe pas en panne ou dans un traquenard, comme celui qui a coûté la vie à plus de 90 militaires, membres des groupes de légitime défense (GLD) et à de simples citoyens.
Le chômage, une plaie
Les habitants de Taffessour se souviennent encore de cette tuerie perpétrée en 1997, au lieudit N'gaguiche par le groupe de Akkal, sinistre émir du GIA. Sur le chemin qui conduit à Taoudmount (CW 48), Touhami Abdelkader, dit L'maricani, fer de lance de la lutte antiterroriste dans la région, sera assassiné ainsi qu'un de ses fils au cours des échanges de tirs qui s'ensuivirent. Aucun signe distinctif, aucune stèle à la mémoire des victimes. L'heure est à la réconciliation. Quelques élus, alertés de notre présence, affirment que la page est définitivement tournée et se félicitent des résultats de la nouvelle orientation politique dominante. Aussi, on s'enorgueillit d'avoir enfin mis en fonction 75 lignes téléphoniques à même de briser son isolement. Ils promettent, en outre, de lancer en 2006 un projet d'électrification rurale à Ouâla, des travaux d'assainissement, l'aménagement du stade communal, construire une salle de soins et refaire les trottoirs de l'artère principale… «Dans cette région à vocation agropastorale, le fragile équilibre économique qu'assurait l'élevage ovin est irrémédiablement compromis. On peut dire que le cheptel a été entièrement décimé.» Plus de 10 000 têtes ont été subtilisées par les groupes armés, disent certains, alors que d'autres mettent ces vols à l'actif du banditisme. Messabih Sayeh, responsable des victimes du terrorisme, parle des déboires de ses co-citoyens : «Taffessour est une zone sinistrée. Les grands éleveurs d'hier ont, du jour au lendemain, tout perdu. D'ailleurs, les quelques magasins qui existent travaillent à crédit, les gens ici vivent au jour le jour.» Plus à l'Est, à 7 km de Taffessour, la localité de Taoudmount se maintient un peu plus bas dans l'échelle de la misère. Selon une étude menée par l'Agence nationale d'aménagement du territoire (ANAT), Taoudmount figure parmi le trio de tête des communes les plus pauvres d'Algérie. En 1998, l'Office national des statistiques (ONS) a recensé près de 2000 habitants. Ils sont aujourd'hui entre 3000 et 4000 âmes à hanter un village exsangue. Les grandes familles de la tribu des M'hamid, H'malta, K'rarma, Ouled Yahia, Khleifa, Blaiha, Djaâfra et Ouabed entre autres, ont depuis deux ans opéré un retour timide sur les terres de leurs aïeux. «80 kheimas (familles), soit 50% de la population, ont quitté Taoudmount au milieu des années 1990 pour s'installer à Aïn Lahjar et à Boukhars, dans la wilaya de Saïda. Peu de gens sont retournés au village tandis que d'autres appréhendent ce qui est pour eux un second déracinement», explique un élu d'une assemblée à majorité FLN. A l'instar de Taffessour, la localité dépend en grande partie des localités de Saïda, mieux pourvues et moins enserrées par le mal-vivre. Notre interlocuteur, estime que le chômage endémique est la principale plaie dans la commune. «Nous avons bénéficié cette année de
115 postes dans le cadre du filet social et
20 autres pour le pré-emploi. Ne vous étonnez surtout pas si on vous dit qu'on procède à l'affectation des postes à tour de rôle. Il ne s'agit pas d'insérer les nécessiteux, mais de gérer le dénouement.» Pas moins de 70 fermes demeurent inhabitées, malgré «l'ouverture de pistes» pour faciliter le retour des populations. On évoque là aussi la période sombre du terrorisme. Tour à tour, le siège de l'APC sera saccagé en 1993 puis incendié en 1997. Ecartelés entre Marhoum et Merine, les enfants en âge d'être scolarisés sont soumis quotidiennement à un véritable parcours du combattant. Une soixantaine de collégiens et de lycéens, parmi ceux qui tiennent encore le coup, font souvent le trajet en auto-stop. Parfois un camion de la défunte Sonacome, leur vient en secours. «L'été ça peut passer, mais l'hiver c'est le calvaire», s'accordent à dire des parents d'élèves. L'école primaire Ouafi Hadj incendiée en 1997 est scindée en deux. A droite, une partie de la bâtisse est occupée par les écoliers. A gauche des militaires y tiennent leurs quartiers. Même si l'eau potable est disponible sans discontinu depuis la mise en fonction du forage de Sidi Khlifa, l'énergie électrique se fait par contre désirer. A la moindre panne au niveau du centre de distribution de Marhoum et c'est parti pour une coupure de plusieurs jours. Le CW 48 est dans un piteux état. Les gens de Taoudmount attendent que l'étude de faisabilité d'un nouveau relais d'Algérie Télécoms soit finalisée pour pouvoir, eux aussi, briser leur solitude. Entre temps, ils espèrent acquérir leur première ambulance. Après la parenthèse vite refermée du fond du Sud, aujourd'hui, tous les espoirs se dirigent vers un autre fonds, celui des Hauts-Plateaux. Profitera-t-il aux petites gens de Taoudmount ? Krim Mohamed, le visage brûlé par une gelée matinale qui se veut encombrante, n'a pas entendu parler de tous ces fonds. A 12 ans, il pense plutôt rompre avec l'école pour se trouver du boulot. La déperdition scolaire connaît une forte progression dans cette portion de l'arrière-pays. Elle doit battre des records même en l'absence de statistiques fiables.
Elle est visible. Il y a qu'à voir le nombre d'enfants en âge d'être scolarisés affectés au bûcheronnage.
En haillons, le père de Mohamed affirme que 10% des écoliers réussissent à atteindre le palier supérieur.
Pour 100 DA Seulkement
Et les filles scolarisées ? Notre question fournit le prétexte à Krim le père de se dérider en affichant un large sourire qui résume sa pensée. Lassant là encore pas de trace de boulangerie, de hammam, de… «L'eau est coupée depuis 1 mois, ne vous laissez pas embobiner par les élus», nous hurle au visage Krim Mimoune, père de 8 enfants, qui réclame du travail et un peu de considération. «On ne vient nous voir qu'à la veille des élections pour nous ressasser des promesses déjà entendues.» A deux pas de lui, la face ceinturée par une écharpe, son voisin serrant dans ses mains le manche d'une pelle lorgne, lui, vers le Poclain qui creuse le sol à une quinzaine de mètres. «Ouallah je ferais le boulot à la place de l'engin pour 100 DA seulement», jure-t-il en pointant le doigt vers le ciel. «Pour 50 DA je ferais le travail.» Drôle de localité où pour qu'une femme puisse enfanter elle est obligée de se rendre à Fagrem (à plus de 12 km dans le territoire de Saïda). Retirer de l'argent n'est pas une mince affaire, le bureau de poste le plus proche est à Marhoum sinon à Zegla. Pour les factures et autres redevances ça sera Telagh. «Ici à Taffessour, il n'y a que la mort qui ne nécessite pas le déplacement», ironise-t-on. Retour vers Merine, anciennement Zegla, où la propreté des lieux contraste avec l'aspect apocalyptique de Taffessour et de Taoudmount. Au Sud, à 25 km de Zegla, se trouve Oued Taourrira qu'on désigne sous le nom de l'khachba. Deux clandestins se relayent pour assurer la desserte à 100 ou 150 DA la place. Le bus n'est jamais passé par ici. Vers 10h, le village est revêtu d'une fine couche de verglas. «Faites attention, ça glisse !», nous prévient un enturbanné, d'un air goguenard. Dans cette localité, 4 nouvelles classes du cycle primaire ont été inaugurées l'année dernière. Très peu répandu, le mode d'enseignement dans ces classes laisse pantois. Des classes dites uniques réunissent quotidiennement des élèves évoluant à des niveaux de scolarité différents. Ainsi, les apprenants de première côtoient ceux de la deuxième année. Le maître d'école dispense deux cours simultanément et tant pis pour celui qui n'assimile pas les leçons. Antipédagogique ? Oued Taourrira est l'une des plus anciennes communes de l'Ouest et peut-être d'Algérie. C'est aussi la plus touchée par le terrorisme. «Jusqu'en 1995, près de 500 terroristes occupaient sans partage le village. Ici, se trouvait leur principal QG et ils étaient impatients de faire de Telagh leur capitale régionale. Ce n'est qu'en 1997 que Oued Taourrira a réintégré le pays au prix d'énormes sacrifices, de jeunes appelés du contingent surtout.» Aïn Bent Soltane et Aïn Djouher, deux zones d'habitation relavant de la commune de Oued Taourrira, n'ont bénéficié cette année que de 35 postes dans le cadre du dispositif du filet social. En tout, 100 postes ont été attribués à une commune qui compte plus de 1500 habitants. El Hadj J'mamaâ Naïmi est âgé de 78 ans. Il n'est pas tout à fait d'accord avec les chiffres officiels communiqués au sujet de la population de l'khachba. Mais avant d'étaler toutes les souffrances des habitants du village, il prend le soin de vérifier si on ne fait pas partie de l'effectif de l'unique. «Dites à l'équipe de la télévision qui a débarqué à la veille du référendum de diffuser les images qu'ils ont emmagasinées dans leur foutue boîte. On voudrait que Bouteflika sache qu'on existe et qu'il fasse quelque chose pour nous.» D'après El Hadj Naïmi, l'khachba est dans une situation encore plus critique que Taoudmount, et d'enchaîner : «Le maire qui est à son quatrième mandat, habite à Telagh, les élus et les employés communaux aussi, comment voulez-vous que l'APC fonctionne normalement». Son fils, exploitant agricole, croit savoir que la moitié de la population a préféré l'exode à la misère. «Ils se sont installés dans des bidonvilles à Sidi Bel Abbès et à Hammam Bouhjar pour la plupart, et d'autres s'apprêtent à partir». Route défoncée, maisons détruites, une méfiance vis-à-vis de l'autorité et, le comble, une mosquée qui menace ruine, la seule à l'khachba. Une localité trop inondée par les mauvais souvenirs d'une guerre menée à huis clos et qui se conjuguent, présentement, à la misère d'un quotidien encore travaillé par un enclavement douloureusement ressenti. Oued Taourrira, truandée par d'oiseuses opérations de réhabilitation annonciatrices d'un retour à la vie, s'arme de patience. S'alliant à la gelée des Hauts-Plateaux.


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