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«C'est pas Israël, c'est l'autre qui a commencé»
Publié dans El Watan le 31 - 07 - 2006

Tous les citoyens du monde regardent incrédules cette grave dégénérescence des puissances occidentales incapables de stopper cette descente aux enfers du peuple libanais.
Comme le dit l'historien pacifiste juif, Ilan Pappe, professeur à Haïfa : «Dès qu'il est question d'Israël, les politiciens occidentaux abandonnent toute considération morale ou éthique. Ils sont totalement aveuglés. Il s'agit de bien plus qu'un extrême attachement émotionnel. Il s'agit d'une véritable programmation mentale.»
Le Liban trahi par l'Occident
Comme toujours, la plupart des informations sur le conflit entre Israël et ses voisins tournent à l'enfantillage : «C'est pas Israël, c'est l'autre qui a commencé!» Au bout que quelques minutes de reportages tendancieux, on complique le conflit en le ramenant à 1967, à 1948, puis à l'holocauste pour enfin remonter aux temps bibliques. Depuis sa création par les puissances coloniales en 1948, l'Etat d'Israël n'a jamais été menacé dans son existence, mais au contraire toujours encouragé dans sa politique expansionniste par ses puissants protecteurs. Comment Israël et l'Occident peuvent-ils décemment se plaindre de la détention d'un soldat par le Hamas, ou de deux par le Hezbollah, alors qu'Israël détient des milliers de Palestiniens et de Libanais depuis des années, généralement sans procès, souvent torturés, sans oublier le sinistre Guantanamo.
Cette terrible et inattendue agression intervient un an après le «printemps de Beyrouth», en mars 2005, qui a rassemblé plus d'un million de Libanais pour protester contre le meurtre de l'ancien premier ministre Rafic Hariri, et réclamer le retrait des troupes de Damas. Les libanais, qui ont retrouvé le chemin d'une certaine prospérité économique, ont cru naïvement qu'ils étaient placés automatiquement sous la protection des USA et de la France après que ces deux puissances aient précipité le départ des syriens. Trahis, ils n'arrivent pas à comprendre ce soudain déchaînement de violence destructrice contre leur petit pays de la taille d'un département avec une superficie de 10 176 km2, et environ 4 à 5 millions d'habitants. Dans ce territoire minuscule se côtoient douze communautés chrétiennes (maronite, grecque catholique, arménienne catholique, syrienne catholique, chaldéenne, latine, grecque orthodoxe, syrienne orthodoxe, copte orthodoxe, arménienne grégorienne, nestorienne, évangélique) et cinq communautés musulmanes (sunnite, chiite duodécimain, druze, ismaélien, alaouite)… et c'est peut-être là le problème.
L'Etat raciste d'Israël, créé sur une base confessionnelle juive, est extrêmement jaloux de voir à ses frontières cette paix religieuse exemplaire qui contraste avec son intolérance à l'égard des palestiniens chrétiens et musulmans. La destruction du Liban vise d'abord la destruction de la cohabitation multiconfessionnelle pacifique et démocratique, dont n'ont pu venir à bout vingt ans d'une guerre civile provoquée et entretenue et plusieurs invasions. Ensuite, elle constitue une répétition de la destruction programmée de la Syrie. On se souvient de ce fameux article publié par l'Organisation sioniste mondiale dans la revue Kivounim (Orientations – n° 14 – février 1982), à propos de la stratégie israélienne, après l'invasion du Liban : «La partition du Liban en cinq provinces… préfigure ce qui se passera dans l'ensemble du monde arabe. L'éclatement de la Syrie et de l'Irak en régions déterminées sur la base de critères ethniques ou religieux doit être, à long terme, un but prioritaire pour Israël. La première étape étant la destruction de la puissance militaire de ces Etats…»
Le prétexte des soldats enlevés et la diversion sur le Hezbollah ne sont que des leurres jetés en pâture à la presse et aux diplomates. Les véritables objectifs militaires sont la destruction économique du Liban, sa dévitalisation par un exode massif et irréversible, sa perte de souveraineté par l'imposition d'une force internationale à ses frontières. En somme, une nouvelle occupation et un nouveau statu quo pour une durée indéterminée.
Grand Moyen-Orient ou Grand-Israël ?
Comme toujours lorsqu'il s'agit du Moyen-Orient, la compréhension des raisons d'un conflit ne peut s'analyser sans le replacer dans son contexte historique, géographique, économique et religieux. Cette attaque israélienne a été qualifiée de «disproportionnée».
Cette démesure dans la destruction du Liban est à la dimension d'une puissance militaire sophistiquée qu'Israël n'a pas, comme l'a si bien défini le philosophe israélien Leibowitz : «La force du poing juif vient du gant d'acier américain qui le recouvre et des dollars qui le capitonnent.» A peine cinquante ans après avoir évincé la France et la Grande-Bretagne du Moyen-Orient lors de la crise de Suez, les Etats-Unis sont devenus pour le monde contemporain, ce qu'était Rome pour le monde antique.
C'est toujours à Washington que se décident et se programment les agressions. Selon Ilan Pappe : «le soutien américain à Israël s'est développé d'une manière très bizarre et imprédictible. Il y a une sorte de réciprocité des intérêts mutuels, mais il s'agit d'une situation où Israël est principalement le supplétif et l'Amérique l'empire, et non pas d'une situation où l'empire mène la guerre du supplétif.»
L'Histoire montre que l'Amérique a besoin, comme tout empire, d'un ennemi, et d'une guerre incessante entre le bien et le mal. Les préparatifs de la guerre en Irak ont dévoilé l'alliance au sommet entre des personnalités des lobbies pétrolier et militaire (Bush, Cheney, Rumsfeld, Rice, John Bolton, Robert Bartley, William Bennett, Jeane Kirkpatrick, Lewis Libby, William Burns,etc.), et des néo-conservateurs juifs sionistes (Paul Wolfowitz, Richard Perle, Douglas Feith, Elliot Abrams, David Wurmser,etc.)
Ces derniers avaient auparavant travaillé pour des boîtes à idées (thinkthanks) faisant la promotion du Grand-Israël. Ils présentent la juiverie mondiale uniquement sous un angle occidental, en encensant la civilisation judéo-chrétienne, et en occultant la civilisation judéo-musulmane qui a toujours existé au Moyen-Orient.
De ces deux groupes, on ne sait plus qui manipule qui, ni qui fait quoi. Mais cette alliance monstrueuse a déjà produit deux guerres (Afghanistan et Irak), une répression de plus en plus meurtrière en Palestine, des menaces réelles contre la Syrie et l'Iran, un endoctrinement contre le monde arabo-musulman synonyme de terroriste… et maintenant la destruction du Liban. Leur arrogance a atteint un tel degré que Richard Perle a confié à un journaliste : «Un message de deux mots pourrait être envoyé aux autres régimes hostiles du Moyen-Orient : Vous êtes le prochain.»
Et comme toujours, les mêmes questions se bousculent. Qu'est-ce qui justifie un tel acharnement sur le peuple libanais : le contrôle du pétrole ou le mythe du Grand-Israël ? Comme le Liban n'a pas de pétrole et que les pays du golf sont relativement loin du conflit et sont complètement sous protectorat américain, la réponse est évidente. L'équipe de Bush a formalisé une doctrine du «Grand Moyen-Orient» dont le but est de remodeler la région en l'affaiblissant et en la divisant afin de mieux contrôler les ressources énergétiques. De leur côté, les religieux néo-conservateurs américains alliés aux extrémistes sionistes, se croient chargés d'une mission divine qui est de créer le «Grand- Israël» jusqu'aux limites de l'Euphrate en Irak.
Logique de lobby
On connaissait l'influence du lobby israélien sur la politique moyen-orientale des USA. Ce que l'on sait moins, c'est à quel point son influence a été supplantée par celle du lobby des chrétiens sionistes. Le spécialiste Henri Tincq précise : «Le sionisme chrétien est un mot qui a fait, dès 1992, la une du célèbre Christianity Today, magazine évangélique distribué à des millions d'exemplaires. Il représente un lobby pro-israélien très puissant. Les lobbies sionistes chrétiens sont cinq fois plus nombreux que la communauté juive. Dès 1977, quand le Likoud de Begin arrive au pouvoir, des liens se nouent entre les juifs ultra-orthodoxes et les évangéliques américains.» (Le Monde du 20 novembre 2004). En réalité, le sionisme chrétien est antérieur au sionisme juif défini par Théodore Herzl (1860-1904). Il a été formalisé par la théorie «dispensationnaliste» du fameux prédicateur John Darby (1800-1882). Il fait partie des mythes fondateurs de l'Amérique, lorsque fuyant l'Angleterre des Stuart, les «puritains», nourris des récits de la Genèse et des psaumes, persécutés par la monarchie, comme le peuple hébreu l'avait été par Pharaon, émigrent en Amérique comme en «Terre promise». Ils sont le nouveau peuple élu. Leur conquête sur les tribus indiennes est identifiée à celle du peuple d'Israël contre les Cananéens, les Jébuséens, les Philistins. Les bâtisseurs du Nouveau Monde ont toujours fait de l'antique nation d'Israël un modèle. Et voilà que les USA parlent de «Nouveau Proche-orient». Etonnant ?
Le lobby sioniste chrétien comprend des évangélistes connus comme Ralph Reed, Franklin Graham, John Ashcroft, Dick Armey, John Hagee, Tom Delay, etc. Le pasteur Tim La Haye a écrit un best-seller Les survivants de l'Apocalypse, 60 millions d'exemplaires vendus depuis 1995. Le pasteur Jerry Falwell, après le 11 septembre 2001, a traité le prophète Mohamed de «terroriste». L'un de leurs pasteurs hypermédiatisé, Pat Robertson, ancien candidat à la présidence et proche de la famille Bush, n'a pas hésité à appeler au meurtre contre le président Chavez.
L'évangéliste Gary Bauer, ancien rival malheureux de Bush aux primaires du Parti républicain a déclaré que «Dieu a donné la terre d'Israël au peuple juif» et que «ni l'ONU, ni l'Union européenne, ni la Russie, ni quelque quartet ou trio que ce soit ne peut décider pour cette terre qui ne leur appartient pas» (44e Congrès de l'Américan Israël Public Affaires Committe – AIPAC- 30 mars 2003).
Ces gens complètement endoctrinés et fanatisés disent que le Grand-Israël est l'accomplissement d'une prophétie biblique et soutiennent son agenda expansionniste.
Prenant la Bible à la lettre, notamment l'Apocalypse de Saint Jean, ils interprètent tous les événements contemporains sous cette loupe idéologico-religieuse, et poussent leurs adeptes à l'hystérie mystique et à cautionner toutes les folies qui en découlent.
Pour eux, c'est en Israël que le Christ reviendra, après avoir rassemblé tout le peuple juif. Et c'est dans le Grand-Israël qu'aura lieu la bataille finale, annoncée dans l'Apocalypse, entre Dieu et les forces du Mal sur la plaine de l'Armageddon.
Il s'agit, pour eux, d'accélérer et faciliter par tous les moyens, le retour de tous les juifs sur la terre palestinienne. Les Palestiniens peuvent être massacrés ou déportés ailleurs. Pour ces américains qui ont massacré le peuple indien et déporté des millions d'esclaves d'Afrique, ce n'est qu'un détail de l'Histoire.
Visiblement pressés de voir le retour de Jésus sur terre, les évangéliques américains ont fondé en 1980 l'Ambassade chrétienne internationale (ACI) à Jérusalem avec un objectif apocalyptique. Sans la vigilance des autorités israéliennes, les sionistes chrétiens auraient déjà détruit le Dôme du Rocher et la mosquée El Aksa pour y édifier un temple juif. Même Ariel Sharon, le boucher de Sabra et Chatila, est effrayé par la précipitation des sionistes chrétiens. C'est pour cela qu'il a quitté le Likoud pour créer son propre parti, Kadima. Il a ensuite évacué Gaza et a voulu accélérer le processus de paix même unilatéralement… avant de tomber dans le coma.
La destruction du Liban n'est qu'un prélude de ce qui attend la Syrie, l'Iran et une volonté manifeste d'anéantir la civilisation arabo-islamique. Réagir au plus vite en ouvrant les yeux sur les véritables desseins de l'empire est une question de survie.
Pour éviter leur anéantissement, il est impératif que les régimes arabes se ressaisissent et contre-attaquent l'empire en déjouant ses alliances avec l'Europe, la Russie et la Chine.


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