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L'érudit discret
Publié dans El Watan le 13 - 01 - 2009

Il était capable de disserter avec aisance sur les Pensées de Pascal comme sur celles d'El Ghazali. ldriss n'était-il pas prophète et revêtu du caractère d'apôtre? N'était-il pas le premier homme qui plaça le roseau sur le papier pour écrire? Si Driss, comme on aimait l'appeler, remerciait ses parents pour l'avoir baptisé ainsi, car il savait que ce prénom était prédestiné et signifiait celui qui enseigne «moudaris» dans la langue araméenne, la langue mère de l'arabe ! Né en 1916 à Frenda, l'enfant fut précocement orphelin de père, ce père, hadj M'hamed, premier imam de Frenda et sa région était titulaire d'une licence es-Iettres de la célèbre El Karaouiyine de Fès (1910). Son grand-père maternel, Si Omar, le prit en charge et veilla à son éducation. Dès sa tendre enfance, Driss se révéla un esprit curieux attiré par le cercle familial, particulièrement auprès de Si Omar et de Si Mohamed Ben Adda, deux hommes dont le savoir et la lumière émanaient du Coran.
Pour M. Kadi qui éprouvait une admiration sans bornes pour El Ghazali, l'Islam évoquait une spiritualité, incarnait une civilisation. L'emprise de la religion paraissait majeure sur Moulay Driss qui se réfère à chaque fois aux sourate ou aux hadiths dans les circonstances marquantes de la vie. Si Driss était très admirablement documenté, ouvert sur la vie intellectuelle et sociale. Cela lui valut, dès l'âge de 16 ans, d'être admis par le professeur Soualah Mohamed dans son cercle et participait aux entretiens que celui-ci animait avec les notables de Frenda. Il eut l'honneur à moins de 20 ans, à la zaouïa Allaouiyin de Mostaganem,Ò de recevoir des mains du grand maître cheikh El Aâlaoui, le burnous.
En 1936, il fut affecté comme interprète à Montauban en France. C'est donc comme interprète judiciaire qu'il entama sa carrière dans l'art de la parole et, en parfait bilingue, il traduisait avec un talent d'une rare élégance. Aussi, son éloquence fluide lui permit, durant la.révolution, de défendre de nombreux détenus qui eurent la vie sauve, leur suggérant, dans sa question, la réponse qu'ils devaient donner. Ciblé par l'armée française qui soupçonnait son militantisme actif mais discret, sur conseil d'un collègue et ami, il avait le choix entre un internement administratif à Bossuet ou Saint-Leu, ou l'éloignement le plus large de l'Oranie. Son éveil nationaliste germa à Montauban et dès son retour à Frenda au début des années 40. Sous l'influence des idées libérales de bon nombre d'intellectuels français, Si Driss fonda le noyau d'une cellule politique UDMA à laquelle adhérèrent des citoyens, tels que Alalfi Ahmed Maghrous Djillali, Labiod Abid, Adjel Djebar, Rahali Amar, Chikhaoui Mokhtar, Djebara Hadj Bencherif et Rouabhi Ben Ahmed.
A la veille de son départ précipité sur Aïn Beïda (1100 km), quatre grands nationalistes très proches de Si Driss : Alalfi Ahmed, Maghrous Djillali, Chikhaoui Mokhtar et Toto furent tirés de nuit de chez eux, froidement assassinés et jetés sur la voie publique durant
18 heures pour terroriser la population ; c'est le contraire qui se produisit. La cellule UDMA fondée par Si Driss s'élargit et reçut les leaders de l'époque : Moumen Francis Ahmed, Kaïd Ahmed, Boutaren Kada, Ahmed Boumendjel, Ferhat Abbas qui aimait souligner : «J'aime me rendre à Frenda qui est un bastion du nationalisme, c'est mon deuxième Sétif des Hauts-Plateaux.» Un deuxième événement allait précipiter le départ de Si Driss.
Des soupçons étaient portés sur lui suite à un attentat. Il dut passer trois jours d'interrogatoire au commissariat de Frenda, devant un commissaire de sinistre réputation qui fut à son tour exécuté par les fidayine à Sidi Bel Abbès où il avait été muté deux mois auparavant. Il s'établit donc à Aïn Beïda, pays des Haraktas, dont il garda, lui et sa petite famille, des souvenirs impérissables, tellement leur adoption par ces derniers fut totale. Si Driss, en continuant son travail d'interprète judiciaire et surtout après avoir procédé, comme par le passé, à suggérer les réponses aux militants détenus, s'attira la sympathie de l'organisation FLN.
Malheureusement, lors d'un interrogatoire, un avocat fit remarquer au procureur que dans sa question, l'interprète Si Driss avait suggéré la réponse au prisonnier. Devant cet incident, le procureur fit appel à un deuxième interprète pour donner son avis sur cet incident grave. C'est avec un grand soulagement que fut accueillie la réponse de l'interprète qui fit remarquer à l'avocat que Si Driss n'a pas failli à sa mission, cet interprète était israélite, la solidarité du corps avait fonctionné, en plus des risques qu'il aurait pris auprès de l'organisation combattante. Après cet incident, des contacts furent établis par les membres de l'organisation avec Si Driss, particulièrement avec un commissaire politique très redouté, originaire d'une grande famille de patriotes de Msila, qui devint, après l'indépendance, bâtonnier à Alger (B.T). Avec la complicité d'un brave et vieil appariteur Bouaguel, des armes de petits calibres et des grenades étaient entreposées dans la salle d'audience sous la table où les représentants de l'administration judiciaire française siégeaient ! Bien après la retraite de Si Driss, cet ancien commissaire politique lui rendit visite à Frenda. Descendant de la noble lignée de Sidi M'hamed Bakhlifa, marabout de Frenda, Moulay Driss a l'allure d'un oriental à qui sied merveilleusement le blanc immaculé de l'habit traditionnel.
Homme distingué, imprégné de justice et d'équité, il est aussi impressionnant dans un costume occidental, cravate nouée avec goût et assortie à l'ensemble.
Sa haute stature, le port de tête altier, le nez aquilin pourraient faire penser à la noble maison des Bourbons. Sa démarche assurée traduit la sagesse qui émane de ses gestes comme ses paroles. Son courage et la netteté tranchante de ses vues lui attirent l'inimitié de certains responsables qu'il ne ménage pas lorsqu'il constate les abus de pouvoir. Il n'est ni méchant ni amer, mais ne peut contenir son franc-parler, notamment lorsqu'on lui évoque la satire de nos disputes théologiques et les horreurs du fanatisme. De par sa vie publique, on croirait entendre Voltaire : «Il ne nous manque qu'une bonne musique. Quand nous l'aurons, nous pourront hardiment nous dire la plus heureuse nation de la terre», une bonne musique, c'est-à-dire une bonne philosophie qui réformera les abus dont souffre notre pays.
Mais sous ce regard perçant et le coup de patte impitoyable, Moulay Driss Kadi dissimule un être d'une extrême sensibilité. La misère des autres le fait tressaillir et souffrir continuellement. C'était un excellent homme d'une générosité sans limite. Capable de grande affection, il entourait les siens, comme ses amis, d'une grande tendresse. Souvent en sa compagnie, lorsque je manifestais mon courroux au sortir d'un mariage ou d'une cérémonie à l'égard de la gent inculte qui dissimule son ignorance par l'étalement de sa richesse matérielle, il parvenait à me rasséréner en citant Voltaire : «Distingue toujours les honnêtes gens qui pensent de la populace qui n'est point faite pour penser. Si l'usage t'oblige à faire une cérémonie ridicule en faveur de cette canaille, et si en chemin tu rencontres quelques gens d'esprit, avertis-les par un signe de la tête, par un coup d'œil, que tu penses comme eux, mais qu'il ne faut pas en rire.»
En 1998, lors du colloque de Belfort consacré à son ami d'enfance Jaques Berque, il fut reçu en tant que chef de délégation de la ville de Frenda par MM. Jean Pierre Chevènement alors ministre de l'Intérieur et Claude Chesson ancien ministre français des Affaires étrangères. Ils ont eu à l'apprécier lors de ses interventions et sa facilité d'expression dans la langue de Molière.
Pour l'anecdote, un participant du Moyen-Orient au colloque, qui atteignait le gigantisme par sa taille et à la voix impressionnante, se permit de dire que le prophète Mohamed, que le salut soit sur lui, était un savant ! Avec son courage habituel, Moulay Driss lui fit remarquer publiquement sa bourde, et lui lança : «Votre façon de penser vous rapproche dangereusement des versets sataniques de Salman Rochdi !», une remarque accueillie par un tonnerre d'applaudissements.
Ce voyage fut pour notre octogénaire une cure de rajeunissement. Quelques semaines avant sa mort, Si Driss me demanda de le conduire à sa ferme. Ce jour-là, il paraissait affaibli et peu enclin à communiquer. Il promena un long regard attendri et résigné sur le mausolée de son ancêtre Sidi M'hamed Bakhlifa, qui se détachait nettement sur l'horizon du That. Les derniers rayons de soleil éclairèrent son visage, caressèrent ses traits. Dans un profond soupir, il murmura : «Bientôt ce soleil si tiède n'illuminera plus mes yeux.»
Les propos poignants du théologien de Frenda me firent tressaillir. Son dernier poste fut à la cour de Mostaganem (1973), année de la Réforme agraire. II avait le choix, comme tous les fonctionnaires, entre son poste au tribunal ou la gestion de ses terres à Frenda. Son choix se porta immédiatement sur la ferme de son père Hadj M'hamed.
Repose en paix cher ami.
Repose en paix cher père.


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