Les raisons de la dépréciation du dinar sur le marché parallèle et l'impact sur le processus inflationniste    « Aucune demande d'autorisation n'a été enregistrée jusqu'à présent »    L'Irak vacille sous la pression régionale    Prestation remarquable de l'Algérie au Conseil de sécurité de l'ONU    Un gala pour l'armée sioniste en plein Paris    L'US Biskra officialise sa rétrogradation    Quatrième sacre consécutif pour le HBC El-Biar    Des chiffres satisfaisants et des projets en perspective pour la Sonelgaz    L'Etat reprend la main    Il y a vingt ans disparaissait l'icône du style « Tindi", Othmane Bali    « Si l'on ne sent plus la douleur des enfants, on n'est plus humain »    Ligue 1 Mobilis: Le MCA sacré, la JSK en Ligue des champions et le NCM relégué    Souk Ahras : Zerouati appelle au renforcement du rôle des jeunes dans la vie politique    Hamlaoui reçoit une délégation des cadres de l'UNFA    La manifestation "Alger, Capitale de la Culture hassaniya" incarne la profondeur des liens entre l'Algérie, la Mauritanie et le Sahara occidental    Rezig appelle les opérateurs économiques à conquérir le marché africain    L'UIPA appelle à davantage de solidarité pour promouvoir la sécurité et la stabilité dans le monde arabe    Osmani appelle les Algériens à se mobiliser pour préserver et protéger le pays    Nâama: la 16e édition du Festival culturel national de la musique Gnawa débutera le 27 juin    Annaba: le ministre de l'Intérieur donne le coup d'envoi officiel de la saison estivale 2025    Baddari préside une réunion de coordination avec les directeurs des établissements universitaires et des ENS    Transport : Air Algérie cargo prévoit une hausse notable de son activité pour 2025    Agression sioniste contre Ghaza : le bilan s'alourdit à 55.908 martyrs    Hand/Mondial U21- 2025 (Gr.D - 3e journée) : victoire de l'Algérie face au Canada 33-20    Attaf participe à Istanbul à la séance d'ouverture de la 51e session du Conseil des MAE de l'OCI    Belmehdi reçoit le mufti de la République arabe d'Egypte    Une délégation ministérielle en visite à Annaba pour présider l'ouverture officielle de la saison estivale    L'Iran poursuit sa riposte aux agressions sionistes, plusieurs cibles détruites    Ligue de Diamant 2025 (Meeting de Paris) : l'Algérien Mohamed Yasser Triki termine 5e au triple saut    18 mois de prison ferme pour publication illicite de sujets du Bac à Ammi Moussa    Pour une évaluation des performances des arbitres en fin de saison    Les raisons de la dépréciation du dinar sur le marché parallèle et l'impact sur le processus inflationniste    Réunion de coordination pour la mise en œuvre du décret portant transfert de l'OREF    « Abdelmadjid Tebboune n'a pas accordé d'entretien à des journaux français »    Déjouer toutes les machinations et conspirations contre l'Algérie    L'Autorité nationale indépendante de régulation de l'audiovisuel met en garde    La Fifa organise un séminaire à Alger    Khaled Ouennouf intègre le bureau exécutif    L'Algérie et la Somalie demandent la tenue d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité    30 martyrs dans une série de frappes à Shuja'iyya    Lancement imminent d'une plate-forme antifraude    Les grandes ambitions de Sonelgaz    La force et la détermination de l'armée    Tebboune présente ses condoléances    Lutte acharnée contre les narcotrafiquants    La Coquette se refait une beauté    Cheikh Aheddad ou l'insurrection jusqu'à la mort    Un historique qui avait l'Algérie au cœur    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Reconquérir cette culture de l'émigration
Publié dans El Watan le 15 - 07 - 2011

– Slimane Azem, une légende de l'exil. Pourquoi ce sujet spécifiquement ?
«Mon cœur est toujours malade, malade à cause des hommes de mal. Ils se glorifient des œuvres des autres. De cuivre vil ils fondent des bijoux d'argent. Ils ne plantent pas ils déracinent. Tes yeux ont découvert la voie de connaissance.» Je vous donne en guise d'introduction à ma réponse ce poème de Jean Amrouche. Car je pense que Slimane Azem était fondamentalement un homme de bien, un adepte de la liberté et surtout un porte-drapeau de la culture kabyle. Cinq ans après la réalisation de mon documentaire sur la vie de Slimane Azem, je suis fier que la Cinémathèque le diffuse. Pour moi, c'est une marque de reconnaissance de l'œuvre d'un homme tout dévoué au peuple algérien, un personnage exemplaire dont on aimerait qu'il en existe beaucoup d'autres.
– Comment avez-vous traité le sujet ?
De Slimane Azem, je conservais le souvenir d'un électrophone posé sur la table du salon. Ces chansons incompréhensibles faisaient remonter mes souvenirs de l'étrange ailleurs dont j'étais issu sans pour autant vraiment en être. L'image du petit berger courant pieds nus derrière les quelques moutons de son troupeau m'apparaissait… C'est ce gamin qu'il avait dû être dans son village d'Agouni Gueghrane, où il naquit en 1918. Là, au pied du Djurdjura, entre six et onze ans, il partagera son temps entre les pâturages et les Fables de La Fontaine qu'il étudie à l'école. Selon la légende, il aurait développé son génie poétique suite à une rencontre avec un vieillard qui lui aurait proposé soit d'avoir une intelligence accomplie, soit un foyer plein d'enfants. Il choisira d'être poète visionnaire et ne laissera aucune descendance. A 19 ans, il traverse la Méditerranée. Dès 1937, il travaille dans les aciéries autour de Longwy et endosse alors le statut d'immigré. Cette déchirure existentielle inspirera une grande partie de son œuvre. Œuvre qu'il mettra au service de ses compatriotes en leur prodiguant ses chansons «conseillères», allégeant leurs tourments d'exilés. Il partagera durant sa carrière, avec l'immigration algérienne, les sentiments de joie, de peine, de toute une communauté de destin. Slimane Azem, c'est le chanteur d'une époque révolue, celle de Prévert déclinant le nom de tous ces «étranges étrangers» qui peuplaient les usines Renault, alimentaient les fours de la sidérurgie, descendaient dans les puits des mines, construisaient les bâtiments de la modernité française. Slimane Azem, c'est l'histoire de ces hommes longtemps muets sur leur jeunesse, leur arrivée en terre étrangère. Trajectoire que souvent les enfants issus de cette immigration ne découvrent que sur le tard. Slimane Azem, c'est le soutien moral de la première génération d'émigrés kabyles en France coloniale. Slimane Azem, c'est l'effort nationaliste de toute la classe ouvrière immigrée, soutenant avec abnégation le combat pour l'indépendance de l'Algérie. Pays désiré de leurs vœux mais qui n'a su les reprendre en son sein. Il porte en lui cette contradiction de la nation algérienne. Slimane, c'est surtout la nostalgie du paradis perdu, l'exil temporaire qui devient perpétuel. C'est une voix de l'histoire de l'émigration. Slimane Azem, c'est une légende de l'exil…
– Nous trouvons rarement des travaux artistiques ou de recherche sur cet artiste…
Quand j'ai commencé mon travail de recherche au début des années 2000, il n'y avait rien, et ceux qui avaient des documents les gardaient comme un trésor personnel qu'il ne savait pas valoriser. Le travail universitaire de traduction de Youcef Nacib m'a permis d'accéder en français à l'œuvre de Slimane Azem. Pour moi, faire ce documentaire a été un honneur et m'a rempli du sentiment du devoir accompli.
– Avez-vous trouvé des difficultés pour réaliser votre documentaire ?
J'ai rencontré beaucoup de difficultés à monter ce projet, car pour les programmateurs de chaînes de télévision française, «Slimane Azem» ne voulait rien dire et je suis d'autant plus fier qu'il est aujourd'hui reconnu comme un artiste majeur issu de l'immigration. Je pense que mon film a contribué à la réhabilitation de cette grande figure de la culture kabyle, et plus largement algérienne. En France, ce film a questionné l'histoire de l'émigration. Il a permis de faire comprendre ce qu'étaient les conditions d'accueil des émigrés, de reconnaître l'absence d'attention portée à cette population issue du sous-prolétariat. Pour moi, il fallait, pour les enfants français issus de l'immigration, tenter de réparer l'image des pères amoindris, parce que quasi-inexistante dans cette France, leur société d'accueil. C'est pour cela que j'ai utilisé l'image de cet illustre chanteur et poète, qui perpétuait une tradition orale kabyle dans ces cafés-hôtels de Paris, là où nos «pères», rassemblés dans leur solitude, trouvaient dans les bars un petit coin d'humanité à partager avec leur chanteur. C'est pour reprendre le cours de l'histoire de l'immigration à sa source que ce documentaire appelle à découvrir le parcours de ces hommes, à reprendre le fil des existences mutilées, à reconquérir cette culture de l'émigration, longtemps sous-évaluée et qui pourrait permettre de fabriquer le ciment entre un ici reconnaissant et un ailleurs apaisé.
– Nous avons l'impression que Slimane Azem est boycotté par plusieurs parties…
Pour moi, l'œuvre artistique de Slimane Azem s'inscrit dans la continuité historique de celle de Si Moh ou Mohand. Il connaîtra l'Algérie française, puis l'Algérie algérienne, il s'interrogera très tôt sur son double statut de colonisé et d'exilé économique, et transcrira le sentiment de milliers de ses compatriotes, bien moins en mesure que lui d'analyser cette déchirante situation existentielle. Patriote, il a été. Dès son arrivée en France, il militera au sein du Parti du peuple algérien (PPA) de Messali Hadj. Il aspire avec ferveur à l'indépendance de son pays dès 1956, et rendra publique une chanson ouvertement anticolonialiste : Criquet sort de ma terre. Cette chanson lui valut des démêlés avec la police française et aurait pu lui coûter la vie sans le soutien de son frère Ouali, acquis à l'Algérie française pour des raisons que son frère Ali synthétise dans mon documentaire. C'est cette position pro-française de certains membres de sa famille qui provoquera le bannissement d'Algérie de la famille Azem, conséquence d'une répression punitive, collective que l'on sait pratiquée par des régimes autocrates et totalitaires. Pourtant que dire du patriotisme de Slimane Azem, lorsqu'en plein conflit libérateur, il pose son regard sur la guerre d'indépendance et compose une fervente prière à la recherche d'un remède aux malheurs du peuple algérien. Ô Dieu, le clairvoyant/A Rebbi Imudebber. Son engagement resplendit encore plus fort dans cette ode à l'astre lunaire qui symbolise l'avènement d'une Algérie libre et indépendante. Cet écho patriotique résonne de l'espoir porté par un peuple en lutte, «Le croissant enfin paraît/Idahred waggur». Les derniers vers de cet hymne à l'indépendance montrent la distance critique de Slimane Azem face à la Constitution de l'Etat algérien. Dans ses chansons, Slimane Azem dénoncera régulièrement, en termes allusifs, l'injustice et l'ambition des représentants du pouvoir algérien. Il quittera l'Algérie en 1959 pour n'y plus retourner, même pour son ultime demeure.
En 1967, il sera frappé d'interdiction d'antenne par la Radio Télévision algérienne, sur la foi d'une liste d'artistes ayant soutenu Israël durant la guerre des Six Jours. Cette «conspiration du silence» n'empêchera pas sa cote de popularité de monter, jusqu'au début des années 1970, où il recevra des mains de M. Minichin, PDG de IME-Pathé Marconi, un disque d'or pour avoir vendu un très grand nombre de disques. C'est une première pour un chanteur d'origine algérienne qu'il partagera avec la chanteuse Noura ! Durant cette période, Slimane Azem exprimera la contradiction essentielle de sa situation. Il rendra compte de son état de «banni» et de celui d'émigré, dont il continuera de porter le statut jusqu'à la fin de sa vie, avec son lot de culpabilité, d'errance, de violence et d'indifférence. Ses chansons restituent l'état mental de beaucoup de fils de paysans kabyles confrontés de plein fouet à la modernité, voués à une vie de précarité et de frustration. Ils deviendront ce sous-prolétariat sacrifié sur l'autel du néocolonialisme, dont les trajectoires humaines ont été remarquablement analysées et traduites par Abdelmalek Sayad. La douleur de l'exil n'entamera pas l'acuité du poète. Il demeurera un fervent défenseur des valeurs ancestrales kabyles et, dès 1966, il sera membre de l'Académie Agraw Imazighen, dont l'un des fondateurs, Muhend Bessaoud, est mort en exil en janvier 2002, sur l'île de Wight. Participant actif du mouvement de Libération nationale, il écrira plusieurs livres à compte d'auteur, dont Heureux les martyrs qui n'ont rien vu, en 1963. Ce roman autobiographique est un regard critique sur le fonctionnement de l'intérieur de l'ALN durant la guerre d'indépendance. Son héritage est aujourd'hui porté par le Congrès mondial amazigh, association qui défend la culture berbère.
Dans les années 1970, Slimane Azem orientera son chant vers le combat identitaire et ne cessera de caricaturer l'attitude des dirigeants de l'Algérie nouvelle. Il les représentera selon son inspiration, soit sous la forme de crapaud coassant dans la mare, soit sous l'effigie d'un perroquet bavassant. L'œuvre de Slimane Azem aura contribué au renouveau du chant identitaire kabyle et marqué le désir de perpétuer le souffle d'une identité ancestrale, face à un régime politique qui n'a pas perçu l'intérêt d'apprécier les différents constituants culturels de l'Algérie, en tant que richesses naturelles. En 1981, il donnera un dernier récital à l'Olympia. L'espoir de voir, sentir et vivre sur la terre de ses ancêtres lui sera jusqu'au dernier jour refusé. Malgré son absence physique, Slimane Azem influencera la poésie chantée kabyle. Nombreuses sont les chansons qui habitent encore les esprits de beaucoup d'Algériens de toutes les générations, à l'image des chansons de Matoub Lounès, qui lui dédiera l'un de ses albums. Ce dernier chant sera celui de liesse, car Slimane Azem sait sa descendance assurée. Les générations montantes de poètes chanteurs, comme Aït Menguellet, Idir, Matoub Lounès, ayant entendu son message, ont fait le serment de porter, chacun à sa manière, l'art de la chanson poétique kabyle. Slimane Azem s'éteindra le 28 janvier 1983, après une longue maladie. Jusqu'à ses derniers instants, il n'aura cessé d'écrire et de se languir de son beau pays.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.