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Frantz Fanon, de Joinville à Abane
Publié dans El Watan le 17 - 10 - 2011

Roger, ce que je veux vous dire, c'est que la mort elle est toujours avec nous et l'important n'est pas de savoir si l'on peut l'éviter, mais si l'on fait pour les idées qui sont les siennes le maximum. Ce qui me choque ici, dans ce lit, au moment où je sens mes forces s'en aller, ce n'est pas de mourir, mais de mourir à Washington de leucémie aiguë, alors que j'aurais pu mourir il y a trois mois face à l'ennemi, puisque je savais que j'avais cette maladie. Nous ne sommes rien sur cette terre si nous ne sommes d'abord les esclaves d'une cause, de la cause des peuples, la cause de la justice et de la liberté. Et je veux que vous sachiez que même au moment où les médecins avaient désespéré, je pensais encore, oh dans le brouillard, je pensais au peuple algérien, aux peuples du Tiers-Monde.
Si j'ai tenu, c'est à cause d'eux.» Cette lettre fut écrite par Frantz Fanon à l'un de ses amis, Roger Taïeb, deux mois avant sa mort. Fanon luttait alors contre la leucémie. Il était cloué sur un lit d'hôpital, dans une banlieue de Washington, en regrettant de n'avoir pas fini ses jours dans un maquis d'Algérie. Il s'est éteint le 6 décembre 1961, à trois mois seulement du cessez-le-feu. Il avait à peine 36 ans.
Ainsi, 2011 est un peu «l'année Fanon» en ce qu'elle correspond au cinquantenaire de sa mort, un prélude à celui de la célébration de l'indépendance nationale. Mort à 36 ans donc, à l'âge où d'autres commencent tout juste leur vie. Et lui, quel fulgurant parcours déjà ! Une étoile filante. Et quelle postérité, lui dont la pensée eut une influence considérable qui continue à faire son œuvre jusqu'à aujourd'hui.
Défier, défaire l'ordre colonial avec les outils de la psychiatrie : voici, résumé à grands traits, le projet politique fanonien. Une vaste entreprise de libération en démontant les mécanismes psychiques de la domination coloniale. Projet qu'il porte à bras-le-corps dès qu'il intègre l'hôpital psychiatrique de Joinville-Blida, rebaptisé du nom de son illustre chef de service après 1962.
C'est en Martinique que Frantz Fanon voit le jour le 20 juillet 1925, dans une famille de la petite bourgeoise antillaise. Diablement éveillé, sa prise de conscience politique ne tarde pas à s'affirmer. Même si l'esclavage est officiellement aboli depuis le 27 avril 1848, la condition nègre a hanté Fanon dès son plus jeune âge. C'est ainsi qu'à l'avènement de la Seconde Guerre mondiale, il n'hésite pas à s'engager, à 19 ans, dans les forces gaullistes comme combattant au service de la France libre contre le régime de Vichy.
La révolte dans l'âme
Viscéralement pétri dans une culture de résistance, il se voit déjà de tous les combats pour la liberté. «Chaque fois que la dignité et la liberté de l'homme sont en question, nous sommes concernés, Blancs, Noirs ou Jaunes, et chaque fois qu'elles seront menacées en quelque lieu que ce soit, je m'engagerai sans retour», écrira-t-il. Ce premier voyage en métropole sera pour lui un choc. Fanon y découvre le visage du racisme ordinaire sous tous ses avatars, y compris dans les rangs des Forces françaises libres. Blessé dans les Vosges, il est démobilisé. Le caporal Fanon s'en sort avec une décoration militaire qui lui sera décernée, ironie du sort, par… le général Salan, le futur chef de l'OAS.
Frantz Fanon revient en Martinique pour se reconstruire. Elève doué, il rattrape sans peine son retard scolaire ; il fréquente le lycée Victor-Schœlcher de Fort-de-France où officie un certain…Aimé Césaire. Son baccalauréat en poche, il s'inscrit à la Faculté de médecine de Lyon. Il suit en parallèle les cours du philosophe phénoménologiste Maurice Merleau-Ponty. C'est la période où Fanon se passionne pour la psychiatrie et s'y spécialise. Contraint de valider son diplôme par une thèse, il se fend d'une étude peu orthodoxe qui sera rejetée. Qu'on en juge déjà par le titre : Essai pour la désaliénation du Noir. La thèse originelle sera reprise sous forme d'un brûlot : Peau noire, masques blancs. Le 22 novembre 1953, le docteur Frantz Fanon est nommé officiellement médecin chef de service à Joinville, le fameux hôpital psychiatrique de Blida. Il va trouver, dans cet établissement, le terreau idéal pour mettre en pratique son approche de la psychiatrie qui était aux antipodes de la doctrine qui prévalait à l'époque, celle du «primitivisme de l'indigène» chère aux psychiatres de «l'Ecole d'Alger». Les spécialistes de Fanon précisent à ce propos que l'auteur de L'An V de la Révolution algérienne s'inscrivait dans la «social-thérapie».
S'appuyant sur le témoignage de Jacques Azoulay, alors jeune interne en psychiatrie à Blida, qui exerça sous la direction de Frantz Fanon, le sociologue Numa Murard — intervenant dans un colloque consacré à Fanon organisé sous l'égide de l'université Paris-Diderot (30 novembre-1er décembre 2007) sous le thème «Penser aujourd'hui à partir de Frantz Fanon» — note : «Fanon commence à s'intéresser à la société algérienne. [Il] découvre le rôle essentiel de la maison commune, de la djemaâ, mais aussi celle de son rival, le café maure (…) Alors à l'hôpital, faut-il faire la djemaâ ou le café maure ? Ce sera le café maure (…) où l'on passe de la musique arabe, mais aussi kabyle (…) Vient ensuite à titre d'essai un conteur, puis plusieurs, l'hôpital devient un lieu pour les contes comme d'autres lieux pour les contes sur le chemin itinérant des conteurs. Le succès de l'initiative devient éclatant lors d'une soirée orientale où l'orchestre de Blida se produit devant une assistance mixte de 400 spectateurs. Pour la première fois, écrit Azoulay, on entendit dans l'hôpital des youyous.»
Ce succès thérapeutique montrera cependant ses limites, doit s'avouer Fanon avec amertume. Ses trésors de bienveillance et de bonne volonté vont constamment buter contre l'ordre dominant. Frantz Fanon finit par présenter sa démission.
Quand Fanon rencontre Abane
Dans la foulée, il adresse une lettre au résident général Robert Lacoste. Celle-ci est un véritable réquisitoire contre l'aliénation coloniale. « La vérité est que la colonisation, dans son essence, se présentait déjà comme une grande pourvoyeuse des hôpitaux psychiatriques», assène-t-il dans un de ses coups de gueule légendaires. La réaction de l'administration coloniale ne se fait pas attendre : fin 1956, Fanon est expulsé du territoire algérien.
La position du militant anticolonialiste se radicalise. L'historien Benjamin Stora n'hésite pas à faire le rapprochement entre l'engagement du médecin Frantz Fanon et celui d'un autre médecin, devenu l'icône des mouvements révolutionnaires tiers-mondistes : Ernesto Che Guevara. «L'insurrection du 1er novembre 1954 s'est transformée en guerre d'Algérie ; Fanon y voit une guerre colonialiste. D'instinct, le jeune médecin, exactement comme le fait au même moment l'Argentin Che Guevara, se range dans le camp des rebelles, ici les Algériens, avec le désir d'en découdre», souligne B.Stora (cf. communication donnée en 2007 dans le cadre de ce même colloque sur Fanon, voir supra). «Il n'est pas possible de déterminer avec exactitude à quel moment commence la collaboration pratique de Fanon avec le FLN. Des témoignages évoquent des rencontres avec des dirigeants de la clandestinité, parmi lesquels Abane Ramdane, ou bien lors de contacts avec des éléments de l'Armée de libération nationale opérant aux environs de Blida», indique Stora.
Dans la rédaction d'El Moudjahid à Tunis
Benjamin Stora ajoute que cette implication de F. Fanon au cœur de la Révolution algérienne avait commencé avant même qu'il eut quitté ses fonctions, mettant d'emblée ses compétences médicales au service de l'ALN : «Dans le travail clandestin, Fanon abrite et cache des éléments du FLN, forme des infirmiers pour le maquis, fournit des locaux pour des rencontres secrètes et retransmet des informations, des armes et autre matériel. L'organisation clandestine de la clinique est découverte au début de l'année 1956. Certains s'enfuient, d'autres sont arrêtés.»
Après son expulsion, Fanon retourne clandestinement en métropole. Il passe quelques mois (difficiles) à Paris avant de rejoindre Tunis via l'Italie. «Tout en étant médecin à l'hôpital psychiatrique de La Manouba, [Fanon] enseigne à l'université de Tunis. A partir de l'été 1958, dès son arrivée, il est à la rédaction de Résistance algérienne, organe de l'armée et du Front de libération nationale», poursuit Benjamin Stora. Abane l'avait intégré aussitôt dans le service de presse du FLN. Il fera, dès lors, tout naturellement partie de l'équipe rédactionnelle du journal El Moudjahid.
Quelques mois après l'arrivée de Fanon à Tunis, Abane Ramdane est assassiné, un épisode qui l'affectera «profondément», insiste Stora : «La mort de cet ami et camarade de lutte politique a dû toucher profondément Fanon, d'autant qu'il a dû défendre officiellement, avec la rédaction d'El Moujahid, une version erronée des faits.» Résolu à tisser des liens autrement plus vigoureux entre l'Algérie combattante — ce «territoire-guide» comme il l'appelait — et le continent profond, Fanon sillonne l'Afrique avec la farouche volonté d'ouvrir un «front sud». Transfiguré, il acquiert une dimension internationale. Une aura qui lui vaudra d'être vite la cible de la redoutable Main Rouge, filiale des services spéciaux français spécialisée dans la liquidation des militants nationalistes, notamment les intellectuels. Benjamin Stora rapporte à ce sujet ce fait édifiant : «Au cours de l'été 1959, il est grièvement blessé dans un accident d'auto, près de la frontière algéro-marocaine, où il réorganise les services médicaux de la région militaire et forme des cadres politiques de l'ALN.
On annonce d'abord à Tunis qu'il est mort ; en fait il est transporté par avion à Rome où il passe plusieurs mois en clinique. Pendant ce temps, la Main Rouge organise deux attentats contre lui : une bombe à retardement explose à contretemps à l'aéroport de Rome et tue un enfant ; le commando qui s'était introduit dans la clinique pour l'assassiner trouve le lit vide, Fanon, sur ses gardes, ayant demandé la veille son transfert dans une autre chambre. Après une brève convalescence, il retourne à Tunis fin 1959. Et c'est à ce moment que Fanon va acquérir une immense notoriété…» En mars 1960, Frantz Fanon est nommé ambassadeur du GPRA à Accra (Ghana). Atteint d'une leucémie, il consacre les derniers mois de sa trop courte existence à la rédaction de son livre-testament, les Damnés de la Terre (1961). Préfacé par Jean-Paul Sartre, l'opus paraîtra chez Maspero trois jours à peine avant sa mort. Il est aussitôt interdit, avant de devenir un livre culte.


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