– Comment évaluez-vous la gestion des principaux dossiers économiques en 2018 ? Faire un exercice d'évaluation de la gestion des principaux dossiers économiques en fin d'année peut paraître un peu comme défiant le bon sens et risque d'être incomplet. Néanmoins, la question est pertinente et mérite qu'on s'y attarde un peu. Pour y répondre objectivement et sans parti pris, il faudrait disposer d'un certain nombre de documents budgétaires relatant l'évolution périodique du budget de l'Etat. Je fais mention ici des rapports de synthèse de l'exécution du budget, qui étaient produits tous les trimestres, avec un rapport annuel en fin d'année de mise à jour, et mis en ligne par le ministère des Finances. Devant cette absence de visibilité de l'exécution du budget, notre regard se portera sur les données statistiques qui figurent dans le rapport de présentation du projet de loi de finances pour 2018 et les prévisions pour 2019-2020. L'examen des données contenues dans ce rapport très détaillé montre un certain nombre d'indicateurs inquiétants pour l'économie, et qui pourraient devenir une grande source de préoccupations pour la gestion des grands dossiers économiques qui bénéficient d'un financement public. Les équilibres financiers internes risquent de connaître des tensions face à l'affaiblissement des ressources provenant des exportations d'hydrocarbures et dont les prix oscillent amplement et souvent en défaveur des pays producteurs de pétrole. Certains indicateurs macroéconomiques connaîtront une baisse en 2018 par rapport à l'année 2017, comme le déficit budgétaire par rapport à la Production intérieure brute, qui passera de -5,4% en 2017, à -9,2% en 2018. Il en est de même du déficit du Trésor rapporté à la Production intérieure brute, qui passera de -5,6% en 2017, à -9,4% en 2018. Les réserves de change continueront de baisser, passant de 96,9 milliards de dollars, à 84,6 milliards de dollars, en 2018. Un taux de change moyen de la monnaie nationale par rapport à l'euro en continuel glissement, passant de 125,32 en 2017, à 138,47, en 2018. L'épuisement du Fonds de régulation des recettes déjà enregistré en 2017. Les hydrocarbures, qui continuent de représenter l'essentiel des exportations algériennes avec 93,84% du volume global en janvier 2018. Un prix moyen du baril de pétrole à 50 dollars, nettement inférieur au prix d'équilibre estimé à environ 100 dollars. A méditer ces données, on conclut rapidement que le modèle économique adopté jusqu'à présent est inopérant et incapable de faire face aux retournements de conjonctures. La crise économique due à la baisse significative des prix du pétrole s'installe dans la durée, avaient reconnu, déjà en 2015, nombre de hauts responsables politiques. Des mesures d'austérité ont été prises alors et qui sont principalement contenues dans la loi de finances pour 2016 et les autres qui s'ensuivirent pour faire face à la crise financière, comme la baisse, sensible, des dépenses publiques et le gel des recrutements dans la Fonction publique, une augmentation des prix des carburants, fortement subventionnés, l'introduction de nouvelles taxes frappant sévèrement les couches sociales pauvres et les classes moyennes, une restriction à l'importation, la création de monnaie par la Banque centrale à travers l'émission d'obligations d'Etat afin de réanimer l'économie. Toutes ces mesures n'ont abouti qu'à des résultats très mitigés et sans grande efficacité sur la croissance économique qui demeure très faible, rendant l'économie de l'Algérie de plus en plus vulnérable. Les différentes réformes et politiques de libéralisation n'ont pas réussi à développer une économie productive susceptible de créer des richesses et des emplois et de réduire ainsi la dépendance à la rente pétrolière. Le secteur privé ne se développe pas de façon à absorber rapidement une proportion importante des jeunes candidats au marché du travail, même si l'Algérie a amélioré son score dans le classement Doing Business 2018 de la Banque mondiale. Ajouté à cela, l'absence d'un système bancaire et financier modernisé qui entrave également le développement économique du pays. Pour ne citer comme exemple que le marché parallèle, qui occupe une proportion considérable des activités et qui est estimé environ 45% du PNB. En somme, ces indicateurs ne présagent nullement d'un futur meilleur, ils dénotent au contraire des inquiétudes futures issues de la gestion approximative des grands dossiers économiques de l'Algérie. – Quid de la gestion des finances publiques ? La gestion des finances de l'Etat reste et restera encore bien longtemps tributaire des rentrées de devises qui proviennent des exportations des hydrocarbures. Les lois de finances sont élaborées principalement en se basant sur le prix de référence du baril. C'est l'indicateur-clé dans l'élaboration du budget de l'Etat. Il est estimé qu'un prix de référence de 100 dollars le baril est nécessaire pour équilibrer le budget. Or, le prix retenu pour 2018 et même pour 2019 n'est que de 50 dollars. Ce qui laisse entrevoir encore des déficits budgétaires et la poursuite des mesures d'austérité déjà prises dans les lois de finances des années écoulées et qui vont pénaliser sévèrement les classes moyennes et démunies. Bien sûr, la voie du financement non conventionnel a été ouverte, même si c'est pour une durée limitée dans le temps, il n'en demeure pas moins que son recours a apporté une grande bouffée d'oxygène dans le financement des dépenses publiques. Mais, au-delà de ces faits, ce qui semble paradoxal, c'est l'immobilisme des gestionnaires des finances publiques. Quand les prix du baril de pétrole s'envolent, c'est l'euphorie dépensière et une politique généreuse de distribution de la rente est entamée sans savoir l'utilité et les retombées de ces augmentations sinon pour donner plus de pouvoir d'achat à une population qui, dans sa grande majorité, en a bien besoin. Les réformes fiscales et autres promises quand la situation financière était tendue sont vites mises aux oubliettes, car l'argent de la rente coule à flots. Et à l'inverse, quand la conjoncture internationale se retourne et provoque une baisse des prix des hydrocarbures, cela crée une panique au niveau des gestionnaires, car on ne sait plus construire un budget en adéquation avec une contrainte sévère de baisse du prix de référence des hydrocarbures. Et on se met à annoncer des mesures, pour ne pas dire des réformes, pour augmenter la fiscalité ordinaire. Et ce sont les taxes qui vont prendre la pente ascendante. Une attention est portée au secteur informel pour trouver des solutions qui le soumettent à une imposition. Il est demandé aux gestionnaires des collectivités locales de se montrer plus entreprenants dans la gestion de leurs localités afin de faire baisser les aides reçues de l'Etat, et bien d'autres mesures qui sont très vite oubliées quand les prix des hydrocarbures repartent à la hausse. C'est le yoyo dans la gestion des finances publiques. Enfin, qu'en est-il de ce projet de modernisation du système budgétaire qui a fait longtemps la une des déclarations des responsables de ce secteur ? Et pourtant, à ce dessein, des conventions sont signées avec Bercy pour une assistance technique. L'Union européenne accorde également des lignes de crédit au ministère des Finances algérien pour l'accompagner dans sa modernisation, mais ces crédits restent la plupart du temps inutilisés par méconnaissance des apports certains qu'une modernisation du système budgétaire pourrait apporter au pays en termes de crédibilité et de transparence budgétaire. – Qu'en est-il, à votre avis, de l'utilisation du financement non conventionnel et de la politique monétaire au cours de l'année qui s'achève ? Vous avez parfaitement raison de poser la question de l'utilisation provenant du financement non conventionnel. Cela fait un an (fin 2017) qu'il a été introduit en Algérie suite à l'amendement de la loi relative à la monnaie et au crédit. Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur le sujet. Mon apport sera limité par conséquent. Ceci étant, le gouverneur de la Banque d'Algérie a apporté quelques indications très sommaires en présentant le rapport de son institution devant l'APN le 24 décembre 2018. En s'appuyant sur les textes réglementaires régissant le financement non conventionnel, il réaffirme que l'utilisation de ces montants servira d'abord le Fonds national d'investissement, ensuite il permettra le rachat par la Banque d'Algérie des dettes du Trésor, dont l'origine provient de la politique des subventions, une autre fraction est octroyée à la Caisse nationale des retraites (CNR) pour régler ses dettes envers la Caisse nationale des assurances sociales. Le taux de financement non conventionnel par rapport au Produit intérieur brut (PIB) représente près de 28%. Les spécialistes de la finance restent un peu sur leur fin en écoutant un discours très descriptif et loin de toute analyse appuyée par des données montrant le bilan de ce financement peu orthodoxe préconisé comme seul voie possible pour contourner la situation financière critique que l'Algérie a connue. Le but ultime étant de ne pas arrêter l'investissement productif de nature à contribuer à la croissance économique et à la création d'emplois. Ce n'est pourtant pas l'expertise au niveau de la Banque d'Algérie qui manque, rehaussée par les visites au FMI très fréquentes. Quant à la politique monétaire, les résultats négatifs sont là, malgré «la baisse de la part des billets, qui est passée de 32,9% en décembre 2017, à 30,8% pour la même période de 2018, selon le gouverneur. En dépit de cette baisse, la part des billets dans la masse monétaire reste importante, avec quelque 5000 milliards de dinars». Face à cette situation, où une masse importante d'argent est présente hors circuit bancaire, la responsabilité est mise sur le système bancaire, interpellé pour capter et canaliser cette masse monétaire qui viendra alimenter le secteur informel. Quant à la «finance participative», une autre appellation de la finance islamique, les conditions d'exercice par les banques et établissements financiers sont encore au stade de l'élaboration de la réglementation. En somme, on peut dire qu'il est devenu impératif de prendre des mesures et des dispositions pour mettre fin à la bureaucratie dans les banques, qui gênent l'accès des investisseurs aux crédits d'investissement. Le moment est certainement venu pour procéder à la révision de la politique monétaire et économique de l'Algérie face à la fragilité de l'économie nationale. – Comment s'annoncent les perspectives avec la crise, tant au niveau politique qu'économique ? Je ne me risquerais pas volontiers de tenter de prédire ce que 2019 nous réserve. L'exercice est quasiment impossible, mais cela vaut tout de même la peine d'essayer. Si 2018 fut une année politiquement agitée, 2019 ne devrait pas être en reste. Les incertitudes autour de la présidentielle vont dominer les premiers mois de l'année. Beaucoup d'experts s'accordent à affirmer que des réformes structurelles s'imposent à l'économie afin de faire face aux dangers qui guettent l'Algérie. Ces préoccupations sont de plusieurs ordres, mais je n'en citerais que les principales à mon point de vue : – D'abord, engager une réflexion autour des hydrocarbures à la lumière de la nouvelle loi qui sera connue bientôt. Comment assurer la pérennité de cette richesse naturelle non renouvelable et la mettre à la disposition d'un développement durable, équitable et inclusif. – Ensuite, accélérer la réforme budgétaire, considérée comme la question pivot sur laquelle reposera tout projet de réforme de l'Etat. Ce projet, de nature à apporter des changements au niveau de tous les départements ministériels et qui a été initié au début des années 2000, peine à émerger dans sa forme finale et exécutable. Il apportera des transformations profondes dans le mode de gestion des finances publiques rétrogrades et archaïques suivies à ce jour. – Enfin, sur le plan de la politique internationale, l'Algérie est confrontée progressivement, mais sûrement, aux défis de l'immigration. Nos frontières sont devenues une source de grande préoccupation pour la sécurité interne et également la stabilité régionale au sens large du terme. L'immigration véhicule un coût budgétaire, tout comme la surveillance et le contrôle de nos nombreuses frontières terrestres et maritimes.