-La chaîne Al Jazeera sport a annoncé, lundi dernier, qu'elle allait poursuivre en justice la Télévision publique algérienne pour avoir retransmis, sans son accord, le match Burkina Faso – Algérie. Quelle est la part du droit dans cet événement ? Il y a ici une opposition entre le droit de propriété des confédérations — la FIFA en l'occurrence — sur les événements qu'elles organisent et le droit à l'information du public. Le droit à l'information dans le domaine sportif s'entend du droit du public à l'accès à des événements d'une importance majeure sans devoir payer ces événements de quelque manière que ce soit (abonnement à une chaîne cryptée, VOD…). Le droit à l'information heurte de front un autre droit fondamental qu'est le droit de propriété et particulièrement le droit de chaque propriétaire de vendre ses produits au plus offrant, dès lors que la commercialisation est soumise à une procédure non discriminatoire. Afin de protéger l'éthique des compétitions et de garantir la pérennité des manifestations sportives, il est nécessaire que toute exploitation commerciale des manifestations sportives se fasse avec l'autorisation et sous le contrôle de l'organisateur. Cette cession des droits d'exploitation par l'organisateur de la compétition garantit, par l'obligation d'une contractualisation, l'existence d'une négociation sur les conditions d'utilisation des manifestations et des compétitions. Ce droit de propriété permet aux organisateurs de disposer de bases juridiques solides pour défendre leurs droits auprès des différents tribunaux. Le droit de propriété de l'organisateur existe depuis 1992 dans le droit français, à l'article L.333-1 du code du sport. «Les fédérations sportives, ainsi que les organisateurs de manifestations sportives mentionnés à l'article L. 331-5, sont propriétaires du droit d'exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu'ils organisent.» Il s'agit d'un droit de propriété incorporelle, à caractère général, au profit de l'organisateur sur toute exploitation qui est faite de sa manifestation. Au regard des investissements consentis, il est juste et légitime que les organisateurs aient un retour financier sur l'exploitation commerciale de leurs événements. -Y a-t-il une problématique du droit à l'information face au droit de propriété ? Tous ceux qui ne peuvent accéder aux grandes manifestations sportives réclament, au nom de ce droit, la possibilité d'en diffuser des images et d'accéder aux compétiteurs. Les JO illustrent l'opposition désormais classique dans la sphère du sport entre droit de propriété et droit à l'information. Cette opposition avait été évoquée par le Conseil supérieur audiovisuel français dès 1991. Le sport est spectacle, mais il est aussi information ; la compétition appartient à celui qui l'organise, mais elle appartient aussi à la collectivité publique et à la nation ; l'événement sportif, surtout lorsqu'il met en jeu la représentation nationale, n'est pas un «simple produit» vendu au plus offrant. Au nom des impératifs du spectacle sportif et fort de ses titres de propriété, le CIO, comme la plupart des fédérations sportives, a choisi de vendre les images des Jeux plutôt que de garantir le droit à l'information sous toutes ses formes, même si une possibilité d'accès à l'information, comprise au sens restreint du terme dans son contenu et dans les modalités de sa diffusion, est prévue par les organisateurs des Jeux. Il n'y a donc pas de limitation aux droits de propriété consentis pour la durée des Jeux aux détenteurs de droits de diffusion de l'événement : le droit à l'information ne constitue pas, selon le CIO, une catégorie pertinente qui justifierait dans le cas des JO un accès ouvert aux événements. Face et contre cette position fort discutable parce que constitutive d'une atteinte eux droits de l'homme se développe une tendance sérieuse qui considère «l'information sportive comme un droit et non une marchandise». Conscient de cette problématique sans pour autant vouloir la trancher personnellement, le législateur européen a décidé de laisser à chaque Etat le soin de décider dans un premier temps ce qui devait relever de l'intérêt général et donc primer sur les intérêts particuliers des exploitants et diffuseurs. -Certains Etats de l'UE avaient fait le choix de légiférer en ce domaine, n'est-ce pas ? Oui. La France, dès 2004 (décret n°2004-1392 du 22 décembre 2004) avait défini une liste d'événements d'importance majeure, dont notamment le match d'ouverture de la Coupe du monde, les demi-finales et finales de la Coupe du monde et de l'Euro, ainsi que les matchs de l'équipe de France dans les phases finales de ces compétitions. La France n'a pas cru bon d'inclure les phases éliminatoires dans la liste des événements majeurs. La Belgique et la Grande-Bretagne sont allées au-delà puisque leur nouvelle réglementation prévoit que l'ensemble de la Coupe du monde et de l'Euro serait soumis à une diffusion par une chaîne de «télévision à accès libre». Cette position causait nécessairement un préjudice à la FIFA et à l'UEFA qui perdaient de potentiels acquéreurs dans la diffusion de ces matches à forte audience et donc subissaient un manque à gagner. Ces deux fédérations estimaient non fondée une décision prise par le Royaume-Uni et la Belgique de réserver la diffusion de matchs de la Coupe du monde et de l'Euro à des chaînes de télévision gratuites. Elles avaient contesté cette décision devant le tribunal de l'Union européenne, mais avaient été déboutées. Pour mettre un terme à ce débat, le tribunal de l'Union européenne a analysé si les conditions posées par la directive européenne étaient remplies avant d'étudier les moyens des recours. Le tribunal avait rappelé qu'une législation européenne autorisait explicitement les Etats à interdire la retransmission «exclusive» des événements qu'ils jugent d'une importance majeure pour leur société, au motif que cela priverait sinon une partie importante du public de la possibilité de les suivre. Il avait notamment souligné l'importance des Coupes du monde et d'Europe de football pour les citoyens, au-delà des amateurs traditionnels du ballon rond. La FIFA et l'UEFA ont interjeté un pourvoi contre ces jugements. La Cour a rejeté les pourvois formés par la FIFA et l'UEFA à l'encontre des arrêts du Tribunal sur la retransmission télévisuelle de la Coupe du monde et de l'Euro. Ce verdict devrait faire date dans la domination croissante des chaînes payantes sur le football en Europe. Au terme d'une longue bataille judiciaire, la Cour européenne de justice a décidé que les Etats de l'Union européenne avaient le droit d'interdire la diffusion de la Coupe du monde et du Championnat d'Europe de football sur des chaînes payantes et d'exiger leur retransmission sur des chaînes diffusées en clair. Il y a lieu de préciser que dans le procès qui les a opposés aux trois Etats, la FIFA et l' UEFA ont fondé leur recours principalement sur le fait que la notion d'événement d'importance majeure n'était pas uniforme et ne pouvait englober une compétition entière composée de plusieurs dizaines de matchs. La FIFA et l'UEFA ne s'opposent donc pas — du moins officiellement — au droit à l'information et à l'accès au grand public sans payement à certains événements d'importance majeure «mais contestent la définition donnée par ces Etats aux événements majeurs». -Donc, chaque Etat peut définir l'événement qui relève selon lui de l'intérêt général… Le tribunal de l'Union européenne a fait preuve d'encore plus de clarté en considérant que les JO, la Coupe du monde et l'Euro n'ont pas à remplir les critères pour être inscrits sur la liste. En conclusion, cette décision porte un sérieux coup aux droits des fédérations internationales sur les événements dont elles détiennent la propriété. Elle devrait notamment avoir pour conséquence d'obliger les propriétaires de la Coupe du monde et de l'Euro à revoir leur stratégie de commercialisation des droits audiovisuels au sein de l'Union européenne dans la mesure où les agences marketing, confrontées à l'obligation pratique de limiter leurs offres aux seuls diffuseurs en accès libre, auront certainement moins d'engouement à se porter acquéreurs exclusifs. En outre, le développement de la télévision par satellite ayant éliminé la notion de frontière, le coup devrait être encore plus sévère. En effet, dès lors que les programmes des télévisions belge ou anglaise seront accessibles dans le monde entier à quiconque possède un décodeur et une antenne satellite, chacun pourra regarder l'ensemble des matchs de ces événements sans devoir s'abonner à une chaîne cryptée. -Veuillez, s'il vous plaît, revenir à notre cas d'espèce. quelle évaluation faites-vous de la cession des droits de transmission du Mondial 2014 ? Deux protagonistes sont interpellés dans cette affaire : la FIFA et l'Algérie. Il est à reprocher à la FIFA d'avoir cédé ces droits de transmission à des chaînes et les a nantis d'un chèque à blanc, c'est-à-dire que cette cession n'est accompagnée d'aucune condition d'usage. La FIFA s'est limitée à vendre les droits en encaissant l'argent sans instaurer de garde-fous dans l'usage de ce produit spécifique. Pourtant, une position éthique médiane obligatoire doit être trouvée entre les droits des propriétaires du produit ou de la marchandise (les diffuseurs) et le respect des droits à l'information sportive. Cette moyenne pourrait se trouver dans l'instauration de certaines règles pondératrices. A titre d'exemple, la cession gratuite ou à des prix réduits aux pays compétiteurs sinon des prix étudiés pour les pays pauvres ou traversant des situations difficiles. Il apparaît que les coûts des droits de retransmission sont parfois prohibitifs pour certains pays africains qui rencontrent des difficultés économiques, des crises, ou encore des catastrophes naturelles. Ce fut le cas du Burkina Faso concernant la CAN Angola de 2010, alors que le pays se relevait difficilement des inondations. La société LC2 Afnex, détentrice des droits de retransmission, demandait 877 millions de francs CFA à la télévision burkinabée. Une dépense impossible à assumer au vu des préoccupations de la population. La chaîne publique avait donc décidé de se passer de la CAN. Le fait de qualifier la CAN «d'événement d'importance majeure» et d'instaurer une législation inspirée de la directive communautaire permettrait peut-être aux Etats africains de suivre les grands événements footballistiques de leur continent sans bourse délier. Enfin, comme approche globale, il faut que l'Algérie développe sa diplomatie sportive et commence à œuvrer pour une réforme de l'ordre sportif mondial. Il y a lieu de noter aussi que la directive européenne date de 1989, c'est-à-dire il y a plus de trente ans et que la législation française qui a mis en œuvre cette directive européenne date de bientôt dix ans. Comment se fait-il que le législateur algérien n'ait pas cru bon intervenir dans un sujet aussi important ? -Quelle attitude préconisiez- vous ? Al Jazeera Sport a acquis ces droits de transmission pour 6 millions de dollars. Cette somme est largement à la portée de l'Algérie, alors pourquoi s'est-elle absentée pour laisser l'espace africain à une chaîne asiatique ? Nous sommes devant un créneau porteur et un retour sur investissement est garanti, pour peu qu'on développe un bon marketing. On ne laisse pas une négociation comme celle-ci à la dernière minute. Al jazeera Sport a exploité l'urgence et c'est de bonne guerre. -Comment évaluez-vous le chantage à l'accréditation d'Al jazeera, si chantage il y a ? Chantage ne me semble pas approprié, c'est un échange de bons procédés, une demande d'assistance. Les responsables de cette chaîne savent bien qu'on n'obtient pas une accréditation en deux jours. Une bonne stratégie de négociation aurait été d'afficher de bonnes dispositions, manifester sa bonne volonté d'assistance à une institution collègue et partenaire dans l'obtention de son accréditation, faire peser ce concours dans la négociation du prix et se montrer navré devant le refus des autorités publiques le cas échéant ; le problème qui s'est posé se reposera sans doute pour les autres matchs du mondial 2014. -Quelle est la conduite à tenir pour garantir le droit du public algérien à regarder cet événement planétaire ? Préparer dès maintenant la négociation avec le titulaire des droits de transmission, éviter le débat passionné et la polémique, prendre connaissance des règles juridiques régissant les droits de transmission et faire usage des techniques de négociation sérieuses et sereines. Le DG de la télévision algérienne a lancé son fameux «J'assume !» relatif à cet acte que d'aucuns ont qualifié d'une extrême gravité. Un manager calcule et applique le meilleur coût entre un paiement négocié des droits et une amende de piraterie. Il est facile d'assumer avec le dinar public.