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Nouri Bouzid. Cinéaste tunisien : « Le cinéma doit ressembler à la vie »
Publié dans El Watan le 19 - 12 - 2009

Talentueux dans ses œuvres, exigeant dans ses visions, dérangeant par ses propos, il est une figure de proue du cinéma maghrébin.
Pour vous le cinéma doit ressembler à la vie. Pourquoi ?
Il ne faut pas craindre les mots, le cinéma est une manipulation des émotions du public. C'est un art qui essaye d'entraîner le spectateur vers un but. Dans la fiction et la dramaturgie ; il y a, en fin de compte, des positions idéologiques, des conceptions du monde. On a envie de gagner l'adhésion du public à ce qu'on veut dire. Dans L'homme des cendres (1986), je voulais que le public prenne en charge la question des garçons violés quand la société condamne autant le violeur que le violé ou alors, ferme les yeux. Idem dans Making of (2006) où je voulais amener le spectateur à « prendre en charge » cet apprenti terroriste. Je suis contre le terrorisme, mais je voulais convaincre le spectateur à accepter cet apprenti terroriste car je savais, qu'à la fin, il allait refuser le terrorisme, refuser de tuer.
Je voulais fonctionner par l'émotion. Si cela ne ressemble pas à la vie, si je ne donne pas l'impression d'un vécu, il n'y aura pas d'identification. Ressembler à la vie, c'est tous ces petits détails culturels ou traditionnels d'une ville, d'une zone ou d'un groupe précis. Il y a un code dans chaque groupe, chaque milieu. J'utilise ce code culturel et moral. Il faut que ce soit crédible. A chacun de mes films, la motivation principale est d'apprendre et comprendre un problème.
A la sortie de L'Homme des cendres, quelle a été la réaction de la société ?
Le film vient d'être projeté dans un ciné- club en Tunisie. On m'a invité à animer le débat. La salle était comble et les réactions positives, mise à part celle d'un étudiant en cinéma. Rien ne lui a plu. Il m'a rappelé quelqu'un qui avait mal réagi après la sortie du film et qui, un mois après, est venu me dire qu'il avait exagéré, car le film avait réveillé en lui de vieux souvenirs. A la sortie de Making Of, des personnes m'ont avoué avoir subi des tentatives de lavage de cerveaux. Ils ont presque vécu l'histoire du personnage. On fait également des films pour réhabiliter une culture, des personnages marginaux, des perdants, des individus oubliés, des personnes malmenées... Le contexte est sacré pour moi. Je n'ai pas le droit de le changer. Je ne peux montrer une femme conduisant une voiture en disant que cela se passe en Arabie Saoudite. Je fais faire à mes personnages ce que je veux mais le contexte, je ne le change pas.
Et pour mieux respecter le contexte, vous menez vos propres enquêtes...
Je fais des enquêtes sur les milieux dépeints dans mes films. Pour Bezness, j'ai mené une enquête sur la prostitution masculine. Mes investigations peuvent prendre une année, le temps d'élaborer le scénario. Sans cela, comment pourrais-je construire le personnage ? Je dois parfaitement connaître le milieu dans lequel il évolue. S'il s'agit d'un footballeur, je dois enquêter sur le football, connaître le milieu de l'intérieur. Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de choses que je découvre.
Pour Bezness, cela ne devait pas être facile !
Deux bezness (homosexuels vendant leurs corps aux touristes, ndlr) m'ont pris pour un Italien. J'ai marché dans la combine. Après, on est devenu amis. J'ai amené une caméra VHS et j'ai filmé. Ils m'ont parlé de choses qui m'ont dégoûté. A un point tel que j'ai failli abandonner le projet. Si j'avais dit ces choses, je les aurais condamnés. Mais en fin de compte, ils ne sont pas les seuls responsables. Je ne voulais pas jouer le moralisateur.
L'homme des cendres a failli subir l'interdit...
Il a provoqué un tollé parce qu'on a résisté à une coupure qui s'est faite dans le négatif, autrement dit, dans toutes les copies. Ce n'est pas une coupure de censure pour le passage en Tunisie. Les responsables de la Société tunisienne de production et d'expansion cinématographique (SATPEC, entreprise publique dissoute depuis) ont exigé qu'on enlève la partie en hébreu d'une prière après la mort du vieux juif. La SATPEC était coproductrice du film. Le PDG qui avait donné son accord était parti, son remplaçant était contre. C'est une question de personnes. Aujourd'hui, ce même responsable a changé d'avis ! Cette résistance avait fait beaucoup de bruit. Finalement, l'extrême gauche et l'extrême droite ont publié deux tracts à la sortie du film pour appeler au boycott.
Finalement, les extrêmes se rejoignent !
L'extrême gauche, dans laquelle je militais, a donné naissance à une autre organisation. Et les intégristes, soit l'extrême droite, n'avaient pas vu le film, mais cela ne les a pas empêchés d'appeler à son boycott. Ils ont prétendu que le film était sioniste. Dans le film, je montre un juif qui meurt en Tunisie. Or, le sioniste est celui qui part. Le sionisme, c'est aller en Israël. Le juif que je montre peut avoir une certaine solidarité, mais il veut rester en Tunisie. C'est son pays. Je le montré habille en traditionnel tunisien. Yacoub Bechiri, qui est un juif, est chanteur à Djerba. Il anime les fêtes de mariage et de circoncision. Il s'habille, lui et sa femme, de manière bédouine. Il est compliqué de se défendre quand on est arabe, et taxé de sioniste.
Un été à la Goulette de Férid Boughedir relate une histoire entre juifs, chrétiens et musulmans. Hbiba Msika de Salma Baccar évoque une chanteuse juive tunisienne. Ils n'ont pas été attaqués...
Il y a eu des réactions. J'étais dans la commission ministérielle qui a accordé à Salma Baccar la subvention. Msika fait partie du patrimoine tunisien. C'est une femme qui a apporté quelque chose à la chanson tunisienne. Elle faisait du théâtre. C'est donc une histoire intéressante à raconter. Hbiba Msika a existé avant l'Etat d'Israël. On ne va non plus faire l'Histoire à rebours. Avec le recul, on peut avoir un autre regard. Il est nécessaire d'habituer le public à faire la part des choses, à relativiser. L'idéal pour moi aurait été que les juifs reviennent en Palestine, mais qu'ils vivent avec les Palestiniens dans le même Etat. Ils seraient dans tous les pays arabes, personne ne les aurait attaqués. Ils auraient même participé au développement de ces pays. Mais je suis contre un Etat qui renvoie les gens de leur terre ! Il faut continuer à espérer.
Je continue à rêver d'une solution juste pour les deux peuples. Cette solution ne signifie pas un petit Etat pour les Palestiniens qui ne ressemble à rien. La solution juste est celle du vivre ensemble. Les coptes d'Egypte, on ne dit pas qu'ils sont chrétiens, mais ont dit qu'ils sont Egyptiens. La religion est un choix personnel. Pour les juifs, c'est un héritage. Gardons-le dans l'intimité. Pourquoi est-on laïc lorsqu'il s'agit de la religion musulmane et pas lorsqu'il s'agit de la religion juive ? Faut être laïc pour toutes les religions. Il faut avoir le courage de le dire aussi. Il faut également commencer par dénoncer la Shoah et le Pogrom. Nous devons prendre en charge et partager ce que les juifs ont vécu. C'est nécessaire pour que la question palestinienne soit réglée.
Est-il vrai que Making Of a subi la censure en Tunisie ?
La censure a précédé la sortie du film. Le film était fait, pas mixé encore, le montage négatif non encore fait... Le service cinéma du ministère de la Culture a bloqué l'avant-dernière tranche de subvention pour la production.La dernière est accordée à la livraison. L'avant-dernière tranche est importante, car elle représente 40% de la subvention. Le cinéma tunisien est subventionné. Il ne peut exister sans cela. Même le cinéma français l'est aujourd'hui. On ne pouvait achever les travaux sans cet argent. Au ministère, ils n'ont dit ni oui ni non. La situation est restée bloquée pendant une année. Les journées cinématographiques de Carthage ont sauvé le film en demandant à voir le film. Nous avons remis un Béta du montage final non mixé. Les JCC ont convaincu le ministère que Nouri Bouzid n'était pas intégriste !
Le ministère de l'Intérieur avait reçu des lettres de dénonciation envoyées par des cinéastes, prétendant que c'était un film intégriste et anti-Islam. Il y a eu les deux versions donc. Et dans les deux cas, il fait mal ! Les responsables des JCC ont convaincu le ministre de laisser le long métrage dans le lot des films tunisiens sélectionnés par une commission pour représenter la Tunisie en compétition. Ils avaient précisé au ministre que si la Tunisie veut avoir le grand prix (le Tanit d'Or), Making Of est le seul capable de l'avoir parmi les films tunisiens du moment. Cela a joué quelque peu. La commission qui a choisi le film l'a placé en premier. A ce moment-là, le producteur a dit qu'il fallait débloquer l'argent pour livrer une copie en 35 mm, soutenant que les moyens financiers manquaient.
Le ministère a débloqué l'argent, mais a convoqué le producteur. Le chef de cabinet du ministère, qui a visionné le film sur son ordinateur, a demandé de supprimer la scène finale de l'explosion. Selon lui, le film raconte quelque chose qui n'existe pas en Tunisie : l'intégrisme et le terrorisme. Le producteur lui a précisé qu'il s'agissait d'une fiction et non de choses vraies. On lui a répliqué que l'explosion signifie une incitation à la haine et à la violence. Il m'a reposé la question et j'ai dit : « Si tu enlèves l'explosion, le terroriste devient une cartouche mouillée et le terrorisme ne fait plus peur. » Nous avons résisté. Le producteur a employé ses arguments en disant qu'il fallait refaire le mixage et le montage négatif. Il a alors demandé 100 millions de dinars de plus. Somme qu'il a obtenue.
Et le film a fait un tabac à sa sortie !
Absolument ! Deux projections la même nuit au Colisée de Tunis. Les gens qui sortaient de la salle me regardaient avec des yeux souriants et des remerciements. Certains m'ont dit : « Merci d'avoir dit ce que nous voulions dire. » Les débats se sont poursuivis dans la rue. Des policiers ont essayé en vain de nous disperser. C'était incroyablement fort. Personne n'a osé commettre un acte violent. Le film, qui a eu trois prix au JCC, a été salué par les critiques et par le public. Les gens ont senti qu'on parlait de quelque chose de vrai. Après la sortie du film, il y a eu un événement à Tunis : un affrontement entre intégristes armés et forces de l'ordre qui a fait 24 morts. Le numéro un de ce groupe était un ancien danseur de cabaret qui a subi un lavage de cerveau à Kairouan par un non-voyant. On m'a dit alors : « Mais tu étais au courant ! » J'ai dit non, je suis un devin, j'anticipe... Cet événement a fédéré les gens autour du film. Personne ne leur a expliqué comment un danseur devient intégriste. Et, ils l'ont vu dans Making Of. Ils ont trouvé réponses à leurs questions. Le film a été piraté en DVD et a fait le tour de la Tunisie ou, en dehors de quatre villes, il n'y a plus de salles. J'ai proposé, depuis, deux projets de films sur la sexualité des femmes qui ont été refusés.
Et dans ce cas, n'existe-il pas de possibilité de réaliser le film ailleurs ?
C'est quelque chose de très personnel. J'ai décidé dès le début de faire le cinéma à l'intérieur, dans tous les sens du mot. Je veux faire des films du point de vue de l'intérieur. Je ne fais un film que s'il est subventionné à l'intérieur du pays. Je ne veux pas qu'on m'oblige à changer la langue, à réécrire un scénario en fonction d'un producteur privé européen. Les commissions de subvention ne demandent pas de modifier un scénario mais d'améliorer. Mais, je suis en position de faiblesse quant au financement. Pour les projets rejetés, c'est une preuve que la sexualité est un sujet tabou. On est forcé de jouer le rôle des sociologues. Ceux-ci ne l'assument pas. Il n'y a aucune enquête sur la virginité, par exemple. Les sociologues ne s'intéressent pas à la sociologie ! Ils veulent être enseignants à la fac. Pas plus. A partir du moment qu'ils sont enseignants, ils ne font plus de recherches. Il faut faire un film sur cela peut-être !
Avez-vous un projet de film sur la question du hidjab ?
Oui, c'est un film qui sera coproduit par un Algérien. Le titre est Mille feuilles. L'histoire de jeunes filles qui travaillent dans une pâtisserie. L'une porte le voile, l'autre non. Elles débattent souvent de la question. Celle qui ne porte pas le hidjab sera forcée par son fiancé à le faire. Elle n'accepte cette obligation et se laisse mourir...
La relève est-elle assurée dans le cinéma tunisien ?
Il faut sauter une génération. Celle des années 1990 et 2000 devrait être meilleure que nous. Elle a déjà un appui, notre expérience. Le cinéma tunisien a atteint un certain niveau. Il faut aller plus haut. C'est possible. A limite, maintenir le niveau. Or, les premiers films des années 1980 ont été bons, ceux de Nacer Khemir, Nacer Kettar, Redha Bahi, Férid Boughedir, Moufida Tlatli, etc. Aujourd'hui, les films de qualité sont rares. Lyès Baccar a raté quelque peu son premier long métrage. Idem pour Nadia El Fanni. On n'a pas le droit de rater son premier film. Ces réalisateurs ne sont pas conscients de cette situation. Certains continuent à me boycotter dans les commissions de subvention. Quand je sors un film, je leur fais de l'ombre. Ils ne veulent pas que j'existe. Certains disent que je milite toujours dans l'extrême gauche qui fait peur au régime. De cœur, je suis toujours de cette tendance, mais je ne suis pas organisé. Je reste toujours du côté des personnes exploitées et malmenées...
N'existe-t-il pas une crise de scénario en Tunisie ?
A partir du moment où le réalisateur veut être scénariste, il sera compliqué de lui demander de réécrire son scénario. J'ai écris pour d'autres comme Férid Boughedir et Moufida Tlatli. Il y a une nouvelle génération dans les écoles de cinéma. Il faut lui laisser le temps de mûrir, ne pas la pousser. Ceux qui sont là n'ont jamais voulu bien apprendre le métier, faire de l'assistanat, passer par le court métrage avant le long. Avant de faire mon premier film, j'ai travaillé six ans comme assistant alors que j'étais diplômé. Si les jeunes ne se pressent pas trop et s'ils n'utilisent pas les relations pour des films ratés, il y aura des résultats. Dans la nouvelle génération, il y a Nidhal Chatta (qui tourne actuellement, Le dernier mirage), Raja Ammari, Jilani Saâdi, Nédjib Belkadhi. Il y a de l'espoir donc. Je n'ai pas cessé de faire de la formation. Avant de venir à Annaba, j'ai assuré quatre heures de cours. Pour le tournage de Making Of, j'ai pris dix de mes élèves comme stagiaires, ma fille, une jeune palestinienne et un jeune français. Cette prise en charge coûte à la production, car on doit payer une taxe à la formation professionnelle. Mais, on assure la formation.
Le choix du court métrage n'est-il pas une facilité pour des réalisateurs qui évitent d'aller vers le long ?
Il y a court et court. Je refuse le tournage de court métrage avec des bricoles : utiliser une caméra numérique pour un film fait entre amis ! Je viens de publier un article dans la revue tunisienne Deux écrans pour dénoncer cette situation sous le titre : « Papa, je veux devenir réalisateur ». Certains n'ont rien compris à ce métier. Ils vont encore prendre des défauts et de mauvais réflexes et après, il sera impossible de corriger. Ils pensent qu'un film est facile à faire. Mes élèves ne savaient pas ce que c'est une focale. Ils pensaient qu'elle sert à changer le cadre. Non ! La focale est une autre représentation du monde. Elle change l'espace. Elle est la continuation de l'œil du réalisateur. Ils ne veulent pas comprendre qu'on ne fait pas un bon film avec un zoom ! Il n'y aucune rigueur dramatique. Les cinéastes américains réussissent dans leurs œuvres, parce qu'ils savent utiliser la focale et le contre-jour.
En tous cas, j'ai interdit le zoom à mes élèves. Je leur ai dit que le zoom ne sera utilisé que comme une focale fixe. Pour faire une image, il faut aller vers la cible, et avoir l'humilité de le faire. Pour Godard, le travelling est une question idéologique. La caméra caresse les personnages, elle est autour d'eux, ne leur vole pas les images. Le zoom est possible pour le documentaire, mais pas pour les longs métrages. Le film est une construction dramatique. On ne peut construire un bâtiment sans faire le calcul de béton. La circulation d'un espace à un autre est une architecture. Il faut savoir la construire. Dans le cinéma, on doit permettre au spectateur de reconstruire l'espace éparpillé par des détails et de reconstruire le temps également. Autrement dit, c'est l'ellipse et le hors-champs. Cette reconstruction passe par le respect de certaines règles.
Pensez-vous, comme certains, que le cinéma tunisien des dernières années est marqué par un côté sombre ?
C'est plutôt positif ! C'est un cinéma qui tente d'exprimer d'une manière presque inconsciente cette crise, cette angoisse, cet étouffement. J'ai soutenu Tendresse de loup de Jilani Saâdi pour qu'il obtienne des prix comme à Alexandrie, bien que je ne partage pas tout ce que le film raconte (Tendresse de loup raconte l'histoire d'une prostituée violée par un groupe de voyous à Tunis, ndlr). Mais je suis de ceux qui disent qu'il n'y a pas la paix la nuit à Tunis. On n'est pas en sécurité .
Repères :
Nouri Bouzid, 64 ans, invité d'honneur du cycle du film tunisien, organisé par le CCF de Annaba, a présenté son dernier long métrage, Making Of. Le film a eu un grand succès en Tunisie et a obtenu le Tanit d'or aux Journées cinématographiques de Carthage. Sorti en 2006, il vient à peine d'être distribué en Europe. En Algérie, ce film a eu le Grand prix au festival du film arabe d'Oran mais n'a pas été projeté en salles. Après avoir étudié le cinéma en Belgique, Nouri Bouzid a assisté pendant plusieurs années le cinéaste italien Pasquale Festa Campanile. Militant d'extrême gauche, il a connu la prison en raison de ses opinions. Réalisations : L'homme des cendres (1986), tourné à Sfax, sa ville natale ; Les sabots en or (1988) sur la faillite des intellectuels tunisiens et le problème du combat politique dans un pays fermé ; La guerre du Golfe... et après ? (1991) contre la guerre en Irak ; Bezness (1992) sur le sujet tabou de la prostitution masculine ; Tunisiennes (Bent familia, 1997), sur le thème de la femme entre modernité et tradition et le blocage des sociétés arabes d'aujourd'hui. Poupées d'argile (2002) sur les femmes domestiques dans les maisons de riches ; Making Of (2006) sur le terrorisme. Poupées d'argile a eu plusieurs distinctions : grand Prix du Festival du cinéma africain de Khouribga (Maroc), Tanit d'argent et Prix de la meilleure interprétation masculine aux JCC et Bayard d'or de la meilleure comédienne et du meilleur comédien au Festival international du film francophone de Namur.


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