Les tables sont déjà installées à l'intérieur du local et sur le large trottoir au pied de la cité 950 logements AADL implantés à l'Ouest du chef lieu de la wilaya de Tipasa. Chaque table est entourée par 06 chaises. Une bande de jeunes bénévoles s'attèlent à garnir les tables en plastic. Deux sachets de pain, des verres, une bouteille d'eau minérale, une bouteille d'eau gazeuse, un litre de lait pasteurisé et 03 dattes sont déposées devant chaque chaise. Mohamed le cuisinier demeure silencieux. Ce n'est pas le cas des jeunes qui lancent des boutades entres eux.
Il est 19h41. Le soleil a franchi le sommet du gigantesque mont du Chenoua. A Tipasa, les citoyens n'ont pas ce privilège d'un regard sur la coucher du soleil. La montagne du Chenoua empêche le spectacle. Des groupuscules épars commencent à converger vers ce restaurant « Rahma » crée par un bienfaiteur, alimenté par des familles et des commerçants anonymes, géré par des bénévoles. Les jeunes serveurs bénévoles sont occupés par l'achalandage des tables en assiettes pleines de salades vertes, un autre groupe s'occupent de la distribution des assiettes remplies de chorba et enfin la dernière assiette chargée de boulettes de viande hachée en sauce rouge.
Progressivement les tables sont occupées par des citoyens issus de plusieurs wilayas du pays. Il s'agit des jeunes travailleurs de plusieurs chantiers implantés dans la commune de Tipasa et ses environs. Nonchalant et pas du tout impressionné par l'importance du nombre des jeûneurs installés dans chacune des tables, Mohamed le cuisinier distribue les repas aux personnes adultes accompagnées par leurs petits enfants. Ces dernières repartent chez elles pour manger. « Aujourd'hui, je ne comprends pas pourquoi les travailleurs marocains et les turcs ne sont pas venus nous murmure le cuisinier, ils sont partis ailleurs je suppose, car ils sont les habitués du restaurant depuis le début du mois de Ramadhan », explique-t-il.
Contrairement aux jeunes bénévoles, les « clients » sont moins bavards. « Nous sommes venus de Mostaganem et ceux d'en face viennent de la wilaya de Relizane, nous répond notre voisin, dans cette table, seul celui là est marié, nous travaillons dans un chantier ici à Tipasa », déclare-t-il. Il est presque l'heure du f'tour. D'autres gens arrivent et sont debout sur la terrasse. Les jeunes bénévoles mettent sur pied les tables en plastic. Pour faire face à cet impondérable et permettre aux « invités » de s'installer, telles des abeilles, les jeunes bénévoles mettent du papier blanc, sur la table, au moment où leurs camarades ramènent le reste des ustensiles et les aliments pour mettre la table au même niveau que les autres déjà occupées par les jeûneurs.
Un bémol surgit. Le manque de chaises. Un jeune serveur tient dans ses mains les emballages bleus des boissons gazeuses pour les transformer en chaises autour des tables. Il est 20h18. Les serveurs qui se trouvent à l'extérieur du local annoncent la rupture du jeûne après avoir entendu le muezzin de la prière du maghreb. Les bruits des cuillères raisonnent comme une symphonie au milieu du silence. Des rares voitures roulent à grande vitesse. Un serveur s'excuse auprès de ses camarades. « Je reviendrai tout à l'heure », dit-il. Mohamed le cuisinier, ne s'arrête pas. Il a pris quelques dattes pour rompre le Ramadhan. Des jeûneurs munis de leurs assiettes redemandent la chorba tandis que d'autres préfèrent les boulettes de viande hachée.
Nous nous apprêtons à quitter les lieux pour nous rendre dans un autre lieu de solidarité. Les assiettes, les grandes marmites, les cuillères seront lavées et nettoyées par les jeunes bénévoles après le départ des jeûneurs. Les tables et les chaises seront rangées dans un coin par un autre groupe de volontaires. Avant de quitter le restaurant « rahma », nous remercions le cuisinier Mohamed et avons encouragé l'initiative. Les jeûneurs dont le nombre avoisine 280 personnes, demeurent scotchés à leurs tables.
Avec les motards
Nous traversons la ville de Tipasa. Une ville fantôme. Nous nous arrêtons au niveau du barrage de la police installé à l'entrée Est du chef lieu de la wilaya. Un petit stand érigé. A l'intérieur, un jeune couple accompagné pas deux enfants sont attablés. Les policiers surpris par notre arrivée. « Nous voulons rompre le jeûne chez vous », leurs dit-on. Une cabine est fermée. Des motards de la sûreté nationale mangent. Leurs collègues sont à l'extérieur après avoir rompu le jeûne. Il fait doux en cette journée du 21 juin. Chorba chaude et salade sont servies.
Le jeune motard Benyahia nous propose son plat ramené de chez lui. Il s'agit d'un plat savoureux plein des haricots blancs. En raison de l'absence des moyens de locomotion, le couple accompagné de ses petits enfants venu du CHU Frantz Fanon de Blida qui devait rejoindre sa maison à Beni-Haoua (Chlef) est resté coincé à Tipasa. La femme est partie consulter un médecin. La situation vestimentaire de l'homme, son épouse et de ses 02 enfants illustre son niveau social. Les 02 gamins jouent, nullement soucieux. Un autre jeune motard propose un café à l'homme qui accepte volontiers l'offre. Le regard dévisage l'inquiétude de cette famille rurale de Beni-Haoua. Elle ignore où est-ce-qu'elle va passer la nuit.
Le motard brigadier Kherraz Smail dit « Errougi » avait téléphoné à son frère, qui devait arriver d'un moment à l'autre de Bou-Ismail. « Cette famille va être hébergée chez moi à Bou-Ismail, et demain matin elle partira à Beni-Haoua par bus, car il y a une ligne direct entre ces 02 localités côtières ; par conséquent aucune inquiétude pour elle », explique le motard. Une ambiance détendue s'installe à l'issue de cette furtive et inattendue rencontre avec les policiers avant l'arrivée du chef de section qui vient de manger dans la cabine. « Je suis leur chef, ils sont tous mes papiches, et je suis le plus ancien du groupe, j'assurai la garde pendant qu'ils mangeaient, ce qui explique mon absence depuis votre arrivée », nous indique-t-il.
Une virée au moment du f'tour en ce mois de Ramadhan 2016 nous a permis de croiser des bienfaiteurs, des bénévoles, des policiers anonymes, tous mobilisés au service de la solidarité avec de citoyens.