– Smaïl Lalmas. Economiste La révolution a commencé le 22 février et nous sommes en plein mois de juin, un peu plus de trois mois de révolution, c'est trop court à mon avis. Je pense que, pour le moment, ce n'est pas du tout nécessaire de passer à d'autres étapes, d'autant plus que les choses avancent ! La lutte contre la corruption s'est installée, il y a des têtes qui sont tombées et d'autres qui vont suivre, les membres restants de l'ancien système commencent à avoir peur… Il n'y a donc pas de raison pour le moment d'aller vers d'autres étapes de lutte. Cependant, sur le volet politique, les choses traînent encore. Il faudrait peut-être penser à aller un peu plus vite et essayer d'avancer dans les négociations et le dialogue, essayer de regrouper les gens, rapprocher les points de vue… Il y a des têtes qui restent, comme Bouchareb, Bensalah et Bedoui. Il faudrait penser surtout à mettre la pression sur Bensalah pour qu'il parte et le remplacer par une personnalité ou un groupe de personnes crédibles qui pourraient lancer cette phase de négociations et mettre en place une feuille de route qui permettrait d'organiser une élection dans les meilleurs délais, une élection propre avec un maximum de conditions. C'est, à mon avis, ce qui reste à faire pour le moment. Sinon, il y a d'autres moyens de lutte. La protestation ne se limite pas aux sorties du vendredi et du mardi. On peut développer d'autres moyens et façons, mais ce n'est pas encore nécessaire. – Nacer Djabi. Sociologue Passer vers un autre stade de la révolution ou pas ? Faut-il se contenter des marches du mardi et du vendredi, ou faut-il passer à autre chose ? Cette question a été posée à plusieurs reprises, notamment depuis la marche du dernier vendredi. Les gens ne sont pas dupes et ont beaucoup d'idées en tête. Ils pensent que les décideurs vont s'accommoder en quelque sorte, en se disant : «On va les laisser marcher chaque vendredi, cela ne va les mener à rien. Le soir, ils rentrent chez eux et on en parle plus». Donc, les Algériens se posent des questions. Qu'est-ce qu'il faut faire pour arracher ces revendications ? Parce que jusqu'à maintenant, les choses ne sont pas très claires. Mis à part la lutte anticorruption, rien n'est clair encore au niveau politique. Les dialogues et discussions n'ont pas démarré, aucun accord sur la tenue de l'élection, aucune avancée concrète au sujet de la commission qui sera chargée de l'organisation du scrutin, le départ de Bensalah et Bedoui… les grandes revendications du mouvement ne sont pas encore satisfaites. Dans ce cas-là, les Algériens ont le légitime droit de demander ce qu'il faut faire, et maintenant c'est à eux de proposer. Personnellement, j'ai confiance en le génie populaire des Algériens et en la sagesse, la détermination et l'intelligence collective dont ils ont fait preuve depuis plus de trois mois de protestation pour trouver la solution adéquate pour arriver à satisfaire leurs revendications. – Ferhat Aït Ali. Economiste Ce que vit l'Algérie depuis le 22 février est une insurrection pacifique contre un ordre établi, pas une révolution, qui, elle, a des chefs, un programme et un plan précis au départ. Pour la mobilisation, elle est à son maximum pour un peuple qui ne voit rien venir du pouvoir ni de ses élites. A mon avis, à ce stade, il faudrait peut-être penser à structurer des revendications précises avec des délais précis, à transmettre à la bonne adresse. Et pour l'instant, la seule adresse disponible est l'ANP, du moment que personne ne reconnaît le reste des structures du pouvoir. Comme tout le monde le sait, personnellement, je suis pour une élection dans les plus brefs délais. Et si c'est Bensalah et Bedoui qui posent problème, il faut juste dire que nous irons aux urnes dès que ces deux-là sont remplacés par d'autres personnalités en proposant des noms… Aujourd'hui, le refus a été compris par tous, y compris le pouvoir, mais c'est l'alternative qui tarde à se profiler. Et là, le pouvoir en profite pour passer à un stade supérieur, il faudrait avoir une revendication-clé à mettre sur la table et des délais pour l'imposer, sinon personne ne va marcher sans cap précis dans un durcissement de position. – Yanis Adjlia. Militant Pour moi, on doit maintenir la marche des étudiants le mardi et la marche du vendredi, mais il demeure aujourd'hui nécessaire de penser à adopter d'autres moyens de protestation et passer à d'autres actions tels que la grève ou encore la désobéissance civile pour mettre plus de pression sur ce qui reste du pouvoir. Cependant, il est noter que si on décide de passer au cap de la grève, seul le secteur économique sera concerné, à savoir les entreprises économiques, les ports et aéroports… par contre, les secteurs de l'éducation, la santé, les petits commerces ne seront pas concernés pour ne pas pénaliser le citoyen. – Yani Aidali. Etudiant Qu'on décide de protester autrement ou pas, les marches sont toujours importantes. Elles permettent de maintenir la pression dans la rue, ce qui en fait un élément primordial du mouvement. Cependant, ces marches doivent être accompagnées d'un processus d'auto-organisation et de la création de comités de quartiers. Chose qui va permettre de mettre en place des structures de contre-pouvoir, capables de renverser le rapport de force politique et d'imposer l'orientation des événements décidée par peuple. Ces structures seront aussi les porte-paroles des aspirations démocratiques et sociales clairement formulées par la majorité des Algériens. A mon avis, c'est la seule manière de faire un saut qualitatif. D'un autre côté, il faut noter que le mot d'ordre de l'Assemblée constituante reste le plus adéquat, il répond à la conjoncture actuelle et va dans le sens d'une rupture radicale avec le régime actuel. – Louisa Dris Aït Hamadouche. Politologue De mon point de vue, le stade supérieur du soulèvement c'est la structuration et la canalisation de la contestation en forces politiques capables de produire des propositions politiques opérationnelles. Le soulèvement a amorcé cette phase puisque plusieurs initiatives ont vu le jour avec des feuilles de route pour une transition démocratique pacifique et ordonnée.