L'année 2019 est, incontestablement, celle de la lutte contre la corruption. Elle est aussi celle qui a battu les records du nombre de hauts responsables politiques poursuivis et placés en détention. Deux anciens Premiers ministres et une dizaine de ministres sont en prison, alors que trois autres sont sous contrôle judiciaire et le quatrième en fuite à l'étranger. Jamais la justice algérienne n'a engagé autant de procédures de poursuites contre des hommes d'affaires et de hauts responsables politiques que durant l'année 2019. Dès la démission forcée du président Bouteflika, à la faveur du mouvement de contestation populaire du 22 février dernier, des interdictions de sortie du territoire national (ISTN) touchant de nombreuses personnalités politiques et économiques ont été notifiées aux responsables des services de la police des frontières pour empêcher d'éventuelles fuites à l'étranger. Ali Haddad, patron du groupe ETRHB, très proche du frère du Président déchu, est le premier à être arrêté au poste-frontière d'Oum Teboul, à El Tarf, alors qu'il s'apprêtait à quitter le pays pour la Tunisie, avec deux passeports. C'était au début du mois d'avril. Quelques jours après, les frères Kouninef, du groupe KouGC, sont convoqués à la brigade de recherche de la Gendarmerie nationale à Alger, suivis d'Issad Rebrab, patron du groupe Cevital, avant qu'ils ne soient déférés devant le tribunal de Sidi M'hamed, à Alger. Les enquêtes préliminaires ouvertes par le parquet général près la cour d'Alger sur des faits de corruption, de transfert illicite de devises et de blanchiment d'argent aboutissent à l'inculpation de nombreux hommes d'affaires, alors que les dossiers des hauts responsables sont déférés devant la Cour suprême. Cette haute juridiction décide de la mise en détention de l'ex-Premier ministre, Ahmed Ouyahia, après l'avoir auditionné pour des faits de corruption, liés à plusieurs dossiers, dont ceux des concessionnaires automobiles, dont Mahieddine Tahkout, patron de Cima Motors, Mourad Oulmi, patron de Sovac, Hacène Arbaoui, patron de Kia Motors Algérie et d'Ahmed Mazouz, propriétaire du groupe qui porte son nom, et Mohamed Bairi, patron du groupe Ival. Les griefs retenus contre l'ex-Premier ministre vont de l' «octroi d'indus avantages à autrui», «abus de fonction», «conflit d'intérêts» jusqu'à «corruption lors de passation de marchés publics». Les mêmes chefs d'inculpation sont retenus contre Abdelmalek Sellal, également ex-Premier ministre, qui se voit pour la première fois dans les annales de la justice, poursuivi aussi pour «financement occulte de la campagne électorale du 5e mandat» avorté du Président déchu. Il est placé en détention provisoire. Cette haute juridiction a, par la suite, entendu de nombreux ministres, Amara Benyounès, du Commerce, Djamel Ould Abbès, de la Solidarité nationale, Saïd Barkat, de la Solidarité également, Youcef Yousfi, de l'Industrie, Mahdjoub Bedda, de l'Industrie, Amar Ghoul, des Travaux publics, Abdelghani Zaalane, des Travaux publics, Mohamed Ghazi, du Travail, et Tayeb Louh, tous placés en détention provisoire. Jamais autant de ministres n'ont été mis en prison dans l'histoire du pays. Au tribunal de Sidi M'hamed, le magistrat instructeur a ordonné l'incarcération de sept personnes dans le cadre de l'affaire Kia, à commencer par Hacène Arbaoui, ainsi que de nombreux cadres de l'industrie et de l'ex-DG de la BNA, tous jugés et condamnés à des peines allant de 2 ans à 20 ans de prison. Le tribunal auditionne également l'homme d'affaires Mahieddine Tahkout, qui sera placé en détention avec son fils et de nombreux fonctionnaires de l'Industrie. Dans le cadre de cette affaire, trois ministres sont poursuivis par la Cour suprême, Mahdjoub Bedda, de l'Industrie, Youcef Yousfi, de l'industrie, ainsi que Amar Ghoul, des Travaux publics et des Transports, et placés sous mandat dépôt pour «octroi délibéré d'indus avantages», «abus de fonction», «dilapidation de deniers publics et corruption». Toujours devant le tribunal de Sidi M'hamed, l'ex-patron de la police, Abdelghani Hamel, comparaît avec ses trois enfants et son épouse, avant qu'il ne soit placé en détention, lui et ses deux enfants, tandis que sa fille et sa femme sont mises sous contrôle judiciaire pour «détournement de foncier» et «enrichissement illicite». Il est également poursuivi dans le cadre de l'affaire de Mme «Maya», mais pour d'autres affaires à Tipasa et à Oran. Quelques jours après, Ahmed Mazouz, gérant et propriétaire du groupe Mazouz et son partenaire, fils de l'ancien Premier ministre, Sellal Abdelmalek, sont devant le tribunal avec de nombreux cadres du ministère de l'Industrie et le chargé des transactions financières de la campagne électorale. Ils sont les premiers à être jugés et condamnés à l'issue d'un méga procès qui a défrayé la chronique. Le magistrat instructeur près le même tribunal a, par ailleurs, placé en détention l'ex-directeur général de l'établissement public Sahel et ex-président-directeur général de la Société d'investissements hôteliers (SIH/Spa), Hamid Melzi, ainsi que Mahieddine Tahkout et 19 autres personnes. De même qu'il procède à l'incarcération des frères Kouninef (Réda, Abdelkader, Karim et Tarek). Puis, c'est au tour du patron du groupe Sovac, Mourad Oulmi, d'être placé en détention avec son frère et 52 autres responsables pour «avoir bénéficié d'indus avantages» et «transféré illicitement des capitaux à l'étranger». Si le premier dossier lié à Arbaoui, Mazouz et Mohamed Bairi, dans lequel sont impliqués Sellal, Ouyahia, Bedda, Yousfi et Zaalane a été jugé, il reste cependant plusieurs autres affaires encore en instruction et dans lesquelles les mêmes responsables et d'autres sont accusés et certains placés sous contrôle judiciaire, comme l'ex-ministre des Finances, Karim Djoudi, l'ex-ministre des Transports, Amar Tou, et de l'ex-ministre du Tourisme, Abdelkader Benmessaoud. Il s'agit de l'affaire Sovac, Tahkout, de Haddad, mais aussi de l'ex-wali Abdelkader Zoukh, de Abdelghani Hamel. C'est dire qu'une longue liste de personnalités publiques est actuellement en instruction, pour la majorité en prison, alors que l'on évoque encore d'autres dossiers non encore ouverts. A tort ou à raison, pour beaucoup, 2019 a été celle de la lutte contre la corruption…