Les poèmes d'Anne-Marie Alonzo(1) sont des tentatives symboliques pour «constituer un exil positif, créateur». L'architecture de ses vers comprend toute la science des complications savantes jaillies des impulsions, l'ingéniosité, les expansions, la fantaisie, bien que son dire semble (mais semble seulement !) fluide, simple, clair comme des lacs de montagne. Compensant son «handicap physique»(2) par une subjugante capacité et une surprenante aisance à émettre, à faire couler de source, à provoquer le verbe avec (presque) la même facilité (facilité, vraiment ?) qui fait que la pluie ruisselle — et il nous semble simple qu'il pleuve — que le jour se lève — et il nous semble simple qu'il se lève, que bruissent les forêts — et nous trouvons naturel qu'elles bruissent — bien que toutes ces menues éternités contiennent leurs graines de merveille, recouvrant sans interruption d'incomparables, d'anthologiques inventions lexicales, des espaces étendus de conversation avec soi-même ou avec les êtres et les choses visibles ou invisibles. Mais que de douleur ! «Je ne guérirai jamais ne suis malade simplement «sourde à toute vie inerte que faut-il ni guérir ni périr mais alors et rester là immobile inutile. Jusqu'à quand ne veut pas savoir personne ne le dira ne le sait » Souffrant terriblement, «le corps immobile», Anne-Marie Alonzo écrit «la douleur-poésie» de manière séduisante, ensemence aux côtés des jardiniers de la métaphysique et des potiers de l'archéologie, et avec les parcelles des mythologies de sa douleur, de son «exil», fabuleuse — jardinier faisant porter des fruits aux arbres, potier qui n'achève pas tout à fait de pétrir la glaise, qu'il vous en offre déjà une amphore portant la signature de l'éternité, dentellière et fileuse de tapis non terrestres, dans le mœlleux veillé desquelles fleurs s'alanguissent en anges, l'esprit dissimule des princes rongés sous leurs cuirasses princières par la mite de «l'exil» ; l'exil même dans les rêves : «Je suis l'amère des rêves (…) ; Chaque rêve songe l'autre Et j'enfile patiente des colliers de perles brunes (…) J'ai la mère rouge et toute passion l'emporte. J'ai la mère femme (et j'écris car j'écris pour elle)». Dans la poésie d'Anne-Marie Alonzo, le temps décrit les mystères de la mutation du venin en miel, de l'accouplement en union de la négation en foi. Une poésie où les fleurs ont la possibilité et le temps de se réfugier à temps, de se trouver en un autre endroit, à une autre adresse — et lorsque l'illusion vous penche pour les cueillir, vous cueillez leurs nuances, pas les fleurs, pas la source, pas l'essence. Note : 1+2) Poète, critique, éditrice québécoise (Canada), A. M. Alonzo est née en 1951, malgré un grave accident, elle est très active. Parmi ses œuvres, citons : Geste (poésie), Veille (poésie), Droite et de profil (poésie), etc.