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«Si les banques internationales ont été sauvées, les placements algériens ne l'ont pas été»
Harmut Elsenhans. Politologue et économiste allemand
Publié dans El Watan le 13 - 06 - 2011

Hartmut Elsenhans est politologue et économiste à l'université de Leipzig en Allemagne depuis 1993. Spécialisé dans les relations Nord-Sud, les problèmes de développement, et l'économie politique du système capitaliste mondial, il s'est distingué en élaborant la théorie du lien entre accumulation capitaliste et augmentation des revenus des masses comme base et préalable de la transition au capitalisme à croissance auto-entretenue et du maintien du capitalisme. Ayant conduit des recherches aux Indes, au Bangladesh, au Sénégal, au Mali, et au Vietnam, Hartmut Elsenhans a travaillé en Algérie dans les années 1980 en liaison avec le ministère de la Planification sur la petite et moyenne entreprises et il s'est associé avec le CREAD. Dans cet entretien, il dissèque l'échec des politiques économiques suivies par l'Algérie post-indépendance.
- Vous avez suivi avec beaucoup d'intérêt le passage de l'économie algérienne vers l'économie de marché sur fond de rente pétrolière. Les effets pervers ont rendu cette transition laborieuse et très complexe…
Effectivement, mes travaux sur l'Algérie ne datent pas d'aujourd'hui. J'ai été associé au développement de l'Algérie en réalisant une étude sur la petite industrie avec le ministère de la Planification dans les années 1980. Dans ma théorie des sociétés bureaucratiques de développement, j'ai insisté sur le caractère contradictoire de la rente, qui crée des possibilités d'investissement, mais aussi l'aisance financière qui permet à ceux qui centralisent de telles rentes à se passer d'efforts afin de développer des forces productives. J'ai mis en garde les pays rentiers, notamment l'Algérie à plusieurs reprises aussi dans la préface que j'ai été invité à rédiger pour la traduction aussi dans la préface que j'ai été invité à rédiger pour la traduction allemande de la charte nationale de 1976 contre le danger de dérapage. L'existence de la rente conduit des groupes qui ont accès à la rente au gaspillage et à l'indiscipline. Cela va jusqu'á la création des structures de communication où l'illusion domine la perception de la réalité. Dans les années 1980, j'ai participé aux efforts de mon ami Djilali Liabes à dessiner des mécanismes pour domestiquer les effets politiques, sociaux et culturels de la rente. Cette lutte contre la rente peut être soutenue de manière décisive par l'ouverture vers l'extérieur et la croissance de l'emploi par la spécialisation sur l'exportation de produits, dont une économie encore peu avancée sur le plan technologique peut avoir l'avantage comparatif. Je maintiendrai pourtant que cette option est extrêmement difficile pour les pays de la rive sud de la Méditerranée sans soutien de la part de certains pays industriels, dont des candidats naturels seraient les pays de l'Union européenne.
- Cette problématique de la rente a-t-elle contribué à l'édification du rempart de ségrégation sociale dans les économies des pays arabes et maghrébins, l'Algérie en particulier ?

L'investissement est souvent négligé dans les économies rentières parce que les conditions sociales de la mise en valeur de la rente pétrolière ne sont pas remplies par les classes privilégiées, qui préfèrent utiliser cette rente pour beaucoup plus de bien-être individuel que pour le développement. Une préférence pour l'investissement est alors le seul moyen d'autodiscipline de ces classes. Les éléments plus idéalistes dans les classes Etat peuvent donc difficilement admettre ouvertement de l'utiliser pour la consommation d'ouvriers même si cette consommation doit ultérieurement mener à l'acquisition de compétences techniques et sociales. Parmi nos études empiriques en Algérie, nous avons souvent constaté une aversion des éléments plus idéalistes contre la consommation et le marché comme instrument de contrôle des puissants. Pour rester compétitif, le monde arabe devrait affecter de larges parts la rente pétrolière, avec un effet d'entraînement sur le reste de son économie encore incertain. Deux raisons politiques lui interdisent cette solution : une préférence pour la technologie la plus performante par rapport aux coûts à payer à partir de la rente. La rente pétrolière apparaît comme une source d'investissement qui donne un accès beaucoup plus direct à la technologie moderne que les surplus agricoles des pays émergents destinés à la subvention des exportations de biens manufacturés qui sont d'abord simples à produire par une main-d'œuvre pauvre et peu qualifiée. La rente pétrolière est beaucoup plus fonctionnelle que la rente agricole dans le sens qu'elle donne la possibilité d'acquisition de la technologie moderne sur un chemin beaucoup plus direct. Sans parler des problèmes qui seraient créés en cas de pétrole bon marché pour la transition énergétique que pratiquement tous les pays disent vouloir poursuivre, l'extension de la production pétrolière (avec l'élasticité prix de la demande basse) impliquerait une hausse limitée des quantités exportées, mais une baisse importante des recettes à l'exportation pour les pays exportateurs de pétrole. : Cela représenterait la contrepartie de la disparition de la rente, ce qui conduirait à la disparition de ressources financières disponibles des pays arabes avec des conséquences importantes sur la consommation non pas seulement des classes aisées, mais vu la dépendance alimentaire de la plupart des pays arabes, des masses populaires. L'Algérie devra payer une facture de biens alimentaires importés que certains chiffrent à 12 milliards de dollars au moins à moyenne échéance.
- Donc tout repose sur l'accroissement des exportations, c'est-à-dire une plus grande ouverture sur le marché extérieur. Comment y parvenir dans un environnement altéré par les dysfonctionnements de l'administration et les résultats économiques peu reluisants des politiques suivies jusque-là ? Ne pensez-vous pas que les pouvoirs publics ont perdu leur légitimité pour mener à bien la feuille de route de réformes économiques et réussir la politique sociale ?
L'insertion dans la mondialisation implique une dévaluation monétaire entrainant l'échange inégal. Dévaluation ne signifie pas compression des revenus des masses, mais transformation de l'échange comparatif en compétitivité et constitue ainsi une forme intelligente de mobilisation de la rente. Une stratégie de développement rejetant les partis pris de la théorie économique orthodoxe peut allier libéralisation économique et intervention étatique, sachant que la crise financière mondiale renforce les économies capables de générer une croissance économique endogène, l'Algérie doit rejeter la tentation de se reposer sur les rentes minières et pétrolières dont l'augmentation ne sera que temporaire. Le pays, dont les ressources agricoles sont limitées, doit plutôt promouvoir une répartition de la rente par la restructuration économique et l'ouverture vers le marché mondial s'appuyant sur la promotion de la consommation intérieure qui repose à son tour sur le développement de la petite et moyenne industrie (PMI). Sur le plan politique, l'accroissement de l'investissement dans les PMI affaiblit considérablement les rentiers. Les rapports de force évoluent au profit des travailleurs et des entrepreneurs productifs et au détriment des rentiers. Il est évident que l'Algérie aura des difficultés à suivre la voie des pays exportateurs de produits manufacturés. Le pays ne dispose pas d'une agriculture capable d'assurer l'autosuffisance alimentaire.
Les denrées alimentaires devant être importées, la dévaluation ne permettra donc pas automatiquement la baisse des coûts internationaux de sa main-d'œuvre et en conséquence le développement, puisque la baisse de la valeur internationale du dinar conduira à la hausse des prix de l'alimentation en Algérie. Malgré l'échec de l'expérience algérienne de l'économie planifiée, l'Algérie dispose cependant d'un secteur de PME bien plus diversifié que n'en possède l'Afrique subsaharienne. La distribution de revenus de masse à un sureffectif d'ouvriers dans un secteur public «déficitaire» a conduit, au moins jusqu'aux années 1980, à l'émergence d'une multitude de PME et d'entreprises informelles, disposant de compétences économiques variées et suffisamment importantes politiquement pour animer les tendances modérées du courant islamiste. Nous avions alors observé un tissu de PME relativement dense et présent du travail des métaux jusqu'à la petite construction mécanique. L'Algérie dispose cependant d'opportunités de diversification économique en se basant sur l'exportation de produits manufacturés, tout en utilisant intelligemment la rente générée par l'exportation d'hydrocarbures. Pour cela, l'Algérie doit dépasser les discours d'antan misant sur une crise de l'économie mondiale dont elle pourrait profiter et dénonçant l'exploitation impérialiste utilisée afin de rester passive. Il apparaît plus prometteur d'accepter la régulation par le marché, dans le but de limiter le gaspillage improductif de sa propre force de travail, que de dépendre de la rente, ce que d'aucuns dénigreront sans doute comme l'imposition de l'exploitation capitaliste. Une telle stratégie pourrait permettre de faire jouer la rationalité économique en faveur des masses algériennes et d'atteindre aussi bien certains objectifs de la voie de la croissance endogène, dont une intégration dans l'économie mondiale dont l'Algérie pourrait bénéficier dans son propre développement.
- Vous dites que «l'Algérie doit dépasser les discours d'antan misant sur une crise de l'économie mondiale…» Ne trouvez-vous pas qu'il s'agit tout simplement d'un autre argument «très in» par lequel on cherche à justifier le peu d'efficacité des politiques économiques ?

L'Algérie fait face aux tendances contradictoires de la crise actuelle. Cette crise est d'abord une crise des marchés financiers. Néanmoins, elle met en évidence des contradictions qui opèrent à plus longue échéance. L'élément dominant en est la mondialisation de la production. Celle-ci crée des problèmes de compétitivité liés à l'émergence de nouveaux pays industriels. La demande de ces pays crée certes de nouveaux débouchés pour les exportateurs de pétrole, ce qui pourrait laisser croire aux Algériens que la rente des hydrocarbures sera à même de compenser le manque de productivité de l'industrie algérienne de longues années encore. Mais il sera difficile de protéger la rente sur les marchés financiers. La crise financière a fait perdre à l'Algérie des ressources investies sur ces marchés. Si les banques internationales ont été sauvées, les placements algériens ne l'ont pas été, ces placements n'étant pas nécessaires à la préservation du système financier international. La rente reste fragile en raison notamment des stratégies adoptées an niveau mondial pour surmonter la crise financière. Cette fragilité devrait inciter l'Algérie à «semer la rente» par la diversification industrielle et à ne pas se fier à la capacité des ressources pétrolières et gazières à faire vivre le pays. L'Algérie fait face à la compétition internationale sur les marchés de produits manufacturés en expansion limitée par rapport à l'augmentation du potentiel mondial de production, en raison des modes d'ajustement d'économies plus puissantes que l'économie algérienne. Ces dernières, en particulier les Etats-Unis, le Canada et le Japon, mais aussi certains pays émergents, hésitent à élargir leurs marchés intérieurs. L'Algérie affronte cette tâche dans des conditions difficiles. Elle ne peut espérer que son pouvoir de négociation sur les marchés financiers soit important, même si les pays industriels s'appliquent à sauver le système actuel. En même temps, elle présente des difficultés à adopter la stratégie à la base de la réussite de pays nouvellement industrialisés, soit l'exportation de produits manufacturés basée sur la dévaluation de la monnaie (et donc la valeur internationale du travail) en dessous de sa parité d'échange. De plus, l'économie algérienne continue de refléter les déformations induites par la rente.
- Plus de quatre années après son déclenchement, on parle toujours des retombées de la crise financière internationale. Que faire pour les surmonter ?
La crise financière internationale actuelle ne modifiera pas fondamentalement la mondialisation de l'économie. L'Algérie devrait donc concevoir sa stratégie de développement, en tenant compte de l'intensification de la compétition entre pays en voie de d'industrialisation par l'accès aux marchés des pays aux revenus plus élevés que nous continuerons d'appeler développés sans tenir compte de la problématique évaluation de ce développement. A la différence des années 1930, les gouvernements du monde développé n'ont pas eu de scrupules à vouer aux gémonies les principes de l'école néolibérale, incapables d'aider à surmonter la crise dans ses manifestations concrètes. Les acteurs capitalistes eux-mêmes, ne se souciant guère de la perte de crédibilité des coryphées du libéralisme, ont soutenu cette stratégie. En dépit d'apparentes fissures et contradictions internes, le «bloc au pouvoir», à l'échelle mondiale, sortira renforcé de la crise.
- Les grandes puissances économiques du Nord appellent leurs voisins du Sud à s'appuyer sur le développement d'une industrie manufacturière orientée vers l'exportation pour être en phase avec l'ordre économique mondial actuel. D'aucuns pensent que cet appel à une industrialisation au rabais vise à maintenir le sud de la Méditerranée à l'écart des vrais progrès technologiques ? Etes-vous de cet avis ?
Cet argument est soutenu par les opposants à la libéralisation. Ils estiment que les pays, qui s'engagent dans la spécialisation sur l'exportation de produits manufacturés simples, sont exclus des progrès et essors technologiques. La production de biens simples constituant, à leurs yeux, une industrialisation au rabais. Or, les expériences concrètes des pays à industrialisation récente contredisent cet argument. La Chine, Taiwan, la Corée du Sud et le Brésil sont aujourd'hui dans le peloton de tête de l'innovation, provoquant les inquiétudes des pays industriels les plus développés. Par ailleurs, un autre moyen peut aider à s'ouvrir avec efficacité sur le marché extérieur. La formule consiste en la conversion de l'avantage comparatif en compétitivité par la dévaluation. Un taux de change suffisamment bas est le vrai avantage comparatif qui a fait ses preuves notamment en Asie. EN Algérie, pour que l'avantage comparatif du salaire bas fonctionne, il faut que les produits agricoles, certains articles électroménagers ou textiles soient accessibles et fabriqués localement. Pour mieux comprendre, dans cet exemple de conversion de l'avantage comparatif en compétitivité par la dévaluation, l'Angleterre a un avantage comparatif dans l'industrie textile, considérée comme plus dynamique et génératrice de General Purpose Technology que la viticulture. Remplaçons le textile par l'automobile, le vin par la microélectronique, l'Angleterre par l'Allemagne et le Portugal par la Corée du Sud. C'est de cette configuration que l'économie allemande souffre aujourd'hui. L'Allemagne est si productive dans les filières phare du XIXe siècle début du XXe siècle (machines-outils, automobile, chimie) qu'elle a délaissé les nouvelles technologies telles que la microélectronique. Le téléfax a été inventé en Allemagne, mais développé à Taiwan. Aux XVIIIe et XIXe siècles, la France a été si productive dans les industries de luxe qu'elle en a négligé les industries de biens de masse. Le leadership anglais dans le textile a conduit l'Angleterre à abandonner la chimie et les appareils électriques au profit de l'Allemagne, alors bien plus pauvre, et des Etats-Unis, même si les innovations de ces industries nouvelles ont été produites simultanément en Angleterre et en Allemagne.
- Vous parlez de leaderships par filières, quasi inexistants dans les pays dont l'économie est à caractère mono-exportateur, basée sur le tout-pétrole…
Les pays pétroliers ont ici un problème particulier en ce qu'ils souffrent de la richesse de leur secteur exportateur et des conditions spécifiques du progrès dans ce secteur. Mon ami le professeur Sid Ahmed Abdelkader a montré que la stratégie de remontée des filières est particulièrement difficile dans l'activité des hydrocarbures en raison du caractère très sophistiqué et complexe des équipements nécessaires. Ceci vaut aussi, au moins depuis la fin du 19e siècle, pour toutes les industries d'extraction. C'est pour cela que la vallée minière de la Ruhr en Allemagne a pu maintenir son rôle de fournisseur mondial de technologie minière. Plus généralement, on observe que les producteurs de technologie tendent à s'agglomérer autour de centres de production de technologie plutôt qu'autour de centres d'utilisation de celle-ci. De ce fait, il est justifié de faciliter l'émergence de capacités locales de production de technologie par le développement des connaissances et la promotion ciblée des entreprises. L'Algérie, en tant que pays pétrolier, a certes de grandes difficultés à appliquer une telle stratégie. Hors hydrocarbures, le secteur algérien d'exportations est encore faible et ce manque de dynamisme limite la portée des efforts respectables d'enseignement, ne conduisant pas à l'absorption, sur le marché du travail, de jeunes gens disposant d'un bon niveau de formation. Le manque de débouchés fait croire aux jeunes que les «combines» sont la seule alternative, ce qui se répercute sur le secteur éducatif où l'on commence à faire semblant d'être découragé plutôt que de s'atteler à dépasser les blocages. Ces derniers seraient mieux surmontés si l'on réussissait à développer une industrie manufacturière orientée vers l'exportation. Il est certain que reculer devant l'adversité ne conduit ni à l'accumulation de connaissances technologiques, ni au dépassement des blocages.
- L'Algérie peut-elle se permettre une telle orientation économique, aura-t-elle les moyens de sa politique ?
Le développement d'une politique d'industrialisation par l'exportation de produits manufacturés en Algérie fait face au problème de la dépendance alimentair, cette dernière ne changera pas si le climat de l'Algérie n'évolue pas. La dépendance alimentaire est un fait qui implique que le pays devra générer des ressources par l'exportation de produits manufacturés. L'Algérie ne peut choisir entre le repli sur soi et la compétitivité internationale dans l'industrie. Elle doit devenir compétitive dans l'industrie et le plus vite sera le mieux. Cet impératif s'impose d'autant plus que l'ascension des pays très peuplés de l'Est et du Sud-est asiatique les pousse à chercher, hors de leurs frontières, de nouvelles terres afin d'assurer leur approvisionnement alimentaire. Il s'agit donc seulement de savoir comment on atteint ce but et non s'il faut le poursuivre. Le modèle planifié avait comme logique de base le développement de marchés intérieurs de masse et l'importation de technologies de pointe, afin de parvenir rapidement à un niveau de productivité élevé pour pouvoir s'intégrer dans la division internationale du travail. Cette «greffe technologique» a surtout échoué parce que la discipline «révolutionnaire» des cadres ne suffisait pas à assurer l'emploi efficace de la rente pétrolière dans les entreprises publiques algériennes. La crise des années 1980 en résulta. Une libéralisation de l'économie, sans exposition à la compétition internationale, conduit à la privatisation de rentes aussi longtemps que le niveau de compétition est bas, ce qui est le cas en Algérie étant donné l'étroitesse de son marché intérieur. Les entreprises privées algériennes dépendent, pour parvenir à importer, de voies d'accès aux devises qui résultent finalement d'un lien politique.
Une libéralisation, basée sur un taux de change irréaliste par rapport à la compétitivité de l'industrie algérienne, a donc conduit à des structures rentières au moins aussi opaques que celles qui prévalaient lors de la dégénérescence de l'ancienne classe Etat algérienne. Ces structures sont maintenues en invoquant l'intérêt national à la préservation de certains potentiels économiques. Elles permettent d'accaparer des rentes utilisées pour le maintien du pouvoir, ce qui implique la limitation de la régulation marchande et, en raison du montant limité de la rente pétrolière, celle de la démocratie. En apparence, l'Algérie a libéralisé son économie. Dans les faits, cette prétendue libéralisation a surtout affaibli les contrôles qui existaient dans le modèle bureaucratique, sans introduire les contrôles du marché ou de la démocratie. La classe rentière, qui se dit entrepreneuriale, est encore moins dynamique que les «technocrates» dévoués de l'ère Boumediène. Cet immobilisme rend nostalgiques de larges groupes de la population. Le passé récent est considéré avec regrets, mais les raisons essentielles de l'économie planifiée ne sont pas abordées. Une telle attitude risque de négliger les défis actuels: comment gérer la rente pétrolière, ressource de financement importante, de manière à réussir la «greffe technologique»? La rente ne peut servir à la transformation de compétences techniques qu'à une seule condition: qu'elle finance l'avantage d'un acteur économique en orientant son comportement vers plus de productivité. Ce fut la logique de l'allocation de sommes importantes à l'investissement. Les restes à réaliser (RAR) ont montré que l'on pouvait contrôler l'allocation de ces sommes en matière d'achat de biens d'équipements, mais non les rendements économiques de ceux-ci en raison d'un problème d'information. Les entreprises nationales ont toujours été capables de démontrer que leurs mauvais résultats étaient dus à l'état de sous-développement de l'économie algérienne (manque d'infrastructures, faible niveau de qualification de la main-d'œuvre, tissu industriel déficient).
- Quelles solutions préconisez-vous pour que notre économie puisse se dépêtrer de cet immobilisme ?
Il est nécessaire d'importer ce mécanisme de la compétition en ouvrant l'économie algérienne au marché mondial, quitte à définir plus tard comment parer aux conséquences de cette ouverture en utilisant judicieusement la rente sans détruire l'incitation à l'innovation. Eviter la dévaluation au niveau de la productivité algérienne, hors hydrocarbures, équivaut à maintenir des pans entiers de cette économie dans la dépendance de la rente pétrolière, sans imposer l'innovation dans le secteur hors hydrocarbures, celui-ci étant trop limité pour entraîner le plein-emploi. Ceux qui font partie de ce système, même les travailleurs, sont subventionnés et font donc partie du système rentier, même si leurs revenus peuvent être faibles, tandis que le reste de la population, les jeunes en particulier, demeure marginalisée. En abaissant les coûts internationaux du travail, on crée de l'emploi dans les industries d'exportation et les nouvelles industries qui remplacent des produits jusqu'alors importés dans des conditions de compétition. En raison de la dépendance alimentaire, on ne peut abaisser le coût international de la main-d'œuvre algérienne sans parer à la hausse des coûts de l'alimentation des masses, ce qui se répercuterait à travers des salaires en monnaie algérienne en croissance sur les coûts internationaux de cette main-d'œuvre. Une dévaluation sans se prémunir des pressions inflationnistes dans le secteur des biens de masse échouerait. Nous supposons donc que l'Algérie devrait et pourrait financer la subsistance de base de la masse de sa population à partir de sa rente pétrolière. De facto, elle le fait déjà puisque la valeur internationale d'un dinar algérien, non entièrement convertible, n'a pas d'influence sur le montant de rente pétrolière à affecter aux importations alimentaires du pays.
Cette subvention pourrait prendre la forme de l'accès de ceux qui travaillent à une carte de rationnement en alimentation de base, à une prime à l'emploi versée à ceux qui paient des cotisations sociales, afin de privilégier les petites et moyennes entreprises un peu plus structurées que le secteur informel ou à un soutien généralisé à l'alimentation de base incluant un contrôle de la réexportation de denrées alimentaires. Dans le cas d'un système de rationnement par cartes, les commerçants recevraient des coupons utilisables comme une monnaie dans l'opération d'achats et utiliseraient ces coupons pour s'approvisionner à partir d'organismes, bien sûr étatiques. Ces derniers, à partir d'allocations de ressources budgétaires sur la base de coupons reçus, achèteraient sur le marché mondial des produits alimentaires. Les travailleurs offriraient leurs services pour des salaires peu élevés qui seraient uniquement un complément à leur revenu en coupons alimentaires. En cas de libéralisation de l'économie, des entrepreneurs trouveraient, à ce bas niveau de salaires, des débouchés extérieurs et l'augmentation de l'emploi entraînerait alors des débouchés internes et donc l'augmentation de capacités de production: les entrepreneurs accumuleraient.
Dans les conditions actuelles, la croissance de l'emploi par la diversification des exportations est un instrument plus efficace que la distribution de rentes par la planification microéconomique. Dans cette dernière, le rôle des agents moraux incontournables, au sein de la classe des décideurs économiques bureaucratiques, est d'autant plus grand que la rente est importante. Au lieu de se complaire dans l'aisance financière jusqu'à ce qu'il soit trop tard, le défi à relever consiste à utiliser la rente maintenant, alors qu'elle est encore importante, afin de mettre au travail une population qui a largement dépassé le potentiel agricole de l'Algérie et qui ne pourra survivre sans le développement de la production industrielle. Lamentations et autoapitoiement ne provoqueront pas de changement de stratégie. Le développement économique ne sera possible qu'en se mettant au travail. Lorsqu'une stratégie d'exportation de biens manufacturés aura été établie, elle pourra être complétée par des stratégies visant à accélérer l'accroissement des compétences techniques et l'amélioration des conditions de production de l'Algérie.


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