D'un côté le nombre, la masse, la foule, le désordre, la revendication agressive et houleuse, le contenu. De l'autre, l'Etat, la stabilité, les intérêts supérieurs de la nation, la froideur et la rigueur, l'ordre et la morale, le contenant. Comment se passe l'interaction entre ces deux antagonismes ? A défaut de construire un mur pour isoler le mécontentement de l'objet du mécontentement, il y a des méthodes. Le général Hamel, chef de la police comme son titre ne l'indique pas, est revenu sur les 10 000 interventions opérées l'année dernière pour contrer les manifestations. La méthode ? La «gestion démocratique de la foule», selon son expression, manière de contenir sans violence une foule qui a ses raisons de s'attrouper mais n'a pas raison de s'attrouper. Comme la médecine douce, cette gestion démocratique consiste à stopper les manifestants et «les canaliser sans la moindre atteinte à leur dignité», toujours selon les mots du général. Les médecins piétinés, les syndicalistes tabassés, les démocrates agressés ou les militants harcelés font-ils partie de cette dignité ? Oui et non, pour le général, le niveau de dignité n'est pas là où il se place dans la tête du tabassé. Pour lui, ne pas tuer est de la dignité. Plus généralement, la gestion démocratique est, pour les octogénaires qui dirigent le pays, un maximum admis. C'est-à-dire une élection plus ou moins libre tous les 5 ans, des journaux privés qui ne dépassent jamais la ligne rouge du front de l'affront et quelques partis agréés. Pour les autres, ceux du contenu, ce n'est qu'un minimum auquel il faut ajouter, entre autres, l'indépendance de la justice, la transparence ou le limogeage des incompétents. C'est une question dialectique d'échelle. Quand un lion rencontre une gazelle et qu'ils parlent de dîner ensemble, la seconde pense à un bon plat d'herbe bien vert ; pour le premier par contre, le dîner c'est la gazelle.