Ainsi donc, Al Jazeera a décidé, «par esprit d'éthique», de ne pas diffuser les images filmées par Mohamed Merah. Pressée (ou suppliée) par les autorités françaises, à leur tête le président Sarkozy, de faire un geste pour ne pas troubler encore davantage la République, la chaîne qatarie a fini par céder, prétextant que ces images n'apportent rien de plus à l'information grand public qui a déjà circulé, non sans déjuger au passage son propre correspondant à Paris qui, dans une télé d'information non stop, a dit pourtant tout à fait le contraire avec même force détails sur le contenu. Jusque-là peu scrupuleux des effets et des incidences que pouvaient avoir les horreurs émanant des séquences que leur chaîne balance à longueur d'année en direction des pays arabes en proie à de grandes turbulences, les responsables d'Al Jazeera se sont montrés, cette fois, curieusement très respectueux des règles déontologiques pour ne pas décevoir le cri de détresse lancé par la France. Pourquoi une telle concession en faveur d'un pays dont les médias ne se sont jamais gênés – bien au contraire – pour montrer les images les plus abominables quand il s'agissait de l'Algérie et qui, aujourd'hui, se transforme subitement en défenseur de la dignité humaine au moment où il est atteint dans sa chair ? Personne n'oublie les moments tragiques vécus par les Algériens devant la barbarie du GIA. C'était, rappelons-le, ces pires moments durant lesquels l'Algérie se retrouvait seule face à son destin que les télés françaises choisissaient pour ajouter de l'huile sur le feu et aggraver surtout les traumatismes subis par tout un peuple. Toutes les grandes chaînes hexagonales sans exception éprouvaient un plaisir sadique à diffuser et rediffuser les scènes d'horreur filmées par les terroristes du GIA. On y voyait des victimes décapitées, des faux barrages transformés en bains de sang, sous l'œil ravi des hordes de barbus qui criaient victoire. Le GIA comptait sur ces séquences d'une atrocité insoutenable pour sa propagande. Et en les relayant, les médias français ne pouvaient ignorer le jeu malsain dans lequel ils s'étaient impliqués et qui était fondamentalement en faveur des sanguinaires. Le parti pris était flagrant, l'intelligentsia française, toutes obédiences confondues, au nom d'une prétendue liberté d'expression, se mettait du côté de la mouvance intégriste qui avait choisi la violence extrême pour faire entendre sa voix. C'était aussi une manière bien particulière de faire du chantage à une Algérie qui ne partageait pas les vues bien pensantes venues de l'Occident. Dans ce combat à distance, l'action des télés françaises a fait des dégâts. Et dire que ce sont ces mêmes médias, hier à la pointe de la propagande terroriste pour faire vaciller l'Algérie qui, aujourd'hui, se révoltent contre la diffusion d'images suscitant les mêmes sentiments de répulsion provoqués par un acte criminel que la morale réprouve. Ce sont également ces mêmes autorités françaises, institutions, monde politique y compris, qui, hier, complètement inhibées face au drame algérien, se sont soulevés comme un seul homme pour dénoncer une pratique médiatique certes odieuse, mais qui ne les a jamais égratignés jusque-là. En vérité, le deal fait avec Al Jazeera pour acheter son silence va au-delà d'un simple marchandage journalistique qui n'aurait jamais eu lieu si le Qatar n'était pas devenu, depuis quelque temps, un partenaire économique et commercial privilégié d'une France étouffée par la crise financière et qui a un besoin pressant de capitaux pour se maintenir. Tout le monde sait et trouve même amusant que ce petit pays du Golfe qui regorge de pétrole vient au secours d'une puissance économique comme la France en investissant dans différents secteurs d'activités, même dans le football où le prestigieux club parisien est désormais propriété qatarie. Le Qatar, un partenaire qu'il faut préserver coûte que coûte, la France qu'il faut ménager pour des intérêts bien compris, le trait d'union est trouvé, les noces sont prometteuses et ce n'est sûrement pas une affaire de diffusion d'images qui pourrait brouiller le paysage. Non, Al Jazeera sait faire la part des choses. Sa liberté de ton, ce sera pour les autres… Mais si cet arrangement, qui n'est qu'un détail dans la problématique de l'affaire Merah, nous montre que finalement les médias français ne sont pas plus autonomes que ceux, dans le tiers monde, auxquels ils ne cessent de donner des leçons, il y a l'autre visage de la France qui mérite d'être conté. La France raciste, xénophobe, anti-Islam. La France soumise à l'influence du lobby juif. Ce sont là les deux facettes projetées violemment dans le ciel déjà trouble de la campagne présidentielle par l'acte immonde du jeune dégénéré de Toulouse. A court d'imagination et peinant dans les sondages, beaucoup se demandent si cette affaire Merah n'est pas tombée à pic pour booster un candidat-président en lui offrant les ingrédients (et les expédients) qu'il recherchait. A travers l'épisode Merah, qui fera date pour tous les non-dits qu'il a laissés derrière lui – comme cette question de savoir pourquoi a-t-on laissé en vadrouille un individu classé dangereux et sur lequel on savait tout – il faut relever surtout l'énorme influence du lobby juif sur les institutions françaises. Si l'assassinat des trois militaires français, dont deux de confession musulmane, n'avait suscité que réprobation générale dans la société, il a fallu la tuerie dans le collège juif pour que l'on prenne conscience que la République était en danger. La campagne s'arrête, tout le monde se met au garde-à-vous. C'est historique et pitoyable à la fois.