Depuis plus d'une année, le laboratoire français Sanofi-Aventis Algérie est au centre d'une grande affaire de majoration de valeur, c'est-à-dire le transfert illicite de devises vers l'étranger sous le couvert de factures «gonflées». Tout a commencé en ce mois de mai 2011, lorsque le laboratoire a été destinataire d'un colis parvenu par fret à l'aéroport d'Alger et contenant des produits pharmaceutiques, notamment de la matière première entrant dans la fabrication de médicaments. Lors du contrôle physique de la marchandise, les douaniers découvrent que les prix déclarés par le laboratoire ne correspondent pas à ceux affichés sur le document dit X1, joint dans le colis par la société allemande chez laquelle les produits ont été achetés. La différence est trop importante, près de 100 fois la valeur. Pour les douaniers, il s'agit tout simplement d'une affaire de majoration de valeur, donc de transfert illicite de devises vers l'étranger. Dans un premier temps, sept procès-verbaux de constat d'infraction à la législation du contrôle des changes sont établis par les inspecteurs. Normal. En pareille situation, l'ordonnance 96/02 prévoit le constat de l'infraction plus quatre fois la valeur déclarée, ainsi que la saisie de la marchandise ou l'équivalent de sa valeur. La saisie de la marchandise provoque un séisme. Les interventions et les pressions pour l'obtention de la mainlevée se multiplient. La panique s'installe au sein de l'administration douanière. Le 23 mai 2011, le directeur régional (Alger extérieur) écrit au responsable du contentieux au niveau de la direction générale des Douanes, pour lui faire état «des difficultés rencontrées par le service fret, à savoir si les marchandises (médicament) seraient saisissables à l'occasion de la constatation d'une infraction de change en la majoration des valeurs déclarées». Le 26 mai, le destinataire de cette lettre explique que la notion de «moyens» utilisée pour la fraude, introduite par l'ordonnance 10/03 du 26 août 2010, en remplacement du terme «moyens de transport», ne couvre pas les marchandises normalement déclarées (…) Toutefois, cette notion ne devra porter que sur les objets ayant servi à masquer la fraude quels qu'ils soient, dans la mesure où les marchandises litigieuses n'ont pas été déclarées, ces dernières deviennent alors des moyens utilisés pour la fraude au sens et portée de cette modification. A défaut de cette éventualité, cette extension ne devra pas couvrir les moyens de transport qui ne sont pas conçus ou destinés en leur état à accomplir des actes frauduleux, tels que les navires, les aéronefs, les trains ou les transports en commun d'une manière générale ainsi que les containers et que cette notion ne concerne que les moyens en possession de l'auteur de l'infraction utilisés à des fins de fraude. En clair, le directeur du contentieux précise au régional que la marchandise objet d'une déclaration frauduleuse doit être saisie. D'ailleurs, le 31 mai, le directeur des contrôles a posteriori adresse un télex à tous les chefs d'inspection divisionnaires ainsi qu'aux chefs des services régionaux de la lutte contre la fraude, ce qui s'apparente beaucoup plus à une mise en garde contre la majoration de la valeur déclarée. Dans ce télex, il est écrit : «Dans le cadre des opérations de contrôle a posteriori effectuées par mes services, il a été constaté une tendance frauduleuse consistant en des majorations flagrantes en matière de valeurs en douane déclarées portant sur les importations de matière première destinée pour la fabrication des médicaments». Face à ce constat, le responsable demande à ses subordonnés «de prendre les mesures qui s'imposent pour contrecarrer ce courant de fraude entraînant des transferts illicites des devises à l'étranger, qui constitue une entorse aux orientations des pouvoirs publics visant à préserver et à rationaliser les réserves de change». Une semaine plus tard, c'est le secrétaire général du ministère de la Santé qui met les pieds dans le plat. La correspondance qu'il transmet au directeur général le sommant de débloquer les produits de Sanofi est très révélatrice. Sans citer le nom du laboratoire, il commence par affirmer que ce dernier l'a saisi par «un producteur de médicaments, installé en Algérie, sur sa difficulté à procéder au dédouanement de ses matières premières (…) les motifs évoqués par les services des Douanes sont relatifs à des différences de prix entre les programmes prévisionnels antérieurs et les programmes pour l'année en cours». En clair, le secrétaire général du ministère de la Santé, censé avoir le contrôle sur les prix des médicaments que l'Etat achète, veut tout simplement que les services des Douanes autorisent Sanofi à disposer de sa marchandise, alors que le laboratoire était sous le coup d'une enquête relative à un transfert illicite de devises. A travers cette correspondance, le ministère de la Santé apparaît comme le défenseur de Sanofi. Les pressions de Raffarin et de l'ambassadeur de France à Alger Au niveau de l'administration douanière, l'affaire fait tache d'huile. Lors de sa visite à Alger, le Premier ministre français, Jean-Pierre Raffarin, plaide auprès des plus hautes autorités du pays pour la levée des sanctions contre le laboratoire. L'ambassadeur de France à Alger prend le relais, en prenant attache avec le directeur général des Douanes. Mais c'était trop tard. Les inspecteurs avaient pris de court tout le monde en transmettant les procès-verbaux de constatation de l'infraction au tribunal d'El Harrach. Le 11 septembre 2011, le directeur régional d'Alger extérieur saisit par courrier le directeur général de Sanofi Algérie qui lui demande «de prendre attache avec les services de l'aéroport d'Alger en vue d'arrêter les modalités pratiques pour une éventuelle mainlevée sur la marchandise objet du litige, sous caution ou consignation». Il précise, néanmoins, que cette décision a été prise suite à l'entretien du directeur général des Douanes avec l'ambassadeur de France à Alger. Le 19 septembre 2011, suite à une réunion de travail avec les responsables de Sanofi, le directeur régional écrit à son DG. «(…) Au cours de cette réunion, il a été réitéré au responsable de la société assisté de son avocat, la condition de la mainlevée par le dépôt d'une consignation de l'ordre de 612 720 362,86 DA, représentant la valeur du corps de délit, constitué de la différence entre la valeur déclarée et celle retenue par le service.»