La secrétaire d'Etat américaine et ex-première Dame des Etats-Unis n'a vu, dans les législatives algériennes largement contestées par l'opposition, qu'un aspect : l'arrivée en force des femmes à la Chambre basse du Parlement. Une réaction prévisible. L'Occident, Etats-Unis en tête, a toujours défendu l'idée d'une plus grande participation des femmes dans la vie politique. Même si les Américains n'ont jamais élu une femme présidente ! Les élections du 10 mai 2012 étaient-elles libres, honnêtes, crédibles et ouvertes ? Hillary Clinton ne l'a pas dit. «Ces élections sont une avancée bienvenue sur le chemin de l'Algérie vers des réformes démocratiques», a-t-elle dit. Simple traduction : l'Algérie n'est que sur «le chemin des réformes démocratiques». Le pays que gouverne Bouteflika depuis treize ans n'est donc pas aussi démocratique que cela. C'est là un point de vue que semble partager l'Union européenne (UE), qui a qualifié le dernier scrutin de «pas en avant» vers les réformes. «L'UE espère que le nouveau Parlement élu fera avancer un processus de réformes fondées sur des principes démocratiques et sur le respect des droits de l'homme», ont déclaré Catherine Ashton (chef de la diplomatie de l'UE) et Stefen Füle (commissaire en charge de la politique de voisinage). L'UE a accepté d'envoyer une mission d'observation des élections pour la première fois depuis l'instauration de ses relations avec l'Algérie, troisième fournisseur du continent en gaz naturel. José Ignacio Salafranca, chef de cette mission, a déclaré, samedi à Alger, qu'un manque de transparence entoure certains aspects du scrutin. «La France forme le vœu que ces élections concourent à la consolidation et à l'approfondissement du processus de réformes annoncé par le président Bouteflika et attendu par la grande majorité des Algériens», a déclaré, pour sa part, Bernard Valero, porte-parole du ministère français des Affaires étrangères. A Londres, la position américaine est redite avec d'autres mots. William Hague, ministre britannique des Affaires étrangères, a salué «tout particulièrement» la plus grande représentation des femmes dans la nouvelle Assemblée. «J'espère que ce progrès mènera à de nouvelles réformes dans les débats à venir sur le changement constitutionnel et dans la course aux élections locales, cette année, ainsi que pour l'élection présidentielle prévue en 2014», a-t-il soutenu. Londres et Washington comptent donc sur la prochaine révision de la Constitution, prévue probablement en 2013, pour voir jusqu'où «le processus de réformes» engagé en Algérie peut-il aller. Paris – comme Londres, Washington, Bruxelles ou Rome – évite d'évoquer la fraude ou la manipulation du scrutin telles que dénoncées par au moins une dizaine de partis. Ces puissances s'adressent d'abord et surtout au pouvoir en place. Lorsque les contestations étaient en cours en Tunisie, puis en Egypte et au Yémen, ces capitales s'étaient d'abord adressées aux régimes d'alors. L'Occident, qui tergiverse sur la situation dramatique en Syrie, laissant la dictature terrifiante de Bachar Al Assad massacrer chaque jour la population civile, a visiblement changé de stratégie. La stabilité des régimes dans la région arabe est redevenue un axe important de cette vision, au détriment des aspirations de plus en plus fortes au changement politique des peuples et surtout des jeunes. Même pacifique, ce changement est désormais assimilé à un «facteur» de déstabilisation. Cela a constitué la «matière grasse» du discours du pouvoir lors de la campagne électorale algérienne. Discours bâti sur la peur et les raccourcis. «Le Printemps arabe a apporté le désordre et le chaos», répétait à n'en plus pouvoir Ahmed Ouyahia, Premier ministre. La volonté de conditionner la société est réelle. D'où la qualification de «vote-refuge» donnée par Daho Ould Kablia, ministre de l'Intérieur, aux législatives de 2012. Une formule qui rappelle celle utilisée en 1997, après les élections parlementaires qui avaient vu la «victoire» du RND trois mois après sa création. Un scrutin marqué par une fraude massive dénoncée par plusieurs partis et qui était censé neutraliser l'action terroriste de l'époque. La Russie, allié militaire et politique d'Alger, a clairement estimé que l'Algérie a échappé au «choc» du Printemps arabe. Que pouvait-on attendre de Moscou qui, ouvertement, approuve les tueries du régime syrien ? La crainte de voir les islamistes arriver au pouvoir a probablement joué dans ce qui apparaît comme une «légère» correction de la vision occidentale à l'égard du Monde arabe. Une attitude qui pourrait être temporaire. La conjoncture économique et énergétique mondiale n'autorise pas d'écart dans la conduite actuelle de la politique extérieure. Sur ce plan, Amérique du Nord et Union européenne diffusent presque sur la même longueur d'onde. L'instabilité de la zone sahélo-saharienne, aggravée par les restes nocifs du régime de Mouammar El Gueddafi dans la région, oblige les capitales occidentales à remanier leurs positions aussi. Le Sahel demeure toujours une région pourvoyeuse en uranium et en pétrole pour l'Europe et l'Amérique du Nord. Une zone qui exporte aussi beaucoup de migrants clandestins. Ces calculs géostratégiques font qu'aujourd'hui, en Algérie, certains pensent sérieusement que les «réformes» sont possibles dans une situation de statu quo et estiment qu'elles sont applicables dans un pays où les libertés sont absentes. Rassuré par l'attitude conciliante de ses partenaires étrangers, le pouvoir algérien, qui loue devant les autres ses prouesses dans le combat antiterroriste, continuera à régenter la société à sa manière, sans retenir les premières leçons de l'histoire en marche. Partant de cette idée, ajourner le changement équivaut à faire basculer l'Algérie dans l'inconnu. C'est déjà le cas depuis vendredi 11 mai... Au Nord, on le sait. Mais on s'adapte tant qu'on peut.